Si, depuis dix ans, sa vie tient à un fil, ce n’est pas qu’il y a danger de mort, au contraire. Christian Wijnants, jeune créateur trentenaire basé à Anvers et lauréat de l’International Woolmark Prize parle maille comme personne. Impressions 100 % mérinos, mais pas seulement.

Il ne fera rien pour célébrer les dix ans de sa maison. Non pas qu’il boude, mais il n’est  » pas très fête « , ni  » très mondain « . En lieu et place, Christian Wijnants s’est offert un défilé, en mars dernier, lors de la Fashion Week, à Paris, dans la mairie du IVe arrondissement, et un dîner avec son équipe, sacrément multiculturelle – ils sont six  » et demi « , venus du Japon, d’Allemagne, des Pays-Bas, réunis autour de ce Belgo-Suisse si charmant. Qui crée depuis une décennie sans faillir. Et avec les honneurs, puisqu’il a gagné le 2013 International Woolmark Prize avec une collection capsule en 100 % mérinos conçue comme un exercice de travail, de recherche et puis de style.  » Je voulais me limiter, avoir un seul fil conducteur, un seul fil de mérinos blanc, et voir jusqu’où on peut aller avec de la laine à l’état pur, lui rendre hommage et tenter de la moderniser. C’est cela qui m’excite dans la maille : on s’approprie une matière, on crée son propre textile et en même temps, on peut directement travailler sur le corps humain.  » C’est évidemment ce que Christian fit, avec le succès que l’on sait et sans se forcer, la maille fait entièrement partie de son vocabulaire,  » c’est naturel pour moi « , dit-il. Mais il est allé plus loin dans l’idée, convoquant  » l’organique « , dans des expérimentations formelles fructueuses.  » J’ai toujours été intrigué par les pièces faites d’une seule traite, qui vont du fin au plus épais, avec des jeux d’épaisseur et des formes très rondes, comme une idée de cocon – tout ce que la laine représente pour moi, la rondeur, la chaleur, avec des accents sexy.  » Il a donc tricoté à la main, teint sa maille selon la technique japonaise du shibori, en collaboration avec l’atelier d’Anne Masson et d’Eric Chevalier, à Bruxelles. Le résultat lui a plu, au jury de l’International Woolmark Prize aussi. Un prix plus tard – et quel prix, lourd de son histoire, qui veut que Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent l’emportèrent en 1954 et qu’il pèse aujourd’hui 100 000 dollars australiens (67 000 euros) -, le créateur basé à Anvers s’est dit qu’il n’y avait pas de raison que ces silhouettes-là ne fassent pas partie de sa saison automne-hiver 13-14. Mieux, qu’elles en seraient le point de départ –  » c’est rare que l’on puisse prendre le temps de travailler en profondeur, j’étais content de m’être imprégné de cette thématique, je me suis dit que ce serait idiot de ne pas l’intégrer à ma collection.  » Et comme il a eu raison.

Le savait-il, Christian, que cette machine à tricoter découverte dans le grenier de son enfance verrait naître son langage ? Elle était vieille et ne fonctionnait plus, il l’a fait réparer, s’est escrimé dessus, tout seul, lui qui sortait de latin-maths et avait découvert qu’il voulait  » faire de la mode  » en visitant une expo sur le sujet, à Anvers, en 1993. Il avait 15 ans, c’était sûr, c’était ça, mais avec un point d’interrogation : aurait-il le talent pour y parvenir ? Il lui faudra d’abord se coltiner le dessin, en une année préparatoire, puis s’inscrire à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, en 1997, faire ce travail de prospection intérieure que l’on y exige des étudiants, s’adapter à l’école et à ses lois, tenir bon, les détourner parfois. Il ne regrette rien, surtout pas sa collection de dernière année qui était la quintessence de son abécédaire. Elle plaira tant à Dries Van Noten qu’il lui remettra un prix, et voudra l’engager sur-le-champ. Mais lui, têtu et tenace, a d’abord prévu de travailler chez Angelo Tarlazzi, histoire de se frotter à  » une maison très parisienne, où tout le monde se vouvoie, avec une histoire un peu vieillotte, même un peu traditionnaliste, ce qui était différent de ce que j’avais connu pendant mes stages en Belgique « . Car Christian Wijnants, encore étudiant, travaillait déjà dans des ateliers de maille qui produisaient celles de Veronique Branquinho, Bernhard Willhelm et Raf Simons – il n’est pas du genre à rechigner à la tâche.

Le 1er mai 2001, il entre chez Dries Van Noten, non sans avoir fait le détour par le Festival d’Hyères, qu’il gagne. Tout le monde le supplie de débuter à son nom, sa propre collection, mais lui, lucide, sent qu’il n’est pas prêt,  » apprendre le métier d’abord « ,  » après, on verra « .  » A longueur de journée, je faisais des tests sur la machine à tricoter, Dries me disait : « vas-y ». Il innove, cherche, explore sans cesse. C’était riche en expériences, et j’ai beaucoup appris sur ce mélange de créatif et de commercial. Car présenter des collections sur des catwalks et les voir aboutir dans la vraie vie, c’est assez rare.  » Il restera là un peu plus d’un an, assez pour oser se lancer seul. Enfin. Tout en ne négligeant pas les collaborations multiples qui le nourrissent, intellectuellement et financièrement – de Zara à Malo, en passant par l’enseignement, de 2007 à 2011, à l’Académie qui le forma, et aujourd’hui, l’animation d’un workshop en design textile, à l’Académie de Bruxelles, et la conception de A à Z des collections d’une marque hongkongaise, EQ : IQ, diffusée en Asie et bientôt à Paris.

Sa force, Christian Wijnants la tient de ce mélange de pureté et de pragmatisme qui lui permet de créer sans douleur, de décider avec intelligence de zapper parfois son défilé pour mieux se  » concentrer sur ses collections et ses contacts avec ses clients « , en d’autres mots, pour  » survivre « . Ce qui n’empêche jamais rien, et surtout pas de se réinventer, avec cette fraîcheur et cette ténacité qui lui vont à ravir. De même à ses créations empreintes de poésie.

L’imagier de Christian Wijnants, qui nourrit sans cesse son imaginaire. Depuis dix ans, le jeune créateur additionne les inspirations, les émotions, les collections. Un fil rouge.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » Tout ce que la laine représente pour moi, la rondeur, la chaleur, avec des accents sexy.  »

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