À 34 ans, le créateur des fragrances Juliette Has a Gun a repris le flambeau familial tout en traçant son propre chemin. Son inspiration ? Les femmes et le grand air des Grisons.

Pour un freudien, tuer le père c’est banal mais l’arrière-grand-mère, voilà qui est plus original. Est-ce plus facile pour autant ? À 34 ans, Romano Ricci, arrière-petit-fils de la célèbre styliste Nina Ricci (1883 – 1970), doit encore et toujours répondre de cet encombrant patronyme qui lui colle à la peau. Il a pourtant décidé, il y a sept ans, de sortir (pacifiquement) le calibre. Pour solder le passé. L’arme s’appelle Juliette Has a Gun. Une marque de fragrances qu’il a développée à l’ombre des géants du luxe. On appelle cela la parfumerie alternative. Les concept stores branchés type Colette, à Paris, raffolent de ces  » tirés à part  » dont la réputation se propage davantage par le bouche-à-oreille que par les campagnes d’affichage. Question de budget. La société de Romano Ricci engrange 2 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, une goutte d’eau à côté des multinationales de la cosmétique…  » L’avantage, c’est que je me sens libre de proposer ce que je veux sans que l’on m’impose quoi que ce soit « , revendique le créateur français d’origine italienne.

Cet autodidacte qui pense que  » les études ne servent à rien  » a roulé sa bosse six ans dans la parfumerie, de la fabrication au packaging jusqu’au développement produit à l’époque  » où toutes les marques de fringues voulaient leur eau de toilette « . En 2005, il fonde Juliette Has a Gun qui comporte aujourd’hui moins de dix références, toutes destinées aux femmes. Les intitulés – Calamity J., Lady Vengeance, Mad Madame… – se la jouent rebelles, décalés. D’ailleurs, la seule égérie que compte la marque s’appelle Lou Doillon, choisie le temps d’un lancement  » pour son côté rock’n’ roll et sa bouche à la Mick Jagger « .

Une image qui colle bien à la conception olfactive de Romano Ricci, lequel se dit peu sensible aux notes florales en dépit de son contact au grand air et de ses retraites dans son chalet du canton des Grisons, où germent la plupart de ses concepts. À moins que ce ne soit l’humus des forêts helvètes. Car son truc à lui, c’est l’ambroxan, une molécule musquée, boisée, qu’il utilise depuis ses débuts et qui traduit sa vision de la femme.  » Ce n’est pas une vision univoque. Je décris à chaque fois un caractère différent, tantôt sauvage, sophistiqué, imprévisible. Juliette est comme un personnage de fiction qui évolue avec le temps. « 

Quand il n’est pas dans ses ateliers ou dans un avion pour le Moyen-Orient ou l’Amérique du Sud afin d’y convaincre de nouveaux acheteurs, le parfumeur aime respirer les vapeurs du benzène au petit matin. Au volant de voitures de course, il pousse le champignon sur les circuits d’Imola ou de Spa-Francorchamps pour des compétitions entre amateurs. Son exploit ? Sa participation en 2000 aux 24 heures du Mans aux côtés de son père, Jean-Louis Ricci, pilote chevronné, décédé quelques mois plus tard.  » C’était quelqu’un de très fantaisiste. Il pouvait arriver aux réunions de travail en pyjama. Cela ne plaisait pas à toute la famille. « 

Fondée en 1958 par ses aïeux, la société Nina Ricci sera vendue en 2000 au puissant groupe espagnol Puig.  » J’ai eu une enfance privilégiée, c’est certain. Quand mes copains de classe allaient à l’école en bus, moi j’arrivais en voiture électrique. Cela vous marginalise.  » Las de cette réputation de gosse de riches, il réfute l’idée d’être un parfumeur en dilettante…  » Toute mon énergie passe dans mon travail.  » Et affirme poursuivre la quête d’une fragrance  » qui réunirait toutes les femmes « . Comme un goût d’absolu ? Il rit.  » Non, c’est le fantasme de tous les parfumeurs. « 

PAR ANTOINE MORENO

 » TOUTE MON ÉNERGIE PASSE DANS MON TRAVAIL. « 

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