Ancien trotskiste, coéditeur engagé, guitariste rock. Jean Touitou est aussi le créateur de A.P.C., la marque de vêtements chics et épurés qui ouvrira bientôt une boutique à Bruxelles. C’est tout ? Non.

Résumé express : Jean Touitou, né à Tunis en 1951, débute comme magasinier puis comme comptable chez Kenzo avant de créer en 1987 la marque A.P.C. (Atelier de Production et de Création), référence du casual minimaliste branché. En 2009, sa société qui engrange 23 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte des dizaines de boutiques en Europe, aux Etats-Unis, au Japon, ouvrira sa première enseigne à Bruxelles au printemps de l’année prochaine. Voilà. Mais avec ça, on n’a rien dit.

A Saint-Germain-des-Prés, à Paris, au siège de la maison mère, l’homme se réfère volontiers à Philip Roth, l’un de ses écrivains favoris ou à son copain Wes Anderson, le réalisateur de The Darjeeling Limited avec Adrien Brody. Et ajoute, avec la fierté d’un môme :  » Pour son dernier film qui sortira fin décembre, Wes est venu enregistrer trois chansons, ici, au rez-de-chaussée « .

Fan de rock et de Bob Dylan, guitariste qui empoigne sa Fender à ses heures, Jean Touitou s’est offert il y a quelques années un authentique studio d’enregistrement qui sert à la production de disques maison et de compils labellisées A.P.C. Mais  » le plus beau jour de ma vie, c’est quand les Editions de Minuit m’ont proposé, l’an dernier, de rééditer deux ouvrages de Tony Duvert que j’admire « . Et qu’est-ce que ça fait d’être sur la photo, avec un écrivain récompensé par le prix Médicis et un éditeur de légende qui publia Beckett et Duras ?  » Un sentiment de dignité. La littérature est encore un des rares domaines artistiques qui n’a pas été récupéré, à la différence de l’art contemporain. « 

Jean Touitou, qui rêvait d’être architecte, s’excuserait-il d’avoir fait carrière dans le textile ?  » Je ne suis pas en train de m’acheter une place au paradis en jouant les intellos. Je suis fier de faire du commerce, j’aime la mode mais il ne faut pas exagérer, ce n’est pas Véronèse non plus. J’ai toujours eu une fibre politique et culturelle, je suis né comme ça. « 

Cet introspectif amoureux des mots débuta une psychothérapie en apprenant avec stupéfaction que son amie Sofia Coppola venait de porter à l’écran son histoire personnelle dans Lost in Translation. Jean Touitou en Bill Murray crypto-dépressif sirotant son whisky au bar du Park Hyatt de Tokyo ne comprenant ni la langue ni l’agitation du monde ? La transposition est crédible.

Ancien trotskiste reconverti à l’économie de marché, il dit de la mode que  » c’est une guerre de position permanente. Si vous ne bougez pas, vous êtes mort. Les snipers sont partout. On travaille beaucoup pour faire évoluer nos collections, à notre manière « .

Sur le terrain des hostilités, Jean Touitou continue à défendre sa morale du stylisme, taillée dans la rigueur et le strict savoir-faire traditionnel des fabricants.  » Bien sûr, comme les autres marques, nous essayons d’être sexy et de fabriquer du désir mais je n’ai pas envie de me compromettre pour autant. Nous vendons 70 000 jeans par an, je pourrais en écouler un demi-million si je cédais au tout venant du marketing opportuniste. Mais je n’ai aucune envie d’avoir une boutique avenue Montaigne à Paris entouré de marques que je n’aime pas ni de pratiquer des prix exorbitants. On me reproche de ne pas être assez cher, c’est quand même un comble, non ? « 

 » Si A.P.C. ne fait pas de défilés, c’est autant pour des raisons financières que de morale, affirme son président. Ce serait bien mais cela à un coût que je ne suis pas prêt à assumer. Trop de chèques à sortir et trop de bling-bling. Les agences de mannequins qui jouent la surenchère vous disent :  » Désolé chéri, mais pour avoir Marie-Rose sur le catwalk, il faut que tu mettes 10 000 euros sur la table « . Me faire appeler  » chéri « , ce n’est vraiment pas mon monde. L’autre jour, quand j’ai appris la mort de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, mon premier réflexe a été de penser aux jeans. Vous voyez, il faut faire attention. « 

Antoine Moreno

« Me faire appeler  » chéri « , ce n’est vraiment pas mon monde. »

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