le skrei – nom donné au cabillaud durant la période du frai – est un délice hivernal… Il fait depuis mille ans la richesse des lofoten, un chapelet d’îles montagneuses accrochées à la norvège, au-delà du cercle polaire. cap au nord pour une pêche qui décoiffe.

Recettes en page 64.

Carnet d’adresses en page 72.

Des flots bleus émergent, magnifiques et grandioses, des pics rocheux enneigés. Par temps clair, le ciel est lui aussi d’un bleu quasi virginal. Et que dire de ces rougeoiements du soir et du matin, de ces embrasements solaires du Grand Ñord à nuls autres pareils. Mais pour celui qui accoste la première fois ici, un élément du pay-sage intrigue, produit de la main de l’homme. Il s’agit d’immenses échafaudages, sorte de  » villages  » de grandes perches en bois. A partir du mois de février, les habitants des Lofoten commencent à y faire sécher une partie d’une pêche que l’on dit miraculeuse. Durant trois mois environ û de février à avril û, le cabillaud arctique adulte vient pondre dans les eaux de ce chapelet d’îles du Grand nord. Par bancs gigantesques, les poissons arrivent de la mer de Barents, à l’extrême nord de la Norvège, là où elle rencontre la Russie. Au fil d’un voyage de quelques centaines de kilomètres, leur chair évolue, pour devenir ferme et blanche. Durant cette même période, le cabillaud porte le nom de skrei (skrei et cabillaud portent d’ailleurs le même nom scientifique : Gadus morhua).

La saison de pêche au skrei s’ouvre lorsque les bancs migrateurs sont arrivés en suffisance. A ce moment-là, la flotte amarrée dans les ports est tout simplement impressionnante. Aux quelque 1 800 marins pêcheurs indigènes des Lofoten viennent s’ajouter des centaines d’autres, venus avec leur bateau des autres régions du pays. La campagne de trois mois terminée, ceux-ci s’en retournent chez eux ou poursuivent leur périple vers d’autres zones de pêche.

Que ce soit à Henningsvear û la Venise des Lofoten û ou dans les autres ports, le rituel est immuable. Bien alignés, les premiers bateaux attendent dans l’obscurité l’heure du départ. Ils partent tôt pour rentrer bien avant le coucher du soleil. Si les plus grosses embarcations utilisent des filets, les protagonistes se livrent à une pêche à la ligne, répétant au fil des heures les mêmes gestes. Au-dessus du banc de skrei repéré par leur radar, ils descendent la ligne munie de gros hameçons. Puis d’un mouvement de l’avant-bras du haut vers le bas, ils agitent celle-ci jusqu’à ce que le poisson morde. La ligne est rembobinée pour sortir la prise des eaux. Un coup fatidique est alors asséné sur la tête (âmes sensibles s’abstenir !) et le poisson rangé dans l’embarcation. En moins de quarante ans, la quantité de skrei pêchée dans les Lofoten a été divisée par dix. Ce qui signifie que des 147 mille tonnes pêchées en 1947, on est passé à dix fois moins au milieu des années 1980. Des mesures strictes de protection permettent toutefois aujourd’hui de revoir ces chiffres légèrement à la hausse.

De retour au port, la pêche du jour est livrée à des transformateurs, auxquels s’offrent deux possibilités : expédier les poissons éviscérés à l’état frais et participer ainsi à la grande campagne de promotion orchestrée chaque année sur le thème du skrei,  » poisson miracle  » de Norvège, ou préparer ces mêmes poissons pour le séchage. Pour obtenir un poisson séché parfait, il faut que le corps de l’animal frais soit exempt de blessures. Même un petit trou d’hameçon risque de perturber son évolution. Toute trace de sang est proscrite et l’entaille résultant de la décapitation ne peut davantage souffrir d’approximation. Lavés soigneusement à l’eau de mer, les poissons sont ensuite joints par deux au niveau de la nageoire caudale, de manière à pouvoir les suspendre à cheval sur des rondins de bois. Reste à la nature d’accomplir son £uvre millénaire et produire les meilleures morues séchées du monde. On les retrouvera ensuite, sous le nom de stoccafisso, en Italie, le pays qui achète les deux tiers de la production norvégienne.

Pour l’anecdote, les Lofoten s’enorgueillissent d’une autre tradition séculaire, celle de l’ablation de la langue et des joues du skrei, opération réservée aux enfants qui gonflent ainsi leur tirelire au fil des après-midi…

Les recettes 1. salade de skrei,

échalotes confites

et betteraves

Pour 4 personnes : 500 g de skrei en filets (sans la peau), assortiment de légumes et herbes pour court-bouillon (carotte, poireau, céleri vert, thym, ail), 1 grosse betterave rouge cuite détaillée en cubes ou en bâtonnets, 6 à 8 échalotes, 2 à 3 dl d’huile d’olive vierge, 2 chicons, 1/6 botte de ciboulette, 4 cl d’huile d’olive extravierge, 4 cl d’huile d’arachide, 2 cl de vinaigre de xérès, 1 cl de vinaigre balsamique, sel de mer, poivre.

Eplucher et émincer les échalotes dans le sens de la longueur, les confire durant ± 30 min dans l’huile d’olive vierge, à petits frémissements. Laisser reposer ensuite.

Pendant ce temps, pocher les filets 3 min dans le court-bouillon chaud. Egoutter et bien effeuiller.

Parer et effeuiller les chicons. Confectionner la vinaigrette avec les deux huiles, les deux vinaigres, sel et poivre.

Dresser l’assiette avec les échalotes confites, les betteraves et les feuilles de chicon. Disposer les copeaux de skrei et assaisonner de la vinaigrette. Décorer avec la ciboulette (facultatif).

2. skrei au vert

Pour 4 personnes : 700 g de filet de skrei (avec la peau), 1 laitue, 100 g net de cresson (ou de salade de blé), 80 g de beurre salé, 25 cl de crème fraîche, sel et poivre.

Laver la laitue et le cresson (ou la mâche). Mettre à étuver dans une casserole à couvert avec 1 noix de beurre, sel et poivre. Compter 5 min. Passer au mixer, ajouter la crème fraîche, rectifier en sel et poivre et laisser mijoter à découvert 5 min, jusqu’à léger épaississement.

Poêler les filets de skrei à l’unilatérale avec le reste du beurre (idéalement employez du beurre clarifié). Il ne faut donc pas les retourner. Arroser très régulièrement avec le beurre, pour préserver leur moelleux.

Napper les assiettes avec la mousse de verdure. Déposer le poisson, préalablement assaisonné.

3. skrei au sésame,

semoule au pavot

Pour 4 personnes : 4 tranches de skrei de ± 180 g (en filet avec la peau), 200 g de semoule de blé (fine), 20 g de graines de pavot, 1 branche de thym, 1 petite feuille de laurier, 1 poivron vert, 1 poivron rouge, 40 g de graines de sésame, 20 g de sel, poivre, huile d’olive extravierge, vinaigre de xérès.

Faire infuser le thym et le laurier dans 30 cl d’eau bouillante, hors du feu.

Saler et poivrer la semoule, ajouter un fin filet d’huile d’olive. Verser le liquide (débarrassé du thym et laurier) encore chaud sur la semoule, bien mélanger, couvrir d’une feuille aluminium et laisser gonfler 15 min. Vérifier si la semoule est assez tendre en remuant de temps à autre. Ajouter les graines de pavot.

Tailler la chair des poivrons en cubes, le plus finement possible et les poêler 6 à 7 min à l’huile d’olive, sans colorer. Laisser reposer, égoutter et ajouter à la semoule.

Dans une poêle antiadhésive, poêler 30 sec de chaque côté les tranches de skrei (assaisonnées) à l’huile d’olive en commençant par le côté peau.

Placer dans un plat pour le four, côté peau au-dessus,  » tartiner  » celui-ci avec les graines de sésame et enfourner 4 min à 180 °C.

Assaisonner la semoule avec un peu de vinaigrette au Xérès, rectifier l’assaisonnement en sel et poivre. Dresser la semoule chaude au centre de l’assiette, déposer le poisson dessus et décorer avec des cubes de poivrons rouges et verts.

4. skrei terre et mer

Pour 4 personnes : 4 portions de skrei de 160 g environ, dans le filet avec la peau, 200 g net de tomates fraîches, 150 g de lard fumé, 400 g de pommes de terre (type corne de gatte ou Florenville), 1,5 dl de fumet de poisson, persil, cerfeuil, ciboulette, beurre, huile d’olive extravierge, sel de mer, poivre.

Laver les pommes de terre, les détailler en petits cubes avec la peau et les dorer 10 à 15 min dans du beurre et de l’huile d’olive.

Emincer le lard en longs lardons, les blanchir légèrement à l’eau bouillante et les faire revenir dans un peu de beurre.

Peler et épépiner les tomates et préparer 200 g de jolis dés.

Hacher les fines herbes.

Cuire les petits pois al dente.

Pendant ce temps, enfourner le skrei 10 min à 140 °C, côté peau en bas, légèrement huilé.

Récupérer les sucs et déglacer avec le fumet de poisson. Réduire de moitié et ajouter tomates et lardons. Incorporer une belle noix de beurre. Ajouter pommes de terre et fines herbes.

Sur assiette, napper le skrei (tenu au chaud) avec cette préparation. n

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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