La déco gonflette célébrant l’ornement à tout-va a vécu. Les créateurs en reviennent, enfin, aux fondements de leur art : créer des meubles essentiels, fonctionnels, rigoureux. A l’épreuve des modes et du temps.

L’excès nuit en tout, l’adage est bien connu. Trop grands, trop voyants, trop anecdotiques, finalement, les meubles rococo, truffés de détails inutiles ont fini par lasser. Portée aux nues hier, l’esthétique bling-bling a heureusement perdu de son éclat. Amusants mais pas indispensables, les joujoux pour grands enfants en mal de régression font désormais place à des objets d’adultes, forcés par la crise et les incertitudes géopolitiques à regarder la réalité bien en face.  » Quand les temps sont complexes et paradoxaux, la simplicité devient un luxe, assure Etienne Cochet, directeur général du salon Maison & Objet, à Paris. Le retour à l’élégance de l’essentiel séduira tous les urbains en mal de nature et d’humanité dans un monde en mutation. « 

Plus les temps sont durs, plus l’homme a besoin de se rassurer, de se tourner vers des choses simples, faciles à appréhender. Des formes familières aussi qui, loin de l’angoisser ou de l’écraser par leur gigantisme, lui parlent d’un temps où d’autres – ses parents – s’inquiétaient pour lui. Où l’offre aussi – qu’il s’agisse de choisir une table ou une carrière pour la vie – était nettement moins étendue qu’aujourd’hui. Face à l’hystérie consumériste qui nous entoure, rejeter le stress inutile est désormais une question de survie.

 » Je ne supporte plus l’idée d’aller au restaurant, de m’asseoir sur une chaise instable, face à des verres à vin beaucoup trop grands et de voir dans mon assiette une compilation d’expériences chimiques, constate le designer Jasper Morrison. Les  » restos design « , cela ne fonctionne pas. Je plaide coupable car certaines de mes chaises en plastique colorées se retrouvent dans ces établissements. Et je me suis rendu compte, avec honte, qu’elles pouvaient créer une véritable pollution visuelle. Si, à l’inverse, vous êtes entouré de vieux meubles, l’atmosphère est bien plus agréable, vous pouvez vous consacrer pleinement à la conversation, à ce que vous mangez, aussi, sans être distrait par les objets qui vous entourent. J’essaie donc de m’inspirer de ces formes anciennes pour en dériver un nouveau produit. « 

Une démarche que le designer britannique, créateur avec son ami Naoto Fukasawa du courant Super Normal, avait déjà initiée en 2006, en lançant le très polémique Crate pour Established & Sons : un  » meuble  » polyvalent, copie conforme de ces caisses en bois dans lesquelles se vendent les bonnes bouteilles de vin. Dépouillé à l’extrême, l’objet présenté lors du Salon du meuble de Milan en pleine folie baroque, avait alors l’air d’un ovni. Deux ans plus tard, à voir la profusion de bois brut décliné dans des formes pures et claires chez la plupart des grands éditeurs, on peut se dire que Jasper Morrison (lire aussi notre portrait en page 56) n’avait alors qu’un seul tort : celui d’avoir eu raison trop tôt…

Ainsi, chez Swedese, l’ombre d’une échelle plane sur l’élégant design de l’étagère du Belge Michael Bihain. Chez Bernhardt Design – un nouvel éditeur présenté à Milan en avril dernier -, le cerclage des barriques de chêne se devine dans les tabourets de bar Aro mêlant bois et métal créés par le trio espagnol Lievore Altherr Molina. Quant à Gebrüder Thonet Vienna, éditeur historique de la chaise de bistro en hêtre courbé, il propose, avec Strauss, une version résolument contemporaine de la célèbre assise cannée.

Tradition with a twist. Le mantra ne déplairait sûrement pas à Tom Dixon, à la tête de l’entreprise finlandaise Artek, en charge de la production des créations d’Alvar Aalto depuis 1935.  » Vous pouvez vous appuyez sur les principes et les valeurs d’une société tout en les utilisant d’une manière totalement innovante, justifie le créateur londonien. Sans quoi vous vous contentez de donner dans le rétro.  » A Milan, Artek revisitait donc ses classiques, dans un blanc éclatant et poursuivait le développement d’une ligne à base de bambou. Le bois écologique par excellence. Et de ce fait supertendance.

Car la  » propreté  » d’un objet – non seulement le matériau dans lequel on le fabrique mais aussi le choix des méthodes de mises en £uvre, ainsi que l’usage plus ou moins long que l’on pourra en faire et la manière dont on le recyclera un jour ou non – est désormais un critère de qualité. Ainsi, Cappellini réputé pour la rigueur et la pureté de son design, s’est lancé depuis cette année dans le durable. Inaugurée par le jeune créateur américain Stephen Burks, la ligne Cappellini Love propose des meubles et des objets fabriqués manuellement en Afrique du Sud à partir de matériaux recyclés : des fragments de verre pour les vases et des tonnes de lamelles de papier glacé tirées de vieux numéros de magazines design pour les tables basses et les tabourets !

L’envie de nature et de naturel se traduit aussi dans le choix de formes qui suggèrent un retour à la terre. Sous forme de vase, de portemanteau ou de paravent, l’arbre fait son entrée dans la maison ( voir notre sélection page 80) alors que les sillons de bois de la table Campo Arato de Paolo Pallucco pour De Padova évoquent un champ fraîchement labouré.

 » Outre la nature, le style s’inspire aussi de l’esthétique des designers ingénieurs du siècle dernier, analyse François Bernard, directeur du bureau de tendances Croisements (1). Des formes lourdes et apaisantes cultivent une élégance solide et rassurante. « 

La matière reprend de l’épaisseur dans les plateaux des tables Seven 01 et Where signées Jean-Marie Massaud pour B&B Italia et Rodolfo Dordoni pour Molteni. Les canapés aussi se redressent – on cesse enfin de se vautrer – sans rien perdre de leur moelleux ni de leur confort, comme en témoigne le sofa modulaire Alphabet de Piero Lissoni pour Fritz Hansen.

Puisque l’on simplifie sans pour autant tomber dans l’ascèse, on achète moins mais mieux. Quitte à payer un peu plus cher un meuble que l’on gardera plus longtemps. Ou tout au moins tant que la sobriété restera de mise.

(1) In Cahier d’inspirations n°13, édité par Maison & Objet.

Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content