Graveur de formation, aujourd’hui reconverti dans la peinture, l’artiste tournaisien convoque tous les noirs pour raconter le ciel, la terre, la mer en le temps qui passe. Il nous ouvre les portes de sa maison et de son atelier: un havre où la couleur n’est pas exclue.

tournaisien convoque tous les noirs pour raconter le ciel, la terre,

la mer et le temps qui passe. Il nous ouvre les portes de sa maison et de son atelier : un havre où la couleur n’est pas exclue.

La maison est une bâtisse moyenne un peu à l’écart du centre-ville de Tournai. Aspect bourgeois mais, à l’intérieur, c’est une tout autre ambiance… Le jour de notre visite, Alain Winance met la dernière main à son exposition bruxelloise qui réunit environ 30 tableaux et 30 dessins, cru 2010 et 2011 (*). Et nous propose de faire un tour à l’atelier, situé au fond d’une jolie cour pavée, bordée de bambous et d’un palmier vigoureux. Le résultat des travaux, étalé sur les murs blancs de ces anciennes écuries, est bluffant. Sur les toiles immenses, des coups de pinceaux noirs, tantôt léchés et graphiques, tantôt rythmés et tourmentés, donnent relief et vie aux masses d’eau et aux masses d’air.

 » Ce qui m’intéresse de plus en plus, c’est la ligne d’horizon, l’espace coupé en deux, le passage entre le haut et le bas, entre la terre et le ciel, entre la mer et le ciel, s’enthousiasme l’artiste. Le travail démarre toujours à l’extérieur, sur les plages de Boulogne-sur-Mer. Les sujets mûrissent lentement, car la mer a besoin de temps.  » Il broie lui-même ses pigments. Pendant ce long travail de préparation, les idées viennent, se mettent en place et guident facilement la main sur la toile. Un coup de pinceau en appelle un autre.  » L’huile va bien avec le romantisme, c’est lent, ça bouge, on peut revenir, corriger, recommencer, peaufiner les détails chez soi. Dehors, j’inspire, à l’atelier, j’expire. « 

LA MAISON DE LA MÉMOIRE

La matinée d’Alain Winance commence par une longue promenade avec son chien, la contemplation du ciel, des arbres et de l’air du temps. De retour à l’atelier, il ne le quitte plus et peint toute la journée. Le superbe espace déployé sur deux niveaux est un endroit de rêve pour un artiste. C’est d’ailleurs lui qui a décidé l’acquisition de la maison, une construction des années 30 ayant connu des affectations improbables et servi, notamment, d’entrepôt de surgelés et d’écurie.

À côté de l’habitation, il y avait  » une dent creuse « , une ruelle qui menait directement vers l’atelier. Une extension sur pilotis ultramoderne a judicieusement bouché ce  » trou  » et permet, aussi, d’accéder à l’atelier en passant par en dessous. Christine Wallyn, architecte française de la région, a décroché pour ce projet le prix de la rénovation de la Région wallonne.  » C’est une maison  » en miroir « , souffle le maître des lieux. L’extension a un côté radical, la partie ancienne a gardé sa touche romantique. « 

La nouvelle partie accueille le salon, généreusement éclairé par une immense baie vitrée donnant sur le jardin et par une large ouverture-bandeau le long du toit. Le décor s’est construit sans a priori, au fur et à mesure des voyages, des rencontres, des souvenirs et des £uvres reçues d’amis artistes. Les invités s’installent dans des fauteuils Chesterfield jonchés de coussins multicolores, autour d’une table marocaine. Le regard est accroché par le  » coin africain « .  » J’ai été élevé par mon grand-père qui a vécu longtemps au Congo, explique le peintre. Ces masques, lances et baguettes de sourcier me replongent dans la petite enfance. « 

Parfaitement en phase avec cette collection, une grande  » racine  » légèrement torsadée est l’£uvre d’Emile Desmedt, l’un des meilleurs céramistes belges. Aux murs, deux grands tableaux témoignent de deux  » périodes  » d’Alain Winance. Grand Salon rouge avec sa nature morte bleu indigo sur fond rouille rappelle les couleurs du Maroc.  » J’y tiens beaucoup, car je n’ai plus rien de cette époque « , note-t-il au passage. Sur le mur voisin, Les Marches, comme calligraphiées à l’encre de Chine, reflètent ses réflexions actuelles. Partout ailleurs, le même fil conducteur régit l’aménagement de l’espace. Le mobilier de famille, des vitrines anciennes regorgent de céramiques, de gravures, de dessins, d’objets de charme, de souvenirs, de petites peintures qui racontent toute une vie emplie d’amitiés, d’instants de magie et de moments de bonheur. Et qui sont autant de sources d’inspiration.

LE PEINTRE DU TEMPS QUI PASSE

Alain Winance met en scène des climats particuliers, construit des ambiances graphiques où l’on se sent bien.  » Je ne suis ni un peintre figuratif ni un peintre abstrait. Je peins le temps qui passe. Chaque jour est différent. Je ne tiens pas compte des tendances. Il faut être soi-même, il faut être juste.  » Une reconversion heureuse pour ce graveur de formation, né à Tournai en 1946, qui vient de trouver sa voie il y a environ six ans.

Enfant, il ne subit aucune influence de son père, professeur de peinture à l’Académie de Tournai et portraitiste prolifique à ses heures. Lui, il est fasciné par la communication visuelle, l’art de faire passer ses idées par des images, par la peinture des  » pubards  » : Warhol ou Rauschenberg, et par le pop art. Les études artistiques s’imposent comme une évidence. Il s’inscrit à la section estampe et gravure (passage obligé pour les futurs publicitaires) à l’école des beaux-arts de Mons. Une période  » géniale « , enrichissante et foisonnante.  » Mons était une école de réflexion et d’humanité… À une époque où l’on se battait pour les idées, entre abstraits et figuratifs, parfois ça pouvait tourner mal. Cela m’a enrichi, je m’en souviendrai toujours. « 

Diplôme de graveur en poche, Alain Winance est engagé comme maquettiste par La Redoute à Roubaix et se hisse rapidement au poste de directeur artistique. La pub vit son âge d’or : on s’amuse en travaillant et on gagne bien sa vie. En 1973 s’ouvre le poste de professeur de gravure à l’école des beaux-arts de Tournai. Il n’hésite pas une seconde.  » Je gagnais moins, mais je faisais ce que je voulais. La gravure m’a pris la tête et tout mon temps, elle est devenue une passion énorme.  » Une exaltation de trente ans, mise en veilleuse en 2003 avec le passage à la retraite : la liberté retrouvée lui ouvre de nouveaux horizons et fait éclater au grand jour son inclination pour la peinture.

Les premiers essais, modestes, remontent toutefois au début des années 80 et l’attachement à la peinture à l’huile à 1999, très précisément, après la mort de son père dont c’était le domaine. Les premiers sujets ? Le travail sur le quotidien qui prolonge son £uvre de graveur.  » Je peignais les choses de la vie, les petits riens, le temps qui passe, l’ombre et la lumière.  » Le  » choc  » survient il y a environ six ans. En passant à côté du Mont Saint-Michel, l’artiste assiste à d’immenses marées, vastes comme des miroirs. En se retirant, elles font place à des centaines de vieux pieux, alignés comme une  » armée en marche « . Images hypnotisantes qui aiguisent son goût pour la beauté de la nature et ses métamorphoses.

Après une longue période d' » enfermement « , Alain Winance se met à peindre à l’extérieur, dans un grand besoin de confrontation avec l’espace et les éléments qui nous dépassent. Son parcours de graveur en a fait l’homme des noirs, à une période d’exception près, influencée par plusieurs séjours au Maroc.  » Un jour, à la veille de la fête du roi, tout le monde repeignait sa maison dans un rouge qui moussait comme de la bière. J’ai eu un véritable choc de couleurs, à l’origine de ma  » période  » rouge, bleu et jaune. Quand les souvenirs se sont estompés, je suis retourné au noir et blanc. « 

(*) Alain Winance, peintures et dessins, galerie 2016, 16, rue des Pierres, à 1000 Bruxelles, tél. : 02 502 81 16. Jusqu’au 27 mars, du jeudi au dimanche de, 13 à 18 heures.

PAR BARBARA WITKOWSKA / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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