Barbara Witkowska Journaliste

L’encens, la myrrhe, le benjoin ou l’opopanax… Ces odeurs cultes, qui nous envoûtent depuis des siècles, sont plus que jamais dans l’air du temps et composent des senteurs d’Orient pour belles ensorceleuses.

Aujourd’hui, pour être dans le vent, on se parfume  » archéologique « , en adoptant un sillage de reine de Saba ou encore un parfum qui évoque l’ambiance moite des hammams ou la sensualité d’une nuit à Istanbul (à l’époque de l’Empire ottoman, s’entend). Une micro-tendance ? L’avenir le dira. En attendant, ce retour aux sources est prôné même par Tom Ford, directeur artistique de Gucci, qui supervise désormais toute la création chez Yves Saint Laurent. Le nouveau parfum dont il est l’initiateur s’appelle Nu. Charnel, capiteux et ensorcelant, il annonce la nouvelle femme Yves Saint Laurent.  » Elle est moderne, énigmatique, séductrice, riche en mystère. Elle a choisi de ne pas dévoiler ses secrets trop vite « , a déclaré Tom Ford au quotidien  » Fashion Daily News  » (1).

Pour souligner olfactivement sa nouvelle personnalité, un jus sensuelo-spirituel s’imposait. Le défi a été relevé par le  » nez  » Jacques Cavallier de Firmenich. Son parti pris ? Beaucoup de notes boisées et, surtout, l’encens, concentré à 20 %. Le retour aux origines, carrément. Car l’homme, et a fortiori la femme, en raffole depuis la plus haute antiquité. Pas un cérémonial religieux, pas une messe sans encens et encensoir. Ne dit-on pas communément  » encenser  » pour  » faire des louanges  » ? L’encens nous rendrait donc meilleurs, nous rapprocherait des dieux ou nous donnerait instantanément une dimension mystique et pure.

Jacques Cavallier a utilisé de l’absolue d’encens, obtenue par l’incision de l’arbuste oliban qui pousse en Afrique et en Arabie. Son odeur est tiède, miellée et enveloppante, très feutrée. Dans la note de coeur, l’orchidée sauvage et la bergamote pétillante apportent un agréable souffle de fraîcheur. Dans les notes de fond, retour à la sensualité et au mystère. Ils sont amplifiés par une quantité importante de nouveaux muscs, de senteurs boisées et épicées.

Cette  » odeur de sainteté  » est présentée dans un écrin singulier, un objet rond gris mauve métallisé, à la surface lisse et dure. Il faut ouvrir le boîtier pour découvrir un flacon d’un bleu intense. Au départ, rien n’indique que cet objet renferme du parfum, le nom et la marque étant très discrètement gravés à l’intérieur du couvercle. Un carré de plastique noir fumé, estampillé d’un logo subtil, sert d’emballage. Le tout, conçu sous la direction de Tom Ford, reflète la philosophie du créateur, toujours très cohérente : minimalisme pur et simple, empreint d’une sensualité torride.

Un désir d’Orient

Le prophète Mahomet  » n’a aimé dans sa vie que la prière, les femmes et les parfums  » (2). Il aimait à répéter que  » les parfums fortifient les sens et que, lorsque ceux-là sont forts, les pensées sont droites « . C’est dans cette tradition arabe que Serge Lutens, passionné du Maroc et de sa civilisation, puise son inspiration, pour nous offrir des jus différents, singuliers et sophistiqués, empreints d’histoire, de mémoire et d’émotion.  » Si l’on entend par mystique ce qui unit l’homme à quelque chose de supérieur, ma parfumerie est mystique. Pour moi, le parfum doit élever l’esprit. La myrrhe, l’encens, le santal et l’ambre font partie de l’histoire religieuse du parfum. « 

Admirablement interprétés par Serge Lutens, ces résines et bois antiques sont au coeur de quelques créations envoûtantes. Ambre Sultan, la plus plébiscitée, est un ambre classique, enrichi de notes poudrées et vanillées provenant des résines de petits arbres du Siam qui produisent le benjoin ainsi que d’arbres de Styrax et de Tolu, au Brésil. A ces accords se mêle l’essence chaude et sensuelle du cyste de labdanum. Sophistiqué par la coriandre, l’origan,les feuilles de laurier et de la myrte, l’ensemble associe aussi les racines d’angélique, le bois de santal et les feuilles de patchouli.

Tous les parfums de Serge Lutens, présentés dans un flacon unique, aux courbes douces et simples, étaient disponibles, en exclusivité, aux Salons du Palais Royal Shiseido, à Paris. Suite à une demande générale (et mondiale !), cinq créations sont désormais diffusées, d’une manière confidentielle, dans de nombreux pays, dont la Belgique. Tous les jus sont exactement pareils aux originaux, mais présentés dans des flacons différents : plats, rectangulaires et coiffés par un bouchon gris acier. Ambre Sultan fait partie de la collection. Sa Majesté la Rose est un hymne raffiné à la reine des fleurs. Douce-Amère, un oriental frais et aromatique, réunit la fraîcheur de l’absinthe, la chaleur de la cannelle et la rondeur du tiaré. A la Nuit interprète le faste des jasmins les plus capiteux d’Egypte, des Indes et du Maroc. Arabie, enfin, mêle et révèle les plus belles odeurs mythiques, la cardamome de Ceylan, le benjoin du Siam, la myrrhe, le labdanum. Le tout enveloppé par le cèdre et le santal, deux bois précieux.

Chez Diptyque, des bougies parfumées pour la maison exhalent l’opopanax, la myrrhe, le santal et la cannelle. Et quelques autres odeurs très anciennes dans des Eaux de toilette raffinées. L’Autre, avec son mélange sec et sensuel de coriandre, de cardamome, de carvi et de patchouli est une immersion totale dans les ambiances du Moyen-Orient. Eau Lente réunit l’opopanax, la cannelle et les épices indiennes, cocktail très apprécié, paraît-il, à l’époque d’Alexandre le Grand. Dans l’Eau Trois (créée en 1975) la myrrhe, l’origan, le labdanum, le laurier, le thym et le romarin évoquent le parfum des côtes montagneuses du nord de la Grèce.

De la myrrhe encore et de l’ambre, dans Les Larmes Sacrées de Thèbes, une composition complexe et moderne, inspirée à Christine Nagel, parfumeur chez Quest, par la fascinante Egypte ancienne. Leur accord mystérieux et profond est dynamisé par la fleur de poivre, le poivre rose et la cardamome, goûteuse et épicée. Le jasmin, le géranium et la rose nimbent le tout d’un halo voluptueux et charnel. Federico Restrepo a imaginé, pour ce parfum élitiste à l’extrême, un écrin en forme de pyramide, bâtie de cristal clair et de cristal améthyste. Simplement magnifique.

(1)  » Fashion Daily News « , du 13 juillet dernier.

(2) Cité par Philippe Aziz, dans  » Mahomet, le glaive, l’amour, la foi « , aux éditions Ramsay, p. 303.

Carnet d’adresses en page 107.

Barbara Witkowska

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