La Toscane des Toscans

Fréquentée depuis toujours par les Toscans et découverte aujourd’hui par tous les Italiens, la Maremma se fait une place au soleil. Design, gastronomie, golfes clairs… cette enclave typée et sauvage du sud de la Toscane inscrit son ascension sous le signe de l’art de vivre.

« Maa Charrrdonnay, ooh, je déteste !  » C’est par ces propos, à peine nuancés, que la marquise Spinola commence la dégustation de ses vins et déclare sa passion pour la Maremma. Une passion qui n’a que faire du goût international ! Propriétaire de La Parrina, l’un des plus grands domaines agricoles et viticoles de cette région entre Massa Marittima et le  » promontorio dell’Argentario « , cette femme de tête et de goût a relevé le défi de produire, en l’espace de quelques années, un vin remarqué dans un terroir encore ignoré hier. Eminemment sympathique et intrépide, la Dottoressa Spinola a abandonné sa carrière de médecin, il y a dix-huit ans, pour se consacrer au domaine de ses ancêtres et croire envers et contre tout à la singularité de ce terroir atypique. Elle ne jure que par les cépages locaux. Le chianti n’a qu’à bien se tenir !

La Maremma a décidé de faire de l’ombre à son rival toscan. Ce n’est pas un hasard si justement cette région sort de l’ombre grâce à ses vins. N’y retrouve-t-on pas Ernesto Bertarelli en personne, qui plus est dans le montecucco ? Le président d’Alinghi, fameux Defender de l’America’s Cup, est propriétaire du vignoble Colle Massari. Le  » condottiere  » a succombé aux charmes de cette région gorgée de promesses. Terroir reculé aux confins intérieurs de la Maremma, le montecucco est déjà auréolé d’une appellation DOC. Signe des temps, Ernesto Bertarelli a confié l’architecture du chais à Edoardo Milesi. Résultat, un petit bijou de bois et de béton d’un goût minimal absolu qui s’étire au sommet d’une colline. Il fait face au château séculaire, en cours de restauration, posté en vis-à-vis sur la colline voisine, future résidence secondaire de la famille Bertarelli. Il se dessine là un tableau à l’équilibre parfait digne de la Renaissance, immédiatement couronné par le prix d’architecture Fosso Bartolo.

Renaissance toscane

A quelques encablures de la côte,  » l’isola del Giglio  » a tout d’un paradis. Criques sauvages fleurant bon le myrte et l’immortelle, sentiers par dizaines dans les herbes folles, charmant petit port, on pourrait largement s’en contenter. Et pourtant, les initiés tentent l’aventure sur l’autre côte, à l’est. Abrupte et couverte de maquis, elle se précipite dans la mer face à l’île de Montecristo ou à la Corse. C’est là que Francesco Carfagna a ressuscité pied à pied une vigne de quatre hectares à peine, suspendus au-dessus de la mer depuis l’époque étrusque. Altura est un vin exquis et confidentiel, 100 %  » ansonaco « , le cépage local, sélectionné par quelques-unes des meilleures tables d’Italie. Avec sa jolie production, Francesco Carfagna peut s’enorgueillir d’être le seul à faire renaître l’une de ces vignes abandonnées depuis plus de trente ans. Le potentiel de la Maremma n’a pas échappé à Alain Ducasse, chef français pluri-étoilé doublé d’un homme d’affaires. Il y a trois ans, il ouvrait L’Andana, un  » palais de campagne  » à Castiglione della Pescaia, en retrait du littoral, convertissant un ancien relais de chasse du duc de Toscane en hôtel luxueux.  » Andana  » en toscan signifie  » allée « , et celle qui conduit à cette nouvelle adresse de l’empire Ducasse est un exemple du genre. L’essence de la Toscane réside ici, dans cette parfaite alternance de pins et de cyprès, et parcourir cette andana altière qui n’en finit pas est déjà un voyage en soi. Une aubaine pour Christophe Martin, disciple de Ducasse et chef du lieu, qui y voit un inépuisable jardin d’éden pour ses recettes.  » On trouve ici des produits fabuleux qu’on payait une fortune au Louis XV à Monaco alors qu’ils n’atteignaient pas cette qualité. Ici, leur goût est unique, intact.  »

Le restaurant s’appelle La Trattoria, autant dire que le chef français entend donner dans la gastronomie régionale en toute simplicité. Il suffit de le suivre au marché pour comprendre.  » Et ça, tu le prépares comment ? » l’interpelle une maraîchère. Christophe émet une idée, obtient la recette expliquée par le menu et repart, le panier plein d’inspiration.

Alain Ducasse a lancé L’Andana en partenariat avec le producteur de vins Vittorio Moretti. Petra, le domaine Moretti, a des allures de Temple du soleil planté au milieu des vignes ! Ici aussi on a confié le chai au grand architecte Mario Botta, auteur de la Modern Art Gallery à San Francisco et de la restauration de la Scala de Milan. Pour Ettore Maggi, du groupe Moretti, cette extrémité ouest de la Toscane, non loin de Massa Marittima, en plein Val di Cornia, est un territoire  » dont les Italiens ne connaissent pas l’existence « .

La côte la plus glamour

Car la Maremma, il y a quelques siècles, n’avait rien d’un éden pour £no-gastronomes. On y mourait même de la malaria. En 1610, Le Caravage était emporté par le terrible mal à Porto Ercole. Insalubre, la zone était alors infestée de moustiques. Depuis, les temps ont changé. Certes, les moustiques n’ont pas totalement disparu, mais on ne meurt plus sous leurs piqûres ! Aujourd’hui, les anciens marécages assainis ont fait place à une culture maraîchère florissante. Porto Ercole est la porte d’entrée du très couru Argentario, où l’on s’adonne avec délectation à la  » dolce vita  » sur l’une des portions de côte les plus glamour d’Italie, avec Punta Ala un peu plus au nord. De Porto Ercole à Porto Santo Stefano, farniente et voile rythment les jours et la  » bella gente  » ancre ses yachts dans les criques du promontoire.

La  » dolce vita  » bat son plein au Pellicano, fief de la jet-set depuis les années 1960, date à laquelle l’aviateur anglais Michael Graham et la fascinante jet-setteuse américaine Patsy Denzel décident de bâtir Il Pellicano en souvenir de leur rencontre amoureuse à Pelican Point, en Californie. De Charlie Chaplin à Monica Bellucci, les happy few se pressent dans ce lieu baigné de légende et béni des dieux, au littoral intact. Depuis cet incontournable bastion de l’hôtellerie de luxe, classé au rang des cinq plus beaux du monde par le Condé Nast Traveler, imprenable balcon sur la Méditerranée, on plonge son regard dans le bleu tyrrhénien. A moins que l’on ne pique sa fourchette dans de sublimes  » pici « , la pasta locale revisitée par Antonio Guida, chef étoilé au Michelin. Car le Pellicano ne donne pas seulement dans les paillettes mais aussi dans les étoiles. Ici, en Maremma, pas de  » chiantishire  » et autres excès touristiques. Il n’y a qu’à goûter à la leçon de simplicité dispensée par l’  » agriturismo  » Le Mezzelune, ravissante maison d’hôtes au nord de la région. Les Florentins et Pisans pure souche fréquentent depuis toujours la Maremma. Ils y ont leur maison de campagne et de vacances. Alors que les Romains ont jeté leur dévolu sur l’extrême sud de la région, à la frontière du Latium, la gauche intello romaine a élu domicile à Capalbio, haut lieu du court-métrage, festival oblige. Et si l’on s’enfonce dans cette mystérieuse Maremma intérieure, peuplée de tombes étrusques, entre gorges et canyons tapissés de mousse et parcourus de ruisseaux, on sera impressionné par les spectaculaires villages de tuf. Accrochés à des pans de falaises, Pitigliano et Sorano forcent le respect par leur beauté austère. Alors, qui a dit que la Maremma était une Camargue italienne ? Certes, le parc régional naturel de la Maremma, sur la côte, est une immense réserve recouverte de marais façon Camargue, mais les monts dell’Uccellina ont du relief. Un paysage rocailleux et vallonné, rythmé par des tours de guet génoises, accessible à pied et en petit comité, nombre de visiteurs strictement contrôlé oblige. Dix mille hectares d’une nature vierge et protégée qui s’opposent à la carte postale de la Toscane : collines et cyprès. Une nature singulière que l’on découvre avec un plaisir gourmand, sans se presser.

Reportage et texte Sabine Bouvet Photos : Frédéric Vasseur