L’allure des hommes parce qu’ils la valent bien.
L’allure est un nom du genre masculin. Et ce n’est là ni erreur grammaticale ni faute de goût, comme le prouve François Baudot, écrivain, journaliste et dandy délicieux.
Qu’est-ce qu’un homme qui a de l’allure? Un maniéré mythomane? Un péquenot prétentieux? Un abonné aux effets de manche ou un efféminé forcené? Eh bien non, non et non! Laissez, mesdames et messieurs, vos a priori au vestiaire et vos idées arrêtées au placard. Les hommes ont du charme et du charisme plus ou moins bien dosé; ça, on le savait déjà. Mais les fils d’Adam ont également du chien, du chic et de la classe, même là où on ne les attend pas. C’est ce que prouve, en mots choisis et en images sublimes ou percutantes, le livre » L’Allure des Hommes » (1) de François Baudot.
Mordu de mode sans virer fashion victim, expert en élégance » made in France « , François Baudot, diplômé en architecture et design aux Arts-Déco de Paris ( NDLR: il fit ses classes avec, notamment, des pointures comme Philippe Starck), est écrivain (2), journaliste et conseiller auprès de la rédaction de l’hebdomadaire » Elle « . Doué pour le concept architectural et pour le dessin, notre homme préféra néanmoins l’écriture, démarche dont ses nombreux lecteurs ne lui tiennent pas grief.
Mis en musique par la plume (im)pertinente de François Baudot, observateur aiguisé des modes et des manières de son temps, l’ouvrage » L’Allure des Hommes » explore les principes d’élégance masculine et étudie les évolutions discrètes mais très identifiables de la garde-robe du sexe fort. Accordée au masculin pluriel – François Baudot a réuni dans son livre hommes politiques, stars de la scène, artistes et anonymes -, l’allure est généralement imperceptible, intangible et innée. De cette élégance des hommes, jouée sur l’air de rien et synonyme de distinction magnifique, François Baudot parle avec panache. Normal, puisqu’il la vaut bien.
Weekend Le Vif/L’Express: L’allure est-elle innée chez l’homme? Naît-il avec?
François Baudot: Vous savez, l’important n’est pas de savoir comment vient l’allure mais bien de ne pas avoir l’air de l’avoir apprise. A l’instar du dandysme, l’allure au masculin implique la distance, l’indifférence feinte face aux choses d’ici-bas. C’est ce qu’on retrouve d’ailleurs dans la politesse et les règles du comportement anglo-saxon; un détachement élégant mâtiné de flegme et d’esprit sportif, en particulier lié à l’équitation puisque cette discipline exige un mélange de détermination, d’impulsion et de sérénité. On peut dire, finalement, que l’élégance masculine est le fruit d’un équilibre interne qui fait que sur le plan de l’allure, certains sont supérieurs à d’autres.
Peut-on définir l’allure au masculin?
Ecoutez, chaque personne possède une allure. Moi, j’ai choisi de parler d’allure synonyme de dégaine, de look, d’apparence. Pour moi, l’allure est le côté positif, lumineux de l’apparence. Et j’avoue que je ne peux expliquer de quoi ladite allure se compose. Simplement, certains l’ont – tout en feignant de ne pas en avoir -, et d’autres ne l’ont pas.
Pourquoi avoir choisi de débuter l’histoire de l’allure au masculin à la fin du XVIIIe siècle?
Parce que c’est à ce moment-là, révolutions et émergences des sociétés démocratiques obligent, que le vêtement de cour a cédé progressivement la place au costume de ville. En la matière, les Anglais, et plus largement les Anglo-Saxons d’ici et d’Amérique, ont précédé tout le monde. Dans ce pays où la royauté était beaucoup moins chichi qu’en France, où le noble relevait plutôt du gentleman farmer au chic décontracté – il annonçait déjà le look sportswear et casual chic de nos contemporains -, et où le protestantisme exige une grande discrétion de l’apparence, la sobriété allurée du vêtement masculin s’est imposée en maître. A cette austérité élégante, nous nous référons encore volontiers aujourd’hui, même si cette démarche est parfois inconsciente.
Les Anglo-Saxons protestants du XVIIIe siècle sont-ils, en quelque sorte, les pères fondateurs du côté minimaliste, toujours en vigueur, de la garde-robe masculine?
En quelque sorte, oui. A la fin du XVIIIe puis tout au long du XIXe et même au XXe siècle, le » less is more » (moins, c’est plus) a été la référence pour arriver à la quintessence de la coupe d’un vêtement ou d’une architecture. Dominé par le capitalisme naissant, le XIXe siècle va imposer des principes esthétiques selon lesquels l’homme gouverne et la femme paraît. Monsieur va donc opter de plus en plus pour des couleurs sobres, voire sombres et un habit à l’ornement discret tandis que Madame, vraie » vitrine » de sa réussite sociale, va chatoyer de mille feux.
Inversant ainsi ( sourire) les lois du règne animal où c’est plutôt le mâle qui flamboie, cette codification vestimentaire rendit la femme extraordinairement visible tandis que l’homme développait une espèce d' » invisibilité » étrangère à la mode. Tenez, si vous comparez, par exemple, un tableau de Thomas Gainsborough ( NDLR: peintre anglais, 1727-1788) et le costume de Monsieur-Tout-le-monde, vous constaterez, à quelques exceptions près, que le trio chemise-veste-pantalon demeure, sinon dans ses proportions du moins dans sa structure, quasiment inchangé. Alors que la femme suit une mode qui bouge tous les six mois et se retrouve dans le changement, l’homme, lui, se retrouve en restant pareil.
Peut-on dès lors parler, pour l’allure masculine, d’évolution tranquille?
Je ne sais si l’on peut parler d’évolution parce qu’il s’agit d’un mouvement très souterrain. Depuis plus de 150 ans, l’élégance des hommes adopte l’immobilité » smart » d’un lutteur de sumo japonais. En clair, cela signifie qu’il reste identique mais parvient quand même à se distinguer par de subtils détails. C’est d’ailleurs de là, selon moi, que vient la notion de » l’homme distingué « .
Qu’entendez-vous par là?
Je veux dire que l’homme distingué réussit, tout en étant strictement pareil à ses semblables, à s’en différencier de façon impalpable. Sa force est d’être exactement le même, et simultanément, d’afficher une originalité redoutable parce que discrète et presque imperceptible. La véritable élégance masculine est de ne pas y prétendre. Chez la femme, la donne est complètement différente: si l’une porte une robe haute couture et l’autre, une blouse et un pantalon, on comprendra illico qu’il ne s’agit ni de la même femme, ni de la même circonstance ni, éventuellement, du même niveau de revenus.
Le XXIe siècle correspondrait-il à une nouvelle élégance masculine?
Passer d’un siècle à l’autre signifie invariablement regarder derrière soi afin de mieux comprendre tout ce qui nous est arrivé – question événements et découvertes, le XXe siècle a mis le turbo, non? – et ensuite, essayer d’aborder plus solidement les temps à venir. En mode masculine, le siècle achevé a proposé pas mal de styles mais c’était chaque fois l’effet de minorités allurées (les zazous, les minets, les mods…) et il ne faut pas écrire l’histoire en se basant sur ses exceptions, comme le font généralement les gens de la mode et de l’architecture ( sourire). L’homme a incorporé, c’est vrai, plusieurs changements dans son mode de vie, du moins en théorie. Car, dans la réalité, l’homme, je vous l’ai dit, a gardé la même apparence. Peut-être comme un » bouclier » vestimentaire en quelque sorte, car il est un » animal fragile » qui déteste être bousculé.
L’allure des hommes est donc un changement dans la continuité?
Je pense: prenez, dans mon livre, la photo de jeunes gitans – l’un de mes clichés favoris et qui m’a inspiré cet ouvrage -, dans les années 1920 et comparez leur tenue avec un costume de Yohji Yamamoto. Vous verrez tout de suite que la mode masculine, dans le fond, n’a guère subi de révolutions ou d’évolutions. Mais ce qui est formidable, c’est que les créateurs, dès le début des eighties, quand la mode devint à la mode, ont revisité la structure du costume d’homme. Ils l’ont rendu plus souple, plus confortable et plus léger, tout en lui laissant sa substantifique moelle. C’est ça la magie du chic masculin: mettez un trois-pièces de 1912 et un costume de Giorgio Armani face à face: vu de loin, ils se ressemblent. Approchez-vous-en et vous constaterez ce que je veux dire quand je parle de discrétion et de distinction.
(1) » L’Allure des Hommes « , François Baudot. Editions Assouline, 112 pages.
(2) On lui doit notamment » Mode du Siècle « , un livre-dictionnaire qui passe en revue tous les phénomènes de mode du XXe siècle. A aussi signé, toujours chez Assouline et dans la collection » Mémoire de la Mode « , plusieurs monographies (Chanel, Yohji Yamamoto, Mugler, etc.).
Propos recueillis par Marianne Hublet
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