Depuis des décennies, Carlos Falco élabore de grands vins à Valdepusa,son domaine de Castilla-La Mancha. Ce grand d’Espagne présente maintenant sa première huile d’olive : une véritable révolution qualitative.

Carlos Falco, marquis de Grinon et de Castelmoncayo, arpente la quarantaine d’hectares de vignes qui couvrent le Dominio de Valdepusa, un patrimoine appartenant à sa famille depuis 1292. Au milieu du domaine, la chapelle du xviiie siècle étonne par ses dimensions : elle est bien plus grande que l’habitation qui la jouxte.  » Elle fut construite par mon ancêtre le duc de Malpica à la demande des gens qui travaillaient ici. Ils souhaitaient ne plus devoir parcourir à pied les kilomètres qui les séparaient de l’église située à côté de son château, au bourg voisin. J’ai rénové les bâtiments autrefois destinés aux gardes dont elle est flanquée.  »

Don Carlos Falco s’exprime dans un français parfait, souvenir des cinq années qu’il a passées en Belgique à la fin des fifties, le temps nécessaire de mener à bien ses études d’ingénieur agronome.  » Adolescent, je savais déjà que je valoriserais un jour Valdepusa. Je me suis très tôt intéressé au vin. A l’âge de 17 ans, j’ai impressionné mon père û le fondateur des fameux hôtels historiques de la chaîne des Paradores û par le choix d’un bordeaux au restaurant. A dater ce jour, il m’a toujours laissé cette responsabilité.  »

Marques de Grinon est aujourd’hui une marque apposée sur des étiquettes de vins réputés : ceux de domaine produits à Valdepusa, comme le fameux Emeritus, et les vins de négoce produits dans la Rioja, le Douro et en Argentine. Depuis 2003, Marques de Grinon est aussi le nom commercial d’une huile d’olive extravierge à nulle autre pareille.

Carlos Falco a une âme de pionnier… mais ne laisse rien au hasard. Avant de s’adonner à la vigne, il a ainsi consulté les plus grandes sommités bordelaises, comme le professeur Emile Peynaud. Au début des années 1970, il plante les premiers cépages de cabernet sauvignon pour la région de Castilla-La-Mancha. Vingt ans plus tard, il est encore le premier, en Espagne, à planter de la syrah. La même année, il se lance dans une autre aventure : l’introduction du petit verdot, le cépage minoritaire de l’assemblage bordelais.  » Pour la syrah, nous nous sommes rendu compte qu’avec nos 3 000 heures d’ensoleillement par an, nous pouvions être encore mieux lotis que le Languedoc-Roussillon où la syrah fait des merveilles. Le petit verdot était a priori plus risqué. Mais je me souvenais l’avoir goûté au printemps 1983 dans les barriques du château Margaux. J’ai alors été impressionné par sa couleur, sa complexité, son ampleur.  »

Même si la cave n’a rien à envier à toutes les installations de pointe, Carlos Falco, l’agronome, est davantage fier de l’équipement high-tech de son vignoble.  » Nous avons été les premiers à importer en Espagne un système que les Israéliens utilisent dans le désert : le goutte à goutte. Mais nous allons beaucoup plus loin, puisque nous suivons le stress hydrique des ceps. Répartis dans le vignoble, un certain nombre de pieds sont équipés de capteurs qui mesurent les variations de diamètre du tronc. Ces informations sont transmises à un ordinateur, comme les relevés météo de notre station. Ainsi, n’importe où dans le monde, notre chef de culture peut, de son ordinateur portable relié à un téléphone, savoir ce qui se passe ici et décider de l’arrosage à effectuer.  »

Mais comment donc Carlos Falco s’est-il passionné pour l’huile d’olive ?  » Inigo Valdenebro, un de ses amis andalous s’est porté acquéreur d’un domaine à quelques kilomètres d’ici, toujours dans la vallée de la rivière Pusa. Nous avons commencé par le planter, avec trois variétés espagnoles, la Manzanilla de Séville, la Picual de la région de Jaen (Andalousie) et l’Arbequina, la variété espagnole la plus prestigieuse. Notre huile est donc le fruit d’un assemblage de ces trois variétés, récoltées, pressées et élevées séparément.  »

Planter et entretenir des oliviers est une étape. En extraire une huile extravierge de qualité en est une autre. Heureusement, les parallèles entre les mondes de l’huile et du vin existent bel et bien. Les soins apportés à la récolte et le traitement immédiat du produit frais sont par exemple des gages de non altération de la pureté des saveurs.  » Je savais depuis longtemps que je voulais faire de l’huile d’olive. J’ai étudié le sujet pendant quatorze ans, pas à pas. Pour le vin, je me suis adressé aux Bordelais, considérés parmi les meilleurs £nologues. Je me suis donc rendu en Toscane, dans la région que je considère être à la pointe en ce qui concerne l’huile d’olive extravierge. J’ai goûté quantité d’huiles. Demandez à de vrais connaisseurs. Vous consta-terez que peu d’entre elles sont excemptes de défauts. Jusqu’au jour où j’ai découvert une huile étonnante. Pour l’anecdote, son producteur fixe son prix sur la base de celui du filet mignon de boeuf, qui n’est pas donné en Italie.  »

Carlos Falco fait alors la connaissance de Marco Mugelli, un scientifique florentin, considéré comme le pape en matière d’huile d’olive extravierge. Même galvaudé, le mot extravierge a son poids. Il indique que l’on recherche la qualité. On a beaucoup parlé des atouts divers de l’huile d’olive pour la santé, notamment via le bon cholestérol. Mais l’huile d’olive est surtout un formidable réservoir d’antioxydants, via les polyphénols qu’elle contient.  »

Sur ce point Marco Mugelli est catégorique. Les huiles proposées à la vente ont perdu ces qualités entre la cueillette de l’olive et la table. A lui seul, l’emballage en verre transparent est une totale hérésie.  » La lumière (les UV) dégrade l’huile, comme l’excès de chaleur. Alors une huile placée en haut d’un rayonnage sous les néons est complètement dégradée de ce point de vue-là. Ce qu’il faut : c’est d’abord un verre opaque, le plus possible imperméable aux ultraviolets. Puis il faut la stocker dans des conditions similaires au vin.  »

Mais pour Marco Mugelli, tout commence au moulin. A la fois diplômé de biologie et de mécanique, le spécialiste florentin est le concepteur et constructeur de plusieurs prototypes de systèmes d’extraction de l’huile d’olive. Il met d’ailleurs aujourd’hui la dernière main à un moulin miniature qui permettra aux toutes petites exploitations d’assurer la production d’une extravierge de qualité, à un prix compétitif.

Mais l’installation dont il est le plus fier se trouve aujourd’hui en Espagne sur la quinta de Inigo Valdenebro, à proximité immédiate de l’oliveraie. Elle est impressionnante.  » Aussitôt cueillies, les olives arrivent ici. Elles sont lavées et nettoyées, débarrassées des feuilles et autres impuretés, avant d’être moulues. Nous devons protéger les poly-phénols de ce qui les dégrade : l’oxygène de l’air ambiant ou celui contenu dans l’eau. Les olives réduites en pâte sont aussi attaquées par les enzymes. Une olive contient de 60 à 80 g de sucre par kg. Chauffée à 27-28 °C, la température d’extraction, la fermentation démarre, comme pour le vin. Et tout un processus enzymatique s’enclenche qui va finir par détruire les polyphénols. Que se passe-t-il dans les chaînes modernes existant aujourd’hui ? Le processus d’extraction passe par une addition d’eau chaude, des centaines de litres à l’heure. Cette eau oxyde donc la pâte.  »

Pour l’huile signée Marques de Grinon, Marco Mugelli a conçu un système qui place l’olive le plus possible à l’abri de l’air, dès le moment où elle est broyée par de puissants moteurs. Après cette opération, les olives passent dans une batterie de six malaxeurs verticaux, qui travaillent à la limite du sous-vide. Cette étape est fondamentale pour favoriser la bonne extraction de l’huile et des saveurs. C’est en effet en mélangeant la pâte û chauffée à 27-28 °C û que les gouttelettes d’huile microscopiques contenues dans les cellules en sortent et s’agrègent les unes aux autres. Pendant les 90 minutes que dure cette phase, elles s’enrichissent aussi de substances aromatiques. Nous avons fait des essais. Si on arrête le malaxage après 75 min, la différence de qualité est stupéfiante.  »

Reste alors à presser la pâte pour en extraire le liquide, puis à centrifuger le tout, pour séparer l’huile de l’eau. C’est à ce moment-là seulement qu’elle apparaît à l’air libre, pour un très bref laps de temps.

Après une décantation de 24 heures, pour retirer les dernières particules d’eau, les huiles sont filtrées puis stockées dans des cuves à atmosphère enrichie en azote, toujours dans le but de limiter l’oxydation.  » C’est la meilleure manière de conserver l’huile. D’ailleurs, elle n’est mise en bouteilles qu’au coup par coup, à l’arrivée des commandes.  »

Au moment de déguster son huile d’olive extravierge, Carlos Falco la verse dans un verre à sherry, plus étroit au sommet.  » Nous nous sommes aperçus que le verre à sherry permet de bien percevoir les qualités et défauts de l’huile et de la réchauffer légèrement en le tenant dans la paume des mains.  » La dégustation des premières récoltes de l’automne 2003 soulève l’enthousiasme. L’huile de la première variété récoltée, la manzanilla, est bien entendu extravierge et son acidité bien inférieure au seuil légal de 1 g par litre d’acide oléique par 100 d’huile. En bouche, elle démarre en douceur, pour s’amplifier ensuite, jusqu’à irriter fortement la gorge, montrant sa teneur importante en polyphénols. Signe variétal, elle est dominée par un parfum de pomme verte, net, sans défauts. Au moment de la mettre en bouteilles, elle sera assemblée aux deux autres variétés. Dégustée un an après, l’huile de la récolte 2002 s’est avérée d’une fraîcheur sans pareille. Alors que la plupart des huiles du marché s’affadissent totalement dans les 12 mois. Pis, leurs défauts s’accentuent. Une telle huile est un produit de haute gastronomie à réserver pour les mets les plus délicats. Même si, comme toutes les autres huiles d’olives de qualité, elle supporte la cuisson, il est conseillé de la consommer crue, pour accompagner un poisson grillé ou cuit au court-bouillon. On l’ajoute alors au moment de dresser l’assiette. Elle est aussi idéale pour les salades vertes ou de légumes vapeur. En hiver, elle peut même accompagner une salade de fruits, d’oranges, par exemple.

 » Marco Mugelli nous a appris bien d’autres choses. Notamment que l’optimum de maturité d’une olive ne dure que 7 à 10 jours. Nous récoltons en général la Manzanilla du 10 au 20 octobre, l’Arbequina, du 20 au 30 octobre et, enfin, la Picual, les premiers jours de novembre. Mais nous, les gens du vin, nous devons encore nous habituer à une chose : à la différence du vin qui se conserve et bonifie, l’huile extravierge subit un processus inexorable de détérioration. C’est ainsi que pour éviter que ses propriétés pour la santé, que les polyphénols qui la protègent ne se détériorent, que notre bouteille fait barrière à 98 % aux UV.  »

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