On a beau le qualifier de virtuel, le marketing sur Second Life a pris une importance bien réelle dans la communication des grandes griffes. Voyage prospectif au cour du glamour version 2.0

Le concept était déjà incontournable dans le milieu de la musique, il est aujourd’hui en passe de le devenir aussi dans le domaine du luxe. Pour lancer le dernier sac hype ou un nouvel effluve, les grands noms de la mode et de la beauté n’hésitent plus à investir dans Second Life (SL), l’univers virtuel en 3D imaginé en 2003 par la société californienne Linden Labs. Un monde construit librement par ses résidents, qui gèrent leurs espaces – appelés îles – seuls ou en communautés, et qui possède son économie et sa monnaie propre, le dollar linden. Avec ses trois millions de visiteurs inscrits, dont 500 000 navigateurs réguliers, et ses 25 000 hectares d’espace vierge de panneaux publicitaires, cette planère parallèle représente une nouvelle terra incognita au potentiel inespéré pour les marques. Mais l’intérêt ne se limite pas à toucher un public XXL pour une somme dérisoire – pour un peu plus de 1 000 euros, on peut acquérir, à vie, une île de 65 000 m2. Le second effet Second Life, c’est le buzz qui va en découler, chez les internautes mais aussi dans la presse. Et ça, ça n’a pas de prix.

Parmi les derniers exemples en date, on retient le lancement, il y a quelques semaines, de Elle, le nouveau féminin d’Yves Saint Laurent. L’île créée à cette occasion permettait à ses visiteurs d’appréhender l’univers du parfum, dont on découvrait la source d’inspiration, la composition, le flacon, l’héroïne – une version pixellisée de Coco Rocha, l’égérie bien réelle de Elle. Et pour ceux qui n’auraient pas encore créé leur double virtuel, indispensable pour arpenter SL, le communiqué de presse précisait que  » quelques avatars ( NDLR : représentations imaginaires d’êtres humains) seront mis à la disposition de la presse pour permettre la navigation « . Et en effet, les journalistes ont fait grand cas de l’événement, répercuté dans tous les magazines féminins et même dans plusieurs quotidiens, pourtant peu habitués à offrir une tribune aux nouveautés en matière de beauté. Sans compter le retentissement sur le web, où la création de l’île Yves Saint Laurent est référencée plusieurs dizaines de milliers de fois.

Le célèbre parfumeur français est loin d’être le premier à exploiter le juteux filon. Depuis le début de cette année, le phénomène a même explosé : de Fleur du Mâle, de Jean Paul Gaultier, à CKin2U, de Calvin Klein, en passant par Hypnôse pour homme, de Lancôme, les derniers jus arrivés sur le marché ont eu droit, outre leur soirée de présentation dans un vrai palace, avec vrai champagne, vrai traiteur et vrais invités, à un événement tout aussi glamour sur le web. Et on peut trouver une double explication au fait que les fragrances masculines ou mixtes semblent plus enclines encore à s’engouffrer dans la brèche : d’une part, Second Life est un univers majoritairement mâle – 57 % des résidents sont des hommes – et de l’autre, le public masculin est une cible classiquement moins facile à atteindre par le biais des médias classiques.

Clients virtuels, pub réelle

Jouant le jeu jusqu’au bout, certaines marques mettent même sur pied des castings d’un genre nouveau, auxquels prennent part les avatars. C’est notamment le cas de L’Oréal Paris, qui a organisé une élection de Miss Second Life, avec à la clé un contrat de top au sein de l’agence virtuelle Aspire Model, ou de Lacoste, qui a élu les six plus beaux résidents de cette planète parallèle. Car, à côté des cosmétiques, les griffes de mode sont elles aussi parties à l’assaut de Second Life. Dior y a ainsi créé l’île de Belladone, où ont été présentées en avant-première quatre pièces de la collection de bijoux dessinée par Victoire de Castellane, qui avait pour l’occasion pris les traits de la reine des abeilles, clin d’£il à l’insecte emblématique de la maison Dior.

Parmi les VIP, Karl Lagerfeld, ou plutôt son alter ego, a également rejoint les trois millions de résidents de SL, et, tout récemment, c’est Giorgio Armani qui s’est doté d’un avatar.  » Je vais enfin être présent dans deux endroits différents au même moment « , s’amusait le maestro en ajoutant que, comme lui le fait dans la vie réelle, son double se rendrait régulièrement à la boutique virtuelle qu’il a ouverte en octobre dernier. Le design de l’enseigne, particulièrement abouti, est calqué sur celui du concept-store milanais de la griffe :  » Mon objectif est de fournir aux clients le même esprit, le même style et le même service que ce qu’ils pourraient connaître en se rendant dans une boutique réelle « , précise Giorgio Armani. L’enseigne on line présente les différentes collections dessinées par le styliste italien, ainsi que ses parfums et cosmétiques, que l’on peut acheter en dollars linden. Mais, bien plus que le bénéfice commercial – parer son avatar d’un jeans Armani ne coûte que quelques centimes d’euros -, c’est l’impact sur l’image de la griffe qui justifie l’investissement. Non seulement parce qu’elle se positionne de cette manière parmi les labels branchés –  » Je suis profondément convaincu que cette initiative va donner à la marque une touche avant-gardiste « , confirme le créateur -, mais aussi parce qu’elle offre une nouvelle visibilité à ses produits, qui seront diffusés dans le monde parallèle.

Exemple édifiant, le magasin créé sur SL par Adidas et ses 25 000 paires de baskets vendues en un an. Ce sont donc aujourd’hui autant d’avatars qui arpentent le monde parallèle chaussés de ses derniers modèles, soit autant de mini-pubs pour la marque aux trois bandes. La démarche est nettement moins évidente, cependant, dès lors qu’il s’agit de parfums, de cosmétiques ou de soins : paradoxalement, leur nature intangible les rend moins indispensables dans l’univers virtuel. Il y a bien eu quelques tentatives, rapportées par SL Observer, le blog qui relate l’actualité de Second Life, de parer les résidents de petits nuages matérialisant un effluve. Mais ces initiatives restent anecdotiques, preuve supplémentaire que le but poursuivi par les groupes de luxe n’est pas de participer à la construction d’un monde utopique mais de créer un buzz ciblé via ce qu’ils considèrent comme un nouveau moyen de communication efficace.

Du mass market à l’exclusif

En lançant sa boutique virtuelle, Giorgio Armani a cependant franchi une étape supplémentaire. Car, à l’inverse de la plupart des enseignes de ce type, celle du styliste italien propose un lien vers le site de vente en ligne www.emporioarmani.com, pour le moment accessible uniquement à la clientèle américaine, mais qui devrait s’ouvrir aux marchés européen et asiatique dès 2008. Il faut dire que la griffe fait partie des pionniers du web puisque, dès 1995, elle avait déjà lancé son site A/X Armani Exchange, suivi de la mise en ligne de vitrines virtuelles pour chacune de ses lignes.  » J’ai ainsi eu la chance de constater l’enthousiasme croissant pour le shopping on line, explique Giorgio Armani. J’ai également pu observer que les consommateurs de mode sur le Net ont des attentes de plus en plus sophistiquées. Ce sont les deux facteurs principaux qui m’ont encouragé à développer ce nouveau site pour Emporio. « 

Depuis les années 2000, d’autres labels glamour, de Dior à Hermès en passant par Louis Vuitton, Escada ou Marni, ont embrayé en créant leurs propres sites de vente en ligne. Parmi les derniers arrivés sur le marché européen, celui de Burberry retient l’attention dans la mesure où il est emblématique d’une tendance nouvelle, qui veut que le Net ne soit plus seulement le reflet de ce qui se vend dans les boutiques, mais se positionne comme précurseur de ce qu’on va y trouver plus tard. La fameuse  » robe-armure  » de la marque british a ainsi été proposée sur Internet avant d’être disponible dans les points de vente traditionnels. Même principe pour les éditions limitées, qu’on retrouve de plus en plus souvent en preview sur le web… quand elles ne sont pas uniquement disponibles par ce biais-là. C’est notamment le cas de la collection Tabloïd, dessinée par Jeremy Scott et partiellement présentée chez Colette durant la semaine parisienne du prêt-à-porter. Depuis lors, elle est en vente uniquement sur Yoox, le géant du Net – 2,5 millions de visiteurs par mois, 620 000 articles vendus chaque année – spécialisé dans le commerce électronique des grandes griffes de mode. Autant d’exemples qui balaient d’un clic de souris l’idée qu’en se rendant accessibles au plus grand nombre, les marques prestigieuses galvauderaient leur image.  » En tant que créateur, je suis connu depuis toujours pour ma vision démocratique de la mode, reprend Giorgio Armani. Dans cette optique, le service en ligne représente à mes yeux un prolongement naturel de mes idées dans un domaine encore inexploité, bien plus qu’une régression. « 

Si les avis sont divisés quant à l’avenir du marketing via Second Life, vu tour à tour comme un épiphénomène branché, voué à s’essouffler en se banalisant, ou au contraire comme un média désormais incontournable, ils sont en tout cas unanimes sur un point : peu importe sous quel avatar, le luxe n’est pas prêt de déserter Internet.

Delphine Kindermans

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