L’équivalent masculin de la robe de soirée aimante les envies de formel de la jeune génération. Décryptage de la black tie attitude version 2014.

Smoking or not smoking, demandaient les années 2000. Smoking, répond résolument 2014. Rompant la course à la décontraction menée par leurs aînés, les jeunes mâles ressuscitent le fantasme de l’homme impeccable, paré, cravaté, boutonné – bref, protégé de pied en cap par un caparaçon d’élégance. Cela porte un nom : le formel. Les vestes s’armurent à nouveau de toiles et de paddings, les tissus s’assèchent, les souliers osent la fragilité du daim, le compliqué noeud papillon revient butiner les cols… Ce qu’on a si longtemps conspué est devenu branché. Dans la foulée, le costume offre des émotions neuves à une jeunesse qui a grandi en baskets. Et qui frissonne d’investir un jour ce pic du chic : le smoking. C’est la tenue magique qui rend beaux les moches, fringants les avachis et donne un air de conférencier savant aux débutants les plus godiches.

Moqué par les fortes têtes, ce  » costume de pingouin  » ostensiblement élitiste n’avait plus sa place dans nos vieilles démocraties, à la modestie sourcilleuse. Mais le frisson de l’interdit est le seul qui vaille… Lorsqu’on rêve de fêtes, d’opulence et de célébrité, le smoking – équivalent masculin de la robe haute couture – est incontournable. Uniforme des grands orchestres, canonisé dans sa version bling par l’inoxydable James Bond, il reste, chez nous, la tenue obligée des premières cinéma, des cérémonies de remises de prix et des galas de charité. Des occasions trop rares pour qu’on s’accoutume à le porter avec aisance : dans nos contrées, le smoking est endossé souvent de façon raide, endimanchée, sculpturale. Autre est son sort dans les pays anglo-saxons. Dans les parties de chasse de l’aristocratie britannique ou lors des fiestas innombrables de Los Angeles, le black tie (smoking) est une tenue vivante, commode, presque courante, qu’on habite avec décontraction.

AVEC OU SANS NoeUD

Non seulement ce costume s’accroche à la vie, mais ses codes constituent un réservoir de chic dans lequel puisent les créateurs pour pimenter des tenues qui le sont moins. Il y a dix ans, ils appliquaient sur des pantalons ordinaires le galon de velours qui orne celui du smoking, ou retravaillaient sa grande ceinture en soie façon torero – elle fait bomber le torse ! Il y a cinq ans, ses souliers vernis se voyaient déclinés dans tous les modèles, baskets comprises. Après le revival du perfecto – ce smoking rock’n’roll du noctambule de la fin des seventies -, c’est au tour des revers de veste de s’en inspirer, revêtus de soie, de cuir, arborant une autre teinte ou retournés en double face… De quoi surligner le côté habillé d’un blouson blanc Hermès ou d’une veste sport Kenzo. Ou booster d’un twist rock un costume Saint Laurent plutôt classique.

Comme tous les objets cultes, le smoking est imaginé en statue intangible, dont chaque détail a sa raison d’être. Erreur : c’est une galaxie. Porté pendant plus d’un siècle, à travers des cultures diverses, il s’est déjà décliné à l’envi. Flamboyantes et soignées, les éblouissantes créations de Brioni, roi de la dolce vita romaine, le prouvent : ses belles années sont derrière lui. Paradoxalement, ce symbole du  » tiré à quatre épingles  » était à l’origine une tenue décontractée, qui reposait du frac – l’habit à redingote porté par les chefs d’orchestre et les prestidigitateurs – indispensable à qui frayait dans le monde. Inventé à la fin du XIXe pour les réunions masculines – au fumoir, on était entre hommes -, ce vêtement d’intérieur en laine, taillé près du corps, se caractérisait par des boutons recouverts de tissu, un col précieux, en soie ou satin, amovible, qu’on changeait quand la cendre le trouait, et des basques raccourcies pour les mêmes raisons. Autour du plastron blanc, telles deux ailes brillantes, les revers de veste couronnaient une silhouette lisse et amincie, prolongée par des souliers vernis. A l’inverse, sa variante américaine (le tuxedo) se composait d’une veste plus ample, en brocart ou blanche, adoucie d’un col châle, sur un pantalon sombre. Ces variations incluent le spencer, la dinner jacket et d’autres parures précieuses qui se sont, l’oubli aidant, dissoutes dans le smoking.

Sachant qu’il en coûte environ un millier d’euros, faut-il investir dans cette pièce peu portée lorsqu’on ne se marie pas tous les mois ? Il ne manque pas d’agences qui en louent pour la soirée, même si les modèles n’y sont pas toujours fringants.  » Assurément, explique Pascal Leloup, vendeur chez Zegna, c’est un investissement de base. Nous proposons le smoking dans quatre lignes, dans des tissus plus ou moins luxueux, entièrement ou en partie monté main. Deux d’entre elles s’adressent aux plus jeunes, avec des épaules souples, des pièces courtes et  » fittées « . Si le smoking croisé convient aux hommes élancés, il a le défaut de se porter toujours fermé. On préfère sous nos latitudes la veste droite, aux revers crantés, avec une chemise blanche à col droit et un noeud papillon assorti.  »  » Le noeud pap’ est l’attribut naturel du smoking, renchérit-on chez Smalto. A Cannes, il se porte souvent défait… On observe un vrai retour du smoking en version rajeunie, près du corps, avec un col châle, que nous proposons agrémentée d’un oeillet rouge.  »  » Du smoking, beaucoup ne portent que la veste, enfilée sur un jeans, assure le tailleur parisien Lorenzo Cifonelli. Le smoking s’est ouvert aux fantaisies les plus multiples, mais il sera toujours plus beau sur mesure.  »

L’ART DE DÉCLINER

Les grandes maisons de prêt-à-porter incluent souvent dans leurs présentations une ou deux de ces pièces, aussi coûteuses qu’expressives. Leur retour en grâce a décidé Michael Kors à dédier au tuxedo une nouvelle ligne à part entière, en Super 130 noir. Même un amateur d’imprimés et de déstructuré tel que Riccardo Tisci va y sacrifier, en dévoilant dès juin prochain, trois nouveaux smokings Givenchy (lire par ailleurs). Saint Laurent le propose cet été en versions laine ou gabardine noire, rajeunies par des revers de veste en cuir, de fines cravates assorties et des ceintures mexicaines. Chez Louis Vuitton, des chaussures argentées décontractent des smokings noirs de cérémonie, laissant le glamour  » habillé  » s’exprimer dans des costumes croisés à col châle. Attachés à présenter pour chaque collection un vestiaire complet, les Italiens ont plaisir à réinterpréter le smoking : flanelle fine et col châle décadré chez Fendi ; broderies et patchwork chez Etro ; veste à motifs sur pantalon noir chez Dsquared2 ; beaux smokings bleu nuit à col velours chez Valentino… Faisant bande à part, deux ténors du genre ont rajeuni leur offre. Giorgio Armani, qui s’en tient, pour cette saison, à quelques vestes de smoking, proposées dans sa ligne  » sport  » Emporio. Quant à Brioni, mal remis de son divorce d’avec James Bond (Daniel Craig a imposé les modèles spectaculaires de Tom Ford), sa nursery de chefs-d’oeuvre s’est contentée d’un modèle noir et slim dont la veste, en soie tissée de motifs japonais, exprime une splendeur discrète. Le smoking est toujours un peu cérémonieux. Il a indisposé Kris Van Assche, qui déclarait récemment :  » A Miami, en smoking sur la plage, je me suis senti vraiment ridicule.  » D’où l’idée de créer pour Dior Homme une collection conciliant sportswear et tuxedo. Galons de soie aux revers et aux poches, les vestes droites bleues, noires ou bordeaux adoptent de nouveaux volumes (le bouton  » athlétique « ) qui siéent au corps, ou rétrécissent en chemisettes qui se prêtent au port du bermuda. Concentré de chic brillantiné, le smoking garantit une déflagration lorsqu’on le mélange avec son contraire. Dans l’Ohio, Scott Sternberg a découpé le sien dans une énigmatique matière blanche à l’aspect froissé. D’autres porteront le leur sur un jeans déchiré, un pantalon de pyjama, voire – tendance oblige – un pantalon noir brodé d’argent façon Zorro. Une chose est sûre : ces fantaisies ne franchiront jamais la porte d’une authentique soirée black tie.

PAR JACQUES BRUNEL

Ce symbole du  » tiré à quatre épingles  » était à l’origine une tenue décontractée.

Le costume offre des émotions neuves à une jeunesse qui a grandi en baskets.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content