Ils n’ont jamais mis les pieds au Japon… Mais ils s’adonnent avec passion à la Tokyo attitude. Ils raffolent de cette mode ludique toujours, décalée souvent, osée parfois. Et si vous aussi, vous mettiez un peu de kawaï dans votre vie ?

Carnet d’adresses en page 71.

Depuis la sortie de  » Lost in Translation « , on veut toutes le parapluie en plastique transparent de Scarlett Johansson et on rêve d’étrenner sa perruque rose dans un karaoké japonais. Le film subtil de Sofia Coppola sur deux êtres à la recherche d’eux-mêmes dans les limbes d’un grand hôtel de la capitale japonaise a lancé la Tokyo attitude. Non pas la mode épurée et zen de Yohji Yamamoto (même si le mythique créateur japonais verse, cette saison, dans le punk rock), mais celle qui dévoile un Tokyo plus décalé, plus pop, plus déluré, plus acidulé. Tenues fluo, accessoires de héros d' » anime  » nippons, cheveux colorés, franges déstructurées, cette vogue est directement inspirée par la J-pop (la pop japonaise). On la retrouve dans les collections technicolor de ce printemps-été qui jouent avec les imprimés mangas des accessoires : tennis Marc by Marc Jacobs, sacs imprimés chez Versace, par exemple.

Il y a dans la Tokyo attitude quelque chose de factice, un côté kitsch qui séduit ceux qui aiment à changer souvent de visage. En opposition à une rigueur et à un conformisme auxquels elle est confrontée au cours de ses études et plus tard dans le milieu professionnel, cette génération  » plastique « , la matière qui reflète ce courant vestimentaire, joue avec son apparence. Elle est ludique, extravagante et cultive l’art du dérisoire.

A Tokyo, les kogals (de ko-girls, petites filles) sont l’équivalent de nos fashion victims. Ces jeunes filles, qui ont décidé de ne plus être obnubilées par l’école et l’obligation de résultats, se démarquent en raccourcissant leurs jupes et en portant des  » loose socks « , des grandes chaussettes qui tombent négligemment sur les mocassins. Elles s’éclaircissent ou se teintent les cheveux de couleurs vives pour ressembler à leurs idoles, les chanteuses, actrices ou top models. Il existe de nombreux styles parmi les kogals, les ganjiro (visage blanc) et les ganguro (visage noir). Ces dernières se font bronzer la peau et contrastent leur hâle avec un maquillage clair et des cheveux blonds ou blancs.

Les Gothic Lolitas, plus inspirées par la culture punk, se promènent le dimanche après-midi au Yoyogi park d’Harayuku. Elles portent les vêtements des marques Moi-même Moitier, Devil, Pretty, Baby, the stars shine bright, Victorian Maiden et Métamorphose temps de fille. On les compare souvent à des poupées de porcelaine. Car même gothiques, les jeunes filles gardent leur côté kawaï (mignon). Elles sont enrobées dans une multitude de rubans et de dentelles et arborent des imprimés fleuris d’un autre âge. D’autres ont une allure plus adulte et portent des marques de créateurs comme Na +H, Alice auaa, Atelier Pierrot. La majorité de ces vêtements s’inspirent de la mode londonienne punk avec un écossais omniprésent et la récurrence du drapeau britannique. Lieu de rendez-vous des jeunes branchés fans de musique rock et de mode, le quartier d’Harayuku est des plus atypiques. C’est en effet cet endroit huppé, mêlant magasins de créateurs de mode et temples qui abrite le haut lieu de la musique rock de Tokyo. On retrouve cette jeunesse artiste et décalée, qui arpente Tankeshita doori, la rue branchée, dans les pages du city magazine japonais  » Fruits  » et dans le  » Gothic Lolita bible « .

Certains Japonais poussent le délire de la  » mignonitude  » plus loin encore. Généralement trentenaires, des cadres supérieurs déploient toute la panoplie de la plus grande vedette nipponne, joliment baptisée Hello Kitty, il y a trente ans déjà. Etrange destin que celui de cette petite chatte dont la particularité est de ne pas avoir de bouche et qui a commencé sa carrière sur des brosses à dents et des stylos-bille avant d’être mise en scène dans des livres. Aujourd’hui, avec 600 nouveautés produites chaque mois, l’incarnation marketing de  » la mignonitude  » représente un milliard de dollars de ventes annuelles. Au Japon, mettre un peu de  » kawaï  » dans sa vie est monnaie courante. Dans leurs luxueux appartements, les superwomen japonaises accumulent le thermos, le réfrigérateur, le micro-ondes ou la télé Hello Kitty et conduisent même la voiture rose à l’effigie du petit animal. A Tokyo, la minette  » ni triste ni gaie  » est une véritable icône. Des étages entiers de grands magasins sont consacrés à ses produits dérivés et un parc d’attractions û Hello Kitty land û lui est dédié. Dernier accessoire de mode que l’on s’arrache sur les sites web des  » wacky stuff  » (trucs farfelus) japonais les plus pointus, le vibromasseur Hello Kitty. Une manière faussement innocente de réconcilier l’enfance et l’âge adulte !

La touche ludique des accessoires

Dans la capitale européenne, des étudiants de La Cambre n’ont pas attendu le film de Sofia Coppola pour se créer un Japon à eux, celui avec lequel ils ont grandi, hérité de l’univers des mangas et des personnages qui ont peuplé leur enfance.  » Ce qui me plaît dans Hello Kitty, c’est que c’est un visage qui n’exprime ni la tristesse ni la gaieté, on peut lui donner toutes les significations que l’on veut, c’est comme dans la culture japonaise, on n’exprime pas ses sentiments « , explique Virginie Morillo alias Mademoiselle qui vous veut du bien. L’étudiante en stylisme est à tel point fan d’Hello Kitty, qu’elle est devenue la représentante de la marque pour la Suisse. Accro à la culture nipponne, cette grande fille aux yeux noirs n’a pourtant jamais mis les pieds au Japon. A Genève où elle a grandi, elle s’est inventée un monde à elle fait de peintures en sucre glace et de vêtements acidulés.

 » Ce que j’apprécie dans cet univers, c’est qu’il est ludique, naïf, enfantin et coloré .  » A 21 ans, l’artiste, qui se réclame plus volontiers de l’héritage des personnages sympathiques que de l’univers des mangas, qu’elle juge trop cruel, aime pourtant peindre des croqueuses de sushis dégoulinant de sang. Pour les besoins de ses performances, elle enfile une perruque et se transforme en Japonaise. Sa dernière trouvaille ? Electro Japon Tour, un groupe d’électro pop en faux japonais dans lequel, accompagnée d’autres copains artistes, elle s’habille d’une robe à pois, porte le masque Hello Kitty et se produit dans les vitrines des boutiques de mode.  » On a fait un carton à Genève, on compte renouveler l’expérience à Bruxelles à la boutique Retro Paradise.  » Le cheveu teint en noir, le visage savamment maquillé, Virginie complète sa panoplie de la parfaite Tokyo girl avec des accessoires de son invention. Mademoiselle qui vous veut du bien crée des sacs brillants avec des fleurs dorés ou en forme de cornet de glace. Et prend sa copine Maud, 21 ans, vendeuse de sushis dans un restaurant japonais, pour modèle. Avec son look femme-enfant, Maud a parfaitement l’allure de la lolita pop japonaise. Elle enfile le pull rose à grosses étoiles que lui a confectionné Virginie où de grosses lèvres sont brodées sur le revers du col à hauteur de la bouche ! L’étudiante en stylisme pousse l’ingéniosité jusqu’au détail. Aussi, quand elle confectionne des boucles d’oreille, elle utilise un jouet qu’elle monte en pendentif. Un jour, c’est une petite voiture que Maud assortit à son top, le lendemain, une poupée.

Pour David, le copain de La Cambre qui partage ce goût pour l’univers nippon, Virginie a confectionné un poignet en éponge avec une tête de chat et a peint sur son tee-shirt un petit personnage de manga.  » Pour les garçons, c’est plus discret, un seul accessoire et puis les chaussures de Bioman par exemple « , conseillent les jeunes filles. Quant aux kimonos à la Bill Murray, on les réservera pour les nuits blanches dans les chambres d’hôtels.  » C’est un peu cliché « , rétorque Virginie. A moins que le kimono ne soit revisité et associé, par exemple, avec un imprimé Candy et se décline dans des couleurs flashy et des matières satinées.  » On aime dans cet univers le retour à l’enfance, cette culture est parfaite pour nous qui sommes des adolescents « , intervient David, alors qu’il se débat avec les pages jaunes pour dégoter une machine à faire de la barbe à papa !

Pucca et Kogepan

Direction Astro Boys, Astro Girls, du nom de la série télévisée, la boutique bruxelloise culte des amateurs de mangas et d’accessoires  » kawaï « . Hsiao-Fang Hou, une Taïwanaise de 33 ans, a reconstitué l’univers de son enfance. A la pointe de ce qui se fait à Tokyo et dans son pays, où elle va shopper deux fois par an, elle ne rate pas un personnage. Après Hello Kitty, qu’elle décline sous toutes les versions, c’est Pucca qui est entrée dans sa boutique. Pucca ? Un personnage issu des animations sur Internet, une petite Chinoise qui vit en Corée. Amoureuse d’un garçon maladroit, elle trouve mille façons de lui faire des bisous. Cette animation en 20 épisodes, sortie en 2000, a fait fureur en Asie avant d’arriver en Europe et a rendu la petite fille aux cheveux noirs à la mode. L’agenda, le sac ou la boîte à lentilles Pucca seront du meilleur goût. Hsiao-Fang poursuit ses présentations : Mashi Maro, le lapin coréen qui fait des bêtises (également une création Internet qui s’est vite transformée, elle aussi, en produits dérivés), Doreamon, le chat-robot dont l’oreille a été mangée par une souris (issu d’une BD japonaise des années 1970), Keroppi, la grenouille (une création de Sanrio tout comme Hello Kitty), Astro, le petit robot (échappé d’une vieille BD japonaise des années 1950)… Sans oublier les derniers-nés : Gloomy, l’ours-vampire qui tue les enfants et boit leur sang, et Kogepan, un pain cuit japonais.  » Ces deux-là sont très à la mode en Asie en ce moment, explique Hsiao-Fang. En Europe, nous avons à peu près deux ans de retard.  » Les connaisseurs ne s’y trompent pas et Virginie, elle, a déjà réservé le service à thé Kogepan pour son futur appartement.

Depuis peu, c’est Mademoiselle François, une styliste bruxelloise formée à Bishoffsheim qui a déposé ses nouveaux tee-shirts chez Astro Boys, Astro Girls. Des tops aux finitions très féminines fournis avec une petite poupée à l’allure de Japonaise à porter accrochée au tee-shirt ou, en porte-clés, au sac à main.  » J’aime cet univers coloré, acidulé, ludique, extravagant, osé, c’est très inspirant « , confie Mademoiselle François. Modèle au salon de coiffure hyperbranché Toni and Guy, la jeune fille porte des cheveux raides avec une frange déstructurée éclaircie de mèches rouges. Très Tokyo girl, elle aime aussi les bijoux transparents en plastique et note ses rendez-vous dans un agenda Pucca. Un rituel à adopter pour toutes celles qui rêvent de mettre un peu de  » kawaï  » dans leur vie.

Agnès Trémoulet

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