Bonne nouvelle pour les amateurs de filets purs et de côtes de boeuf : on ne se cache plus pour savourer un bon morceau de viande. A Paris, Anvers et Bruxelles, des restaurants de terroir nouvelle génération proposent des cartes consacrées aux délices du boucher.

Carnet d’adresses en page 101.

Nicolas ne peut cacher sa joie devant l’énorme pièce de b£uf que le garçon vient de lui servir. Pourtant, même lorsque la cote de la viande était au plus bas, cet art director officiant dans une agence de pub parisienne n’a jamais fait l’impasse sur une entrecôte ou un c£ur de filet. Ce qui a changé aujourd’hui ? Ses collègues û même féminins û ont accepté de l’accompagner dans ce qui a été longtemps pour lui un plaisir solitaire.  » A une certaine époque, confie-t-il, on me traitait comme un pestiféré quand je proposais d’aller manger un steak… Il n’y en avait que pour les salades light et les néo-cantines bio. Ce tabou est en passe de tomber, et même mon assistante qui s’était juré de ne plus céder aux plaisirs carnivores est en train de revoir son opinion.  »

Le cas de Nicolas n’est pas isolé. A Paris, on assiste aujourd’hui à un véritable retour en force de la viande. Il est loin le temps où Alain Passard, le chef étoilé de L’Arpège, rayait ouvertement la viande rouge de sa carte. Il suffit de voir la publicité qu’une autre star des fourneaux, Jean-Pierre Vigato de l’Apicius, fait à ce produit en inscrivant à sa carte une  » côte de b£uf exceptionnelle, de race, servie saignante uniquement, pour deux personnes « . Autre indéniable signe des temps : une série de restaurants célébrant les délices du boucher se sont ouverts coup sur coup.

Pour Marc, l’un des convives présents à la table de Nicolas, cette réhabilitation n’est pas le fruit du hasard.  » La méfiance qui a suivi les crises alimentaires a fait naître un goût immodéré pour le terroir, les plats mijotés et pour les produits de qualité, analyse ce spécialiste habitué à déchiffrer les habitudes de consommation. Le travail des agriculteurs et des artisans a été valorisé et les éleveurs consciencieux ont été remis à l’honneur. Zappeurs et avides de saveurs comme le sont les citadins, la viande ne pouvait échapper à la lame de fond.  »  » On observe que les gastronomes de la nouvelle génération n’apprécient pas uniquement les produits, renchérit Nicolas, ils aiment aussi les histoires que ceux-ci véhiculent. La constante derrière tout produit qui marche aujourd’hui, c’est l’émotion, l’empathie. En la matière, la viande, oui, mais ni en version industrielle, ni dans les chaînes de restaurants impersonnelles.  »

Parmi les différentes adresses parisiennes qui témoignent de ce nouveau souffle, un constat commun : l’âge du public. Il faut, en effet, compter avec une génération de trentenaires et de quadragénaires à la fine pointe des dernières tendances. Autre fil rouge : les grands efforts de transparence et de traçabilité consentis par ces nouvelles enseignes. Chacune y va de cartes détaillées expliquant l’origine et le parcours accompli de l’élevage et l’assiette. Certaines invitent même les amateurs à se rendre sur place lors de journées  » portes d’étables ouvertes  » afin d’évoluer in situ la qualité de l’élevage.

Paris et ses folies carnassières

L’un des endroits les plus exemplatifs de ce renouveau est assurément le bien nommé Meating. Ouvert il y a six mois dans le XVIIe arrondissement par Robert Bouchard, ce restaurant connaît depuis un beau succès. Il se démarque par un cadre contemporain sobre, inspiré par les steak-houses mondains new-yorkais qui excluent les allusions directes à l’univers de la viande.  » C’est une volonté personnelle de ne pas promouvoir un décor évoquant la boucherie, explique le maître des lieux. Je pense que comme le trauma a été profond, il faut apprivoiser les consommateurs sans les brusquer.  » S’il a pris des précautions quant à la forme, Robert Bouchard ne transige toutefois pas quant à son credo.  » Le principe de Meating est de faire découvrir le plaisir d’une viande haut de gamme issue des meilleurs élevages, souligne-t-il.  » Meeting  » en anglais veut dire  » rencontre « ,  » meat  » signifie  » viande « . Ici les clients partent à la rencontre des meilleurs producteurs et des plus beaux produits.  »

De fait, les races répertoriées à la carte comptent parmi les plus prestigieuses : B£uf de Chalosse, Blonde d’Aquitaine, Hereford Prime d’Irlande, Charolais, Agneau de Pauillac, Porc Noir Gascon… Mais Meating pousse la démarche bien au-delà de la sélection pointue de pièces de viandes. Robert Bouchard accorde aussi une importance maniaque à la cuisson qui doit sublimer la saveur et la tendreté. Pour ce, le chef utilise une technique unique û à la précision horlogère û conciliant le  » broiler « , soit le four à viande américain, et un procédé de four à charbon de bois.

D’autres arrondissements parisiens ont aussi succombé à cette nouvelle tentation de la chair. Le VIIe fait ainsi valoir le Titi Parisien. Sous-titré on ne peut plus clairement  » bistrot à viandes « , ce restaurant offre aussi une vue imprenable sur les Invalides. A classer dans la catégorie  » néo-bistrot « , il décline une très belle scénographie mêlant modernité et esprit de chine enrobés dans des tonalités couleur taupe. On y pointe des éléments célébrant la tradition et le terroir : une balance à deux plateaux comme autrefois, un beau zinc en étain, un miroir vénitien, un tableau noir où figure le menu et un habillage graphique reprenant le papier à carreaux dans lequel les bouchers emballent la viande. Pour Axel Baiot, l’un des associés, le créneau résulte moins d’un opportunisme mercantile que d’un goût personnel profond pour la viande.  » On a ouvert l’endroit qu’on avait envie de trouver à Paris « , résume-t-il. En deux mois seulement, Titi Parisien a suscité un véritable engouement qui ne s’attribue pas qu’aux seules qualités de Vincent Mazuel, son chef. La matière première y est également pour beaucoup. Les associés ont opté pour un savoureux b£uf de Simmental, une race bovine de Bavière que l’on appelle également  » Pie Rouge « . Le tout labellisé par un logo  » Qualité de Bavière Origine Garantie  » permettant de savourer une viande contrôlée par des organismes indépendants. Le label certifie dans la foulée des animaux nourris de fourrages et de foins frais avec apport de céréales nutritives. La carte décline aussi andouillette A.A.A.A.A., côtes d’agneau et jambon  » Pata Negra « .

Le VIIe arrondissement compte également le Cinq Mars, une toute nouvelle adresse qui défraie déjà la chronique par une sélection pointue de viandes et de saucisses û ces dernières viennent de chez Conquet, un véritable orfèvre du terroir û opérée auprès de petits producteurs à la minutie toute artisanale. La carte privilégie la cuisine familiale en réhabilitant la viande façon filet de b£uf, filet de veau poêlé au thym ou jambon croquant accompagné d’une salade de lentilles. Des mets arrosés de vins nature pour un esprit 100 % respectueux de la qualité des produits. Détail amusant, le décor est l’£uvre de Muriel Bardinet, une décoratrice belge connue pour Dune, sa boutique bruxelloise de la rue Haute.

Toujours dans un esprit très Paris rive gauche, la Boucherie Roulière vient de voir le jour en plein c£ur du VIe arrondissement. Inaugurée par Franck Peinturier et Jean-Luc Roulière û dont les lettres de noblesse dans la boucherie remontent à cinq générations û l’enseigne aligne des plats costauds façon terrine de queue de b£uf, os à moelle, onglet de b£uf et inévitable côte de b£uf… Celle-ci est proposée avec, dans chaque assiette, un os à moelle et ses toasts, un petit set de trois moutardes et une belle part de frites maison. Bien persillée, servie saignante et parsemée de fleur de sel, ferme sans être dure, elle témoigne de la passion des deux associés pour la viande. La décoration très bistro, quant à elle, égrène des photos noir et blanc dédiées aux plus beaux spécimens bovins des terroirs français.

Bleu Blanc… Belge

En Belgique également, la viande redore son blason. Même si le mouvement n’est pas aussi radical qu’à Paris, les tentatives se multiplient. A la façon de ce qui se passe du côté du Meatpacking de New York û le quartier des bouchers en gros investi par les griffes les plus fashion façon Stella McCartney ou Catherine Malandrino û plusieurs restaurants en vue se logent dans d’anciennes boucheries. Pas ingrats, ceux-ci ne manquent pas de promouvoir les plats carnés.

Le City-Guide Louis Vuitton ne s’y est pas trompé en classant, à Anvers, le Bar(t)-à-Vin dans ses choix étoilés après seulement quelques mois d’ouverture. Situé dans le quartier des abattoirs, ce restaurant a pris place dans un ancien commerce où l’on désossait autrefois la viande. Avec ses carrelages Art déco de boucherie des années 1930, le lieu appartient au patrimoine gourmand national. Bart Adriaenssens, la patron, a eu l’intelligence de conserver le décor originel… jusqu’aux anciens crochets de boucherie au plafond. Ici, c’est la spontanéité et la décontraction de la carte qui séduisent. En entrée, on a le choix entre antipasti et charcuteries. Mention spéciale pour l’excellent jambon corse. Le plat unique varie en fonction du jour de la semaine. Côté viande, le mardi est ainsi dédié au steak tartare dans une version tendre et goûteuse qui en fait un vrai must.

A Ixelles, la Cuisine oublie les effets de manche et les tours de passe-passe pour se concentrer sur l’assiette. Les accessoires ont été réduits au minimum. Pas de carte, juste un grand tableau vert qui reprend de façon scolaire les suggestions du jour. Pas de chichis non plus pour le pain qui est présenté sur une simple planche en bois. Cette mise en scène dépouillée permet d’apprécier davantage le contenu de l’assiette. La spécialité du maître des lieux, Nicolas Hamaïde ? Un  » filet de b£uf argentin tatakki « . Le  » tatakki  » est un procédé de cuisson japonais qui consiste à saisir la viande, la laisser refroidir et la couper en fines tranches pour la manger froide. Elle est juste rehaussée d’un mélange savoureux de baies roses, de poivre de Sichuan et de menthe fraîche. Le plat est accompagné d’un assortiment de légumes du marché. Du jeudi soir au samedi soir, Nicolas Hamaïde propose aussi filets mignons de porcelets, carrés d’agneaux ou gibier en saison… selon le goût du jour.

A noter aussi : le beau travail d’Alexandre Masson. Ce chef talentueux est aujourd’hui û avec son frère û aux commandes du Variétés, qui a pris place dans le grand  » Paquebot  » de la place Flagey, à Ixelles. Le cadre se présente comme une véritable ode au zebrano, ce bois africain qui a fait fureur dans les années 1930. Un choix en forme d’hommage à la cohérence architecturale globale puisque l’architecte Joseph Diongre en avait fait un bel usage dans le bâtiment de l’ex-INR. On saluera l’audace de ce placage recouvrant la totalité des murs. Les chaises, elles, sont un clin d’£il à l’univers scolaire, sans rien concéder au confort. Le jeu sur la lumière a été lui aussi joliment étudié : grandes baies vitrées et éclairage modulable pour une tonalité chaleureuse. Les deux propriétaires ont opté pour une rôtisserie en phase avec une gastronomie gourmande et cool qui épouse à merveille l’ensemble du projet. Alexandre Masson propose une sélection de plats, entre carrés d’agneau, côtes de b£uf et jambonneaux laqués au miel. Une carte qui ne s’est pas encombrée d’£illères, puisqu’elle comporte aussi… des plats végétariens.

Michel Verlinden

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