Ils étaient ringards, moqués, méprisés. Les voilà au sommet. Des NERD aux adeptes du mocassin, des beaufs aux mannequins ridés, pour eux, l’heure de la revanche a sonné.

Un scénariste hollywoodien n’aurait pas imaginé ce conte de fées contemporain en d’autres termes. Sauf que là, c’est la vraie vie. Celle de Boyle, Susan Boyle. A 48 ans, cette Madame Michu originaire d’une banlieue sinistrée d’Edimbourg est passée en quelques semaines du statut de vieille fille oubliée de tous à celui de star planétaire. Grâce à YouTube, plus de 60 millions de personnes ont visionné ses prestations sur le plateau de l’émission Britain’s Got Talent, jumeau british de Nouvelle Star. Malgré un visage taillé à la serpette et un look de sacristaine de province, en totale rupture avec les codes esthétiques actuels, celle que les sujets de Sa Majesté ont rebaptisée  » l’ange chevelu  » a effectivement su gagner l’estime d’un jury et d’un public plutôt hostile et méprisant au départ. En les envoûtant d’une voix pure, son trésor caché. Mais aussi parce que son désert amoureux et l’enfance Poil de Carotte qu’elle raconte sont des ingrédients de premier choix pour désarmer les cyniques et faire monter la sauce du buzz médiatique (lire interview en page 35). En un mois, le phénomène a enflé – on trouve même des poupées à son effigie sur le Net – si bien que Mademoiselle B. a atteint sans peine le stade final de la compétition le 30 mai dernier. A la clé, une superbe deuxième place. A bien y regarder, ce n’est pas seulement une réputation mondiale que cette improbable petite dame au physique ingrat a gagné, mais le statut d’icône de notre temps. Un modèle de revanche pour les anonymes, les gens simples, les ringards, les fripés et les beaufs. Tous ces parias du glamour, ces interdits du papier glacé et des conversations branchées. Jusqu’ici. Car ces outsiders, mine de rien, s’imposent de plus en plus dans le paysage médiatique (ciné, télé, Internet). Voire prennent d’assaut les bastions de la hype : la mode et la musique pop. Explications.

Populaire du temps

Prenons Nouvelle Star, justement. En 2003, quand le télé-crochet est lancé sur M6, ça sent le trémolo r’n’b collant et la variété fadasse. Puis vient la Saison 4 avec Christophe Willem, dit la Tortue. Une voix insoupçonnée, chaleureuse et disco greffée sur un corps de busé des cours de gym. L’animal propulse l’émission au c£ur des dîners en ville : on n’est plus honteux d’en parler. Les détournements de morceaux en pépites inventives par Julien Doré l’année suivante confirment le changement de cap. En 2007, la production convainc Philippe Man£uvre, rédacteur en chef du magazine Rock & Folk d’intégrer le jury de l’émission. Du coup, aujourd’hui, c’est devenu  » trop cool  » de suivre les aventures de ces jeunes chanteurs en quête de célébrité. De L’Express à Libération, la presse de qualité s’enflamme cette saison pour la voix ébréchée de la jeune Camélia Jordana et les fulgurances de Soan, le punk-teuffeur ténébreux. Chaque semaine, sur le Web, les chroniqueurs culturels y vont de leurs coups de c£ur et de leur débriefing sur la prestation de la veille. On savait depuis Loft Story et la Star Ac’ que les anonymes pouvaient devenir célèbres, pas qu’ils pouvaient se faire adouber par la critique et séduire durablement le cénacle sans pitié des branchés. Preuve ultime de la cote actuelle de Nouvelle Star, cette année Jean Paul Gaultier himself s’était porté volontaire pour relooker les candidats le temps d’un  » prime  » sur la scène de Baltard.

Vieux cool

Si à la télé ce sont les anonymes qui sortent des coulisses, sur les catwalks place aux mannequins ridés. Certes, la majorité des cabines reste dominée par un indécrottable jeunisme. Mais ces dernières saisons, chez Yohji Yamamoto, Ann Demeulemeester ou encore Kean Etro, les plus de 50 ans ne sont plus considérés comme des êtres dénués de séduction. Un calcul marketing plutôt intelligent susceptible de prendre de l’ampleur quand on connaît le pouvoir d’achat des baby-boomers face à celui des jeunes générations. Est-ce un hasard si les campagnes de pub Louis Vuitton mettent en avant des stars patinées et grisonnantes comme Sean Connery ou Keith Richard ? Si Lancel s’offre Adjani et Mango, Lauren Hutton ? De là à penser qu’aujourd’hui il vaut mieux avoir 50 que 20 ans, il n’y a qu’un pas. Que de plus en plus de magazines féminins franchissent allègrement en invoquant le magnétisme d’une Madonna ou d’une Sharon Stone en regard de l’insignifiance des starlettes débutantes. Une chose est certaine, dans le monde de la com’, vieillir semble de moins en moins être considéré comme une honte ou une tare à surmaquiller.

En mode encore, l’attirail des ringards et des papys d’hier semble être du dernier chic. On n’avait plus vu depuis longtemps autant de pyjamas, de cardigans et de mocassins dans les défilés de prêt-à-porter. D’après le site d’info alternatif Rue89.com, la dernière sensation serait par ailleurs au tee-shirt moche. Comprenez avec loups, clairs de lune et autres kitscheries dignes de fêtes de la bière en Bavière. La marque américaine The Moutain, spécialiste du genre, aurait ainsi augmenté ses ventes deà 2 300 % en quelques semaines. D’après Rue89, même Barack Obama aurait craqué pour cette esthétique second degré. Car il s’agit bien là d’humour. Cette démarche très postmoderne est bien connue des fashionistas : rien de tel que de se réapproprier des codes esthétiques surannés, pour faire acte d’originalité. Un processus de récupération éprouvé sur une planète fashion qui s’amuse à sublimer les codes de la ringardise pour mieux les détourner en nouveauté. Le même phénomène est aussi observé avec les lunettes de NERD. Des podiums D&G au nez de Sliimy, dernière friandise de la pop française en passant par celui du chanteur du groupe électro Hot Chip, la grosse monture à la Woody Allen fait sensation.

Les NERD vous emmà.

Le NERD, en gros Peter Parker avant qu’il devienne Spiderman, cet adolescent solitaire, fan de jeux vidéo et de littérature SF prend ainsi une sacrée revanche après des années de supplice. Bill Gates et Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, sont eux aussi passés par là. Le grand rejeté des cours de récré des années 1990 est devenu une source d’inspiration flagrante dans le vestiaire de ses anciens bourreaux : les beaux méchants, les mecs à filles. Qui s’amusent désormais à porter ces lunettes rappelant celles à triple foyer, donc… et aussi le col de la chemise boutonné comme un curé. Au ciné, Elie Semoun consacre d’ailleurs aux introvertis une comédie sous forme de fable avec le film Cyprien. L’histoire d’un geek puceau employé dans un magazine lifestyle qui découvre un déodorant aux pouvoirs de séduction incroyables. Vous avez dit looser ? Dans son docu-fiction A Complete History of My Sexual Failures, le Britannique Chris Waitt n’a pas hésité à se mettre en scène pour mener l’enquête sur ses échecs sexuels. Et de s£ur Sourire à Hubert Bonisseur de La Bath ( OSS 117), on notera en passant que les ringards ont la cote au ciné ces derniers temps.

Beauf is beautiful

Après l’énorme phénomène Ch’tis, il semble en outre que le beauf se soit racheté un gros capital sympathie. Johnny Hallyday continue de rameuter des foules de provinciaux en sueur tout en tournant pour le très respecté réalisateur hongkongais Johnnie To et subjuguant les cinéphiles parisiens. Le titre du film ? Vengeanceà Même l’insupportable Franck Dubosc se met à plaire aux pointus à la faveur d’un rôle remarqué dans Incognito, aux côtés de Bénabar. Et Mickey Rourke n’est plus has-been depuis qu’il est remonté sur le ring dans The Wrestler. Même Rémy Bricka est sur le retour. Figurant dans un clip de Julien Doré. Comme le dit la bonne vieille maxime, tout vient à point à qui sait attendre.

Baudouin Galler

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