Après une éclipse de deux décennies, la revoilà sur les podiums, plus sûre d’elle et plus conquérante que jamais. De son dressing-room à sa salle de bains, de ses lectures à ses séries télé préférées, Weekend a pisté la working girl version hiver 2008.

Les signes avant-coureurs d’une tendance lourde étaient présents depuis un certain temps déjà. Ces Catherine Deneuve, Madonna ou Nicole Kidman, par exemple, vues dans les cocktails mondains en vestons dessinés par Heidi Slimane pour Dior Homme. Une classe telle qu’on peut se demander si ce n’est pas – en partie – ce qui a poussé l’ex-directeur artistique à quitter la grande maison pour habiller les femmesà à titre principal. Et puis il y a eu ces Michelle Bachelet, au Chili, et autres Cristina Fernandez de Kirchner, en Argentine. Chefs d’Etat mais femmes jusqu’au bout des seins, on ne les avait jamais vues aussi bien dans leurs escarpins que depuis qu’elles ont adopté la veste à épaulettes et la jupe crayon. Ou encore Hillary Clinton, alors encore dans la course à la présidence américaine, relookée chic  » pur et dur  » avec la bénédiction d’Anna Wintour herself. Dans Vogue Etats-Unis, dont elle est la rédactrice en chef, la papesse de la mode est même allée jusqu’à pointer une série de tenues d’apparat qui conviendraient parfaitement à l’ancienne first lady. Du Ralph Lauren, du Donna Karan, de l’Oscar de la Rentaà Des griffes qui, outre leur ADN yankee, partagent aussi une vision plutôt stricte de l’élégance.

La bourgeoise s’encanailleà

Puis, preuve ultime que décidément quelque chose se tramait, les fashion weeks ont apporté leur cortège de tailleurs, pantalons taille haute et manteaux à l’allure résolument masculine-féminine. Une marée de noir déferlant sur tous les podiums, tantôt en version monochrome, tantôt en association avec du blanc, comme chez Martin Margiela, Fendi ou Givenchy. Des silhouettes architecturées à l’extrême, vues chez Jil Sander, Stella McCartney, Louis Vuitton ou Costume National. Et surtout une collection époustouflante pour Yves Saint Laurent. Stefano Pilati, directeur artistique de la griffe, réinterprète de façon magistrale le costume, pièce iconique et must-have absolu des pionnières qui, à l’époque, partaient à l’assaut des hautes sphères décisionnelles. De son côté, Nicolas Ghesquière, pour Balenciaga, semble adresser un clin d’£il à Thierry Mugler, créateur-star des eighties : jeux de volumes, robes noires découpées au laser, épaules démesuréesà Sans oublier un tailleur qui transcende ses codes traditionnels pour se décliner dans une version vinyle. Même démarche de détournement chez DSquared où la rebelle rockeuse se fait éjecter des catwalks par la bourgeoise s’encanaillant en bas résille et talons aiguille. Même chez Chanel, Karl Lagerfeld n’hésite pas à taillader le tailleur, pièce mythique de la maison, dans un esprit grunge chic. Jusqu’au moindre détail, les collections ont des relents eighties : des cols structurés, des jabots, de la dentelle un rien austère, des épaulettes et une  » nouvelle  » longueur, le 7/8e – dans les années 1980, on disait  » mi-mollet « .

à et repart au combat

Plus de doute possible : la working girl, éclipsée des sphères trendy depuis deux décennies, fait un retour triomphal. Galvanisée par l’overdose de flou, de volants et de fleurs façon bo-hème chic que nous ont imposée les dernières saisons, elle repart au combat, la démarche sûre, le regard franc, la silhouette conquérante. Mais pas austère pour autant : le nouvel avatar de Tess, rôle-titre du film de Mike Nichols et Sam O’Steen ( Working Girl, 1989), ne dédaigne ni les accessoires ni les bijoux. Car, comme le conclut Anna Wintour dans son coaching éditorial à Hillary, l’idée qu’une femme doive aujourd’hui s’attifer comme un homme pour être prise au sérieux dans les hautes sphères du pouvoir est  » franchement consternante « . Et ce n’est pas Donatella Versace qui la contredira. Dans l’hebdo allemand Die Zeit, l’extravagante créatrice italienne y allait elle aussi de ses conseils mode à la candidate démocrate évincée : robes ou jupes  » jusqu’au genou  » et le noir pour couleur.  » Elle est une femme et doit le montrer « , assenait-elle en guise de conclusion. Chez Weekend, on est plus que d’accord.

Notre guide en 11 étapes pour reconnaître la parfaite working girl version hiver 2008.

Son idole

En 1988 : le Premier ministre britannique Margaret Thatcher (1), moins pour son credo ultralibéral que pour son statut de femme de poigne, qui a su se hisser aux côtés des hommes dans les plus hautes sphères du pouvoir.

En 2008 : le modèle n’est plus monolithique. Les nostalgiques de la Dame de Fer se tournent tout naturellement vers la Chancelière allemande Angela Merkel, qui partage avec sa cons£ur britannique un certain goût pour la jupe en dessous du genou et le talon de 4 cm. Mais la jeune génération a surtout en tête Michelle Bachelet, Cristina Fernandez de Kirchner (5) ou encore la flamboyante Emma Marcegaglia, récemment nommée présidente de la Confindustria, le patronat italien. Effrontée, tenace, la  » patronne des patrons  » arbore sans complexe des jupes (très) courtes, comme pour mieux s’affranchir des machos qui l’attendent au tournant.

L’objet dont elle ne pourrait se passer

En 1988 : son Psion, ramené d’un voyage professionnel à New York parce que pas encore disponible sur le marché européen.

En 2008 : son Blackberry, dont elle est accro. Au point d’être désarçonnée lorsqu’elle reçoit un mail qui ne se termine pas par  » sent by Blackberry « .

Sa série télé préférée

En 1988 : parmi les premières afficionadas de Madame est servie (2), la working girl vouait un culte secret à Amanda Bower, riche femme d’affaires divorcée qui avait eu l’idée révolutionnaire d’engager un homme commeà femme de ménage. Par la suite, elle est devenue fan de Melrose Place, qu’elle regardait via le satellite sur les chaînes US dès 1992. Heather Locklear, son brushing oversize, son bronzage californien et ses tailleurs minijupe incarnaient alors, à ses yeux, la quintessence de la business woman qui a réussi.

En 2008 : même si les femmes au foyer l’insupportent, elle ne rate pas un épisode des Desperate Housewives. Parce que Lynette Scavo (7), avec sa ribambelle d’enfants, son cancer, sa carrière menée tambour battant et son esprit d’entreprise toujours en ébullition, force le respect. La cultissime série Dirt (6), dans laquelle Courtney Cox incarne une rédactrice en chef à la fois dominatrice, sexy et trendy, l’amuse aussi beaucoup.

Ce qu’elle écoute

En 1988 : les variations de Bach par Glenn Gould, en boucle sur son autoradio à cassettes. Dans les embouteillages, ça lui évite de s’énerver au volant de son Audi 80.

En 2008 : Cecilia Bartoli, Diana Krall et Madeleine Peyroux, en boucle sur l’installation Bose qu’elle a fait placer dans sa Mercedes Classe B. Depuis qu’elle a été invitée par un gros client au concert d’Hélène Grimaud, elle projette aussi de s’offrir le CD mais n’a pas encore trouvé le temps de se rendre chez le disquaire.

Son parfum

En 1988 : pour affirmer encore son identité de  » winneuse  » parfaitement sûre d’elle, elle a toujours opté pour des effluves capiteux et prégnants. Chanel N°5 (4), Opium de Yves Saint Laurent (3) ou Shalimar de Guerlain comptaient parmi ses favoris.

En 2008 : elle reste addict des jus à forte personnalité. Les notes orientales-fleuries de The One, de Dolce & Gabbana (9), lui plaisent tout particulièrement. Elle aime aussi Palazzo, de Fendi, pour son côté sensuel et flamboyant. Plus pointues, Iskander et Cuir Ottoman (8), eaux de parfum mixtes créées par Marc-Antoine Corticchiato la séduisent aussi par leur côté exclusif.

Son sport favori

En 1988 : elle s’astreignait quotidiennement – mais toujours après 20 h 30 – à une séance de cardio ou de running dans une des salles de fitness les plus huppées de la ville.

En 2008 : Pablo, son coach, l’entraîne au tai-chi chez elle. Nettement plus pratique et tellement plus smart. Quand les business lunches se sont enchaînés à une cadence infernale, lui laissant pour souvenir quelques honteux bourrelets, il lui concocte un programme de pilates intensif et sur-mesure.

Son make-up indispensable

En 1988 : un  » contour des lèvres  » prune, un crayon pour les yeux et de la Terracotta de Guerlain (1) quand elle a loupé sa séance de BS (entendez banc solaire) hebdomadaire. Le bronzage est un signe extérieur de réussite sociale, pas question dès lors d’afficher un teint terne. Même si on ne s’est plus offert de vacances depuis trois ans, carrière oblige.

En 2008 : elle garde le crayon pour les yeux – le trait de khôl prend trop de temps le matin – mais a abandonné le contour des lèvres, trop dur, au profit d’un stick de rouge très rouge. Le must ? Rouge Allure de Chanel (5), pour le côté  » luxe non ostentatoire  » du packaging, ou les tubes minimalistes high class de M.A.C. et Giorgio Armani (4). Quant au teint, elle le préfère parfait et nude : depuis que les vacances au soleil sont à la portée de toutes les bourses, le visage pain d’épice  » that’s really naff !  » ( NDLR :  » ça fait plouc ! « ).

Son héroïne ciné

En… 1989 : faut-il le préciser ? Melanie Griffith (2) dans Working Girl (1989), LE film culte. Un synopsis fait pour elle, puisque l’héroïne, jeune femme intelligente et volontaire, se joue de ses supérieurs machistes pour se hisser dans les sphères dirigeantes de la compagnie qui l’emploie.

En 2008 : son agenda overbooké lui offre très rarement le loisir de fréquenter les salles obscures. Récemment, elle a reloué le DVD de Harcèlement (1995) et n’a pu s’empêcher d’admirer une fois de plus l’aplomb dont fait preuve Demi Moore, prête à tout pour faire tomber Michaël Douglas. En plus, dans la vraie vie, Demi n’a peur de rien. Pas même d’afficher au grand jour son histoire d’amour avec Ashton Kutcher (6), nettement plus jeune qu’elle. Quand on a fait une croix sur sa vie sentimentale pour tout miser sur sa carrière, c’est le genre d’exemple réconfortant qui prouve que tout n’est pas perdu une fois 40 ans.

Son lieu de vacances

En 1988 : le mot ne faisait pas partie de son vocabulaire. Tout au plus un séminaire à Deauville qu’elle prolongeait d’un jour ou deux pour s’offrir un parcours de golf et upgrader son handicap.

En 2008 : elle s’octroie régulièrement un break dans un spa hyperchic – celui du Bristol, à Paris, compte parmi ses favoris -, s’offre chaque hiver quelques jours à Gstaad et une semaine aux Maldives pendant l’été. Mais, où qu’elle aille, elle ne réserve jamais son séjour sans s’être assurée que la connexion wi-fi de sa suite lui permettra de se connecter au moins une fois par jour à Wall Street et Tokyo.

Sa tenue de combat

Hiver 88-89 : un tailleur jupe, noir, rouge ou carrément rose. Ou un pantalon griffé Barbara Bui, parce que la créatrice compte parmi les premières, après son maître Yves Saint Laurent (3), à avoir compris que pour se battre à armes égales avec les hommes, il fallait s’approprier leurs codes sans pour autant perdre sa féminité.

Hiver 08-09 : un tailleur, plus que jamais. Mais avec un twist décalé : qu’il soit lacéré au cutter comme chez Chanel (7), moulé dans le vinyle, taillé dans le tweed ou l’imprimé tartan, la pièce phare de la saison entend détourner les clichés bourgeois pour n’en garder qu’une certaine élégance (lire aussi notre leçon de mode en pages 128 à 135) . Depuis que Stella McCartney a viré sa cuti pour proposer cette saison un tailleur pantalon sexy, la working girl a même revu son jugement sur les bobos. C’est dire !

Ses lectures

En 1988 : pour tuer le temps entre le check-in et l’embarquement de ses innombrables vols, elle se vidait la tête avec les best-sellers de Paul-Loup Sulitzer. Dans son top 3, Anna, L’Impératrice et Kate, ou les destins flamboyants de femmes parties de rien pour fonder un empire à la force de leur seule volonté.

En 2008 : pour ne pas être tenue à l’écart dans les dîners mondains, elle s’est forcée à lire Les Bienveillantes de Jonathan Littell jusqu’au bout. Mais, pour le plaisir, elle se délasse avec un  » bon  » Marc Levy ou se rassure sur sa culture générale en dévorant le dernier Eric-Emmanuel Schmitt pendant que Gina se charge de son épilation maillot.

Delphine Kindermans

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