Dès le 7 octobre prochain, le Centre Pompidou-Metz accueillera Bivouac, la plus grande exposition jamais consacrée à Erwan et Ronan Bouroullec. L’occasion de revenir avec les deux frères sur les temps forts de la vie de leur studio, au travers des objets, des rencontres et des rêves esquissés qui les ont marqués.

Sur la table du studio parisien trône une version miniature de la Galerie 3 du tout nouveau Centre Pompidou-Metz. Du bout du doigt, Ronan Bouroullec déplace la reproduction XXS d’une cloison d’Algues et repousse précautionneusement la photo pliée d’une Slow Chair. Histoire de montrer qu’à quelques jours de l’ouverture de l’expo, rien n’est encore figé. Et ne le sera sans doute jamais. Avec Bivouac, comme son nom le laisse supposer, les deux frères entendent bien soumettre leurs créations au bon vouloir des visiteurs.

 » On retrouvera à peu près tout ce que nous avons réalisé depuis les débuts du studio en 1998, développe Ronan Bouroullec. Tout ça sera déposé à même le sol, de manière assez brutale, sans soucis de chronologie. Pour les plus petites pièces, comme les éléments du service de table Ovale d’Alessi par exemple, qui pourraient plus facilement  » disparaître « , nous avons seulement prévu un stratagème de mise à distance par le biais d’un tapis, un peu comme dans les marchés aux puces lorsque le brocanteur jette un morceau de carpette par terre à la sauvette pour isoler et protéger sa marchandise. « 

Enfin une scénographie qui ne sent pas la naphtaline ! Oui, on pourra s’asseoir dans les chaises ou les canapés, palper les matières et les rembourrés, jouer à cache-cache derrière les cloisons mobiles. Et surtout tripoter les tablettes iPad pour lesquelles une application regroupant pas moins de 300 documents – des dessins et des reproductions de maquettes – a été spécialement conçue. Des images cerclées de cadres en Corian® qui s’afficheront aussi sur plus de 150 m2.

 » Ce pan de mur résume assez bien nos processus de création qui sont très instinctifs, presque insidieux, commente l’aîné du duo. Il montre combien notre écriture est basée sur une boulimie de croquis, d’essais : entre un dessin abstrait réalisé il y a trois ou quatre ans, un test sur un bout de textile et un objet fini, il existe des correspondances que nous-mêmes, nous ne percevons pas toujours en travaillant. C’est un portrait de nous, assez fidèle finalement. « 

Cette plongée en apnée dans la nébuleuse Bouroullec permet en tout cas d’appréhender de manière instinctive la lenteur inhérente au métier de designer : pour devenir un objet tangible, consommable, une idée doit mûrir et se laisser phagocyter par d’autres concepts.  » Nous ne sommes pas plus productifs aujourd’hui qu’il y a dix ans, se défend Ronan Bouroullec. La taille de notre studio est toujours la même. Nos premiers travaux – comme le Lit clos ou la Cuisine désintégrée – existaient sans doute davantage au travers des médias qu’en tant que projets concrets. Nous avons la chance désormais d’avoir pour partenaires des industriels comme Vitra ou Magis qui font exister nos meubles, qui les distribuent. Ils sont plus visibles, même sur les plateaux de télévision, achetables et dans certains cas même à un prix raisonnable, ce qui nous réjouit. « 

Pourtant, dans la mise en scène de l’expo, aucune distinction claire ne sera faite entre abstraction et réalité, théorie et pratique : tout sera mis sur le même pied, sans dissertation inutile.  » Si quelqu’un tombe dans la rue sur un de nos meubles ou de nos objets, il saura intuitivement comment s’en servir, justifie Erwan Bouroullec. En même temps, nous pourrions aussi passer beaucoup de temps à détailler consciencieusement ce que nous avons voulu faire. Mais nous sommes nous-mêmes de moins en moins rassurés par ces explications qui sont, au fond, un peu réductrices. Il n’y a pas d’autre message qu’une grande envie de faire le point pour pouvoir ensuite encore mieux passer à autre chose.  » L’occasion rêvée pour les deux frères de se mettre en mode pause, et de dresser pour nous, leur best of illustré des acquis du passé.

LES DESSINS

Ce qu’en dit Ronan :  » Le dessin, c’est quelque chose que nous pratiquons en permanence, souvent sans but précis. Les bons jours, nous pouvons remplir plusieurs carnets de croquis. Ils ne sont jamais signés : s’ils l’étaient, la paternité des objets qui pourraient en découler serait forcément attribuée à l’auteur du dessin. Ce qui serait bien trop réducteur. Une chaise, c’est cinq ans de travail, 1 000 esquisses intermédiaires, quantités de maquettes. La plupart du temps, c’est de l’expérimentation pure. Ce qui en ressort au bout du compte est finalement assez réduit. Cette masse de dessins que nous avons produite en vingt ans, c’est un peu comme un nuage qui nous entoure et dans lequel nous puisons en permanence. « 

L’ALCÔVE

Ce qu’en dit Erwan :  » Ce canapé est un énorme succès : Vitra qui l’édite en sort plus de 30 par jour. Pourtant, nous ne l’avons pas tout de suite pressenti. Au départ, nous nous étions focalisés sur l’idée de confort, nous voulions entourer le corps de textile, un peu comme dans un lit. C’est en discutant dans le hall des essais chez Vitra que nous avons eu l’idée de rehausser les contours. Et d’un seul coup, c’est toute notre réflexion sur les cloisons que nous poursuivions depuis des années qui prenait corps. On y retrouvait un peu du Lit clos, un peu des Clouds. Notre objectif n’était pas de créer un objet séparant. L’Alcôve est d’abord perçue comme un canapé. J’admire beaucoup Jasper Morrison parce qu’il sait laisser tomber le côté événementiel de l’objet pour mieux se concentrer sur la réalité. Parce que nous questionnons sans cesse les usages, nos projets peuvent être intimidants. L’Alcôve ne vient pas de nulle part, elle est aussi le fruit de nos théories. Mais elle propose une adaptation subtile, pas une révolution. « 

LE LIT CLOS

Ce qu’en dit Erwan :  » Ce lit, c’était un objet différent de ce que l’on a coutume de voir dans une chambre à coucher et en même temps assez familier pour qu’il vous évoque des souvenirs. Pour l’un, ça lui rappelait la cabane de pêcheur qu’il y avait chez son grand-père, pour l’autre, une cachette dans le grenier. Ce projet nous a permis de nous interroger sur la manière dont la fonction d’un objet peut s’avérer ou non pertinente. Pour que cela fonctionne, on ne peut jamais faire abstraction des codes culturels, de la compréhension intrinsèque que les gens auront de cet objet. Lorsque plus tard, nous avons dû imaginer le système de tables de travail Joyn pour Vitra, nous avons commencé par les « déspécialiser » afin de permettre d’autres usages. En faisant cela, on touche à la mémoire des gens, à ce qu’ils considèrent qu’il est possible ou non de faire avec un objet. Une table c’est une table : quatre pieds, un plateau. Mais si elle est trop équipée pour travailler, jamais vous ne l’utiliserez pour un drink d’anniversaire au bureau. En effaçant les codes, on ouvre des possibilités. « 

Ronan & Erwan Bouroullec Bivouac, au Centre Pompidou-Metz. Du 7 octobre au 30 juillet 2012. www.centrepompidou-metz.fr

PAR ISABELLE WILLOT

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