Les frères Spruyt, ténors belges de l’art des jardins, ont rarement collaboré sur un même projet. C’est cependant le cas dans la propriété de Jan, dessinée par Guido. Particularité de cette ouvre en duo : le parti pris de la prairie qui signe une nouvelle manière, plus écologique, de composer avec les plantes vivaces.

Jan Spruyt est un spécialiste incontesté des vivaces. Son frère aîné Guido, lui, après avoir été un précurseur dans la culture des plantes aquatiques, est devenu un expert en espèces de grande taille : sa pépinière compte une large variété de topiaires (if, buis, charme, etc.) ainsi qu’arbres et arbustes sélectionnés pour leur singularité et patiemment taillés.

Guido Spruyt est aussi paysagiste. Et c’est très logiquement que Jan a fait appel à lui lorsqu’il s’est agi, voici une dizaine d’années, de concevoir le jardin de sa nouvelle demeure.  » Jan et son épouse Ann voulaient que l’ensemble intègre leur activité horticole à la nature environnante, rappelle Guido. Ce n’est donc pas un hasard si une partie du terrain est occupée par des serres qui bordent une parcelle originellement destinée à la collection de plantes de mon frère. « 

Ce souci d’harmonie s’illustre en différents endroits de la propriété, nichée à Buggenhout, en Flandre-Orientale. Un canal a été tracé dans l’axe de l’habitation, comme s’il prolongeait le regard vers l’horizon. Il est encaissé entre deux berges bien marquées et bordé d’aulnes glutineux  » Imperialis « , aux feuilles effilées.  » Le canal, c’est le miroir, explique Guido, l’eau tranquille dans laquelle la végétation et la maison se reflètent. Pour le creuser, nous avons excavé jusqu’à toucher la couche d’argile imperméable. Lorsque je crée un jardin, j’ai pour principe de garder les terres sur place. Pour, si le besoin s’en manifestait un jour, tout remettre dans l’état originel.  » Les berges, elles, sont richement agrémentées. L’une d’entre elles a même été aménagée en une promenade de sous-bois caractérisé par des plantes d’ombre. En hiver, notamment, y fleurissent de beaux spécimens d’Hamamelis.

Un second canal a été dessiné perpendiculairement : il est beaucoup plus informel, plus ouvert et moins profond.  » Pour les grenouilles « , ponctue Jan. Ce cours d’eau symbolise la connexion avec la belle campagne contiguë. Il est isolé visuellement des parties plus structurées par des haies hautes composées de hêtres, qui encadrent d’ailleurs l’immense rectangle où voisinent le potager et le jardin expérimental, reconverti depuis cinq à six ans en jardin de prairie.

Prairie Garden : cette appellation anglo-saxonne a pour origine le travail de Wolfgang Oehme et James van Sweden, deux maîtres du paysagisme américain. Ceux-ci ont puisé leur inspiration dans la prairie indigène des plaines du Midwest, un biotope qui fait une large place aux plantes vivaces et aux graminées qui se mélangent les unes aux autres. Comme elles sont sélectionnées en adéquation avec le sol et le climat, elles accomplissent un cycle végétatif complet, jusqu’à la formation des fruits, ce qui leur permet de ressemer. Parmi ses atouts, ce type de jardinage nécessite moins d’arrosages et ne requiert ni fertilisants, ni pesticides.

Pour réaliser un jardin de prairie, le paysagiste rassemble une  » communauté de végétaux  » qui prend en compte la structure, la texture, les couleurs, les rapports de taille, etc. entre les plantes, qui sont aussi choisies pour leur caractère décoratif.  » Le catalogue de notre pépinière de vivaces compte près de 3 000 espèces et variétés, que nous multiplions nous-mêmes à partir des plantes mères, s’enthousiasme Jan. Parmi celles-ci, il y a des espèces qu’on retrouve précisément dans le jardin de prairie : Phlox, Aster, Echinacea, Liatris, Monarda, Veronicastrum, Vernonia, etc., sans compter des graminées comme Schizachyrium, Calamagrostis, Sporobolus, Panicum, Sorghastrum… J’avais donc sous la main le matériel végétal nécessaire. En quelques années, mon choix a cependant évolué. Aujourd’hui, j’emploie par exemple moins de graminées qu’au début. « 

Un jardin de prairie exige cependant la mise en £uvre de quelques techniques. On plante dans un lit de 7 cm de graviers de pierre de lave : un couvre-sol qui limite le développement des mauvaises herbes, permet de stocker de la chaleur et de constituer des réserves d’eau venant de la pluie tout comme de la condensation de la rosée. En quelques mois, le nouvel espace prend forme. La saison est assez longue. Les bulbeuses sont les premières au rendez-vous. Elles se mélangent ensuite aux vivaces d’été. Puis vient la luxuriance avec les graminées et les vivaces d’automne. Et jusqu’aux portes de l’hiver, leur masse végétale, même desséchée, reste décorative, tirant avantage des brumes ou du givre déposé par les gelées.

Carnet d’adresses en page 72.

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

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