L’AMÉRIQUE EN V.O.
Loin de Washington D.C., le cour du Sud profond bat à son propre rythme, entre blues, folklore et bonne chère. À la veille des élections présidentielles qui se tiendront le 6 novembre prochain, Le Vif Weekend remonte aux sources de la nation américaine.
Que font certains des plus grands noms de l’art contemporain » perdus » au beau milieu du Midwest américain ? À Saint Louis, capitale du Missouri, bordant le fleuve Mississippi, le Citygarden rassemble les £uvres d’une vingtaine d’artistes internationaux, dont Niki de Saint Phalle, Fernand Léger, Bernar Venet, Julian Opie, Keith Haring, Aristide Maillol… Quel plaisir de déambuler entre les sculptures et les fontaines, avec vue sur l’architecture classique du centre-ville et à deux pas du célèbre stade des Cardinals, l’équipe championne de football américain. L’aménagement de ce jardin, véritable oasis urbaine inaugurée en 2009, a coûté à la fondation privée qui le gère près de 30 millions de dollars (plus de 23 millions d’euros) auquel il faut ajouter le prix d’achat des £uvres. Un investissement s’inscrivant dans la revitalisation du Downtown de cette cité qui ne figure pas sur les itinéraires touristiques mais qui fut pourtant le point de départ de l’épopée des explorateurs américains de la ruée vers l’or.
Le Citygarden rend hommage au Mississippi et à la nature sauvage propre à cette région centrale des États-Unis. C’est ici qu’en 1804, la fameuse expédition de Lewis & Clark a chargé ses malles avant le grand départ à la recherche d’un passage commercial vers le Pacifique. La conquête de l’Ouest est immortalisée par la fantastique arche de métal signée de l’architecte d’origine finlandaise Eero Saarinen, aussi chère aux Américains que la tour Eiffel l’est aux Français. Pour mieux détailler cette splendeur de 192 mètres de hauteur – arc-en-ciel terrestre, une structure jouant avec le ciel et les nuages et se déclinant en une multitude de coloris -, il faut se coucher dans l’herbe du Jefferson Park bordant le Mississippi. On peut aussi en faire l’ascension puis visiter le musée situé dans ses fondations, dédié à l’expansion du territoire américain. On mesure pleinement alors combien l’influence française de cette » ville dans la prairie » est importante.
Fondée en 1764 par le commerçant de fourrures français Pierre Laclède, la cité a été baptisée Saint Louis en l’honneur du Roi Soleil. Son quartier historique, très apprécié des locaux, s’étend autour de Lafayette Square, du nom du jeune marquis de Lafayette, héros français de la Révolution américaine. Les amoureux de l’American Way of Life ne manqueront pas un match des Cardinals, arrosé d’une bière du grand brasseur Anheuser-Bush (aujourd’hui propriété du groupe brassicole belgo-brésilien InBev). Mais déjà retentit le Calliope, l’orgue à vapeur qui sonne l’heure du départ de sa mélodie sympathique. Les nostalgiques des aventures de Tom Sawyer n’ont plus qu’à embarquer à bord du bateau à aube dénommé joliment l’American Queen pour la descente du Mississippi.
HIP-HOP À MEMPHIS
Première grande agglomération le long du fleuve au sud de Saint Louis, Memphis incarne toujours, avec Nashville et La Nouvelle-Orléans, le berceau musical des États-Unis. Des artistes de tout le pays viennent y enregistrer leurs albums donnant à la ville un air de fête permanent. Dans les clubs et bars de Midtown, il y en a pour tous les goûts : de la pop au rock en passant par l’indie punk et le crunk, un style de hip-hop originaire de Memphis. Avec ses mélodies alliant rock, folk et country, le trio local The Memphis Dawls y remporte actuellement un franc succès. De nombreuses galeries d’art se sont ouvertes récemment dans ce quartier, comme la David Lusk Gallery, qui promeut des artistes de la région. Au travers de ses installations vidéo, l’artiste Dwayne Butcher s’intéresse par exemple » aux stéréotypes liés à l’image des hommes dans le sud des États-Unis et à la question de la masculinité « , tournant notamment en dérision ses propres problèmes de poids : » on mange tellement bien ici que c’est presque normal d’avoir des kilos en trop « , sourit-il.
Autre tradition du Sud, Memphis organise plusieurs grands festivals, dont le très international Memphis in May mettant à l’honneur chaque année un pays différent. Mais que serait la capitale du rock sans son King Elvis ? Le sex-symbol qui a révolutionné la musique blanche avec ses notes furieuses à la guitare, sa voix de velours et ses déhanchés impudiques, en tirant trop tôt sa révérence, semble avoir laissé dans l’air son énergie extraordinaire. Sa demeure de Graceland, où il organisait les soirées les plus mémorables de tout le Sud, se visite comme un mausolée à la mémoire du géant, disparu en 1977 à l’âge de 42 ans. Loin d’être la villa opulente que l’on s’imagine, elle est le parfait exemple du plus pur style des sixties. Le King aimait par-dessus tout recevoir ses invités dans l’ambiance feutrée de la Jungle Room, aux murs et bar en pierres apparentes, avec des cascades de plantes vertes et la moquette du même ton. La maison comprend plusieurs musées dédiés aux hobbies de la plus grande rock star du XXe siècle, comme ses voitures de collection et ses fameux costumes. S’il met en lumière le génie créatif et la sensibilité de l’artiste, le parcours ne présente toutefois qu’une vision idéalisée du chanteur, faisant discrètement l’impasse sur ses addictions à la drogue et à l’alcool et les conditions tragiques de sa mort.
Non loin du manoir d’Elvis, le 4 avril 1968, Martin Luther King est abattu au balcon du Lorraine Motel, à Memphis. Après des années d’oubli, la dernière halte de l’autre King a été reconvertie en un très beau musée des droits civiques. La Chambre 306, où il a passé sa dernière nuit, a été reproduite à l’identique ainsi que la cellule où il a rédigé sa fameuse Lettre de la prison de Birmingham. Si le mémorial qui lui est dédié à Atlanta met l’accent sur l’histoire personnelle de Martin Luther King et sur sa vision d’égalité et de pacifisme, le musée de Memphis insiste sur le contexte politique tendu de l’époque, l’organisation de la lutte et la terreur que faisait régner le Ku Klux Klan dans le Sud ségrégationniste, des pages sombres de l’histoire américaine si bien décrites dans le film Mississippi Burning. Pour conclure la découverte de Memphis sur une note plus joyeuse, on ne manquera pas d’aller frapper des mains dans l’église gospel du révérend et pop star Al Green. À condition d’être sur place un dimanche !
VERSION CINÉ
L’industrie du cinéma a également le vent en poupe dans le Deep South. La Couleur des sentiments, film aux multiples nominations aux Oscar 2012, a été tourné dans la petite ville endormie de Greenwood, dans l’État du Mississippi, qui organise désormais des visites guidées sur les lieux du tournage. Dans une Amérique pour la première fois dirigée par un président afro-américain, l’expérience de la ségrégation vue par une servante noire au début des années 60 n’est pas passée inaperçue. Elle fait écho à une autre page d’histoire, celle des plantations de coton et de canne à sucre en bordure du fleuve Mississippi. Les visites de la plantation de Laura Locoul et des hôtels particuliers de cette riche héritière dans le Vieux Carré de la Nouvelle-Orléans offrent une plongée dans le monde créole. Ces propriétaires terriens d’origines européennes métissées, exportateurs, durs en affaires et esclavagistes, occupaient une place importante dans la société louisianaise avant la Guerre de Sécession. Ils menaient un grand train de vie, comme en témoigne la superbe propriété de Oak Alley, dont la majestueuse allée de chênes tricentenaires est inoubliable. À l’intérieur de cet édifice de type néo-renaissance, on découvre les us et coutumes des anciens habitants. Par superstition, lorsqu’un décès survenait dans la maison, les Créoles recouvraient les miroirs d’un voile, de peur que l’âme du défunt n’y reste prisonnière pour l’éternité.
Beaucoup moins touristique, la plantation Laurel Valley, sur la commune de Thibodaux, en plein pays cajun, est un fantastique témoignage de cette époque pas si lointaine. Ce large domaine agricole a été relativement bien conservé car les métayers y ont exploité la canne à sucre jusque dans les années 30. Dans ce village fantôme au milieu des champs, qui comprenait une école, une église et plusieurs ateliers d’artisans, la plupart des cabanes en bois des 162 esclaves, rongées par la mousse et l’humidité, tiennent miraculeusement toujours debout. L’épicerie été transformée en un musée local, géré par de charmants bénévoles, véritable bric-à-brac d’artefacts de la vie sur la plantation. L’atmosphère insolite et hors du temps de Laurel Valley a d’ailleurs servi de décor à de nombreux films, comme Ray, sur la vie de Ray Charles, Conversation avec un vampire ou encore Angel Heart.
Plus récente, la série télévisée américaine Treme met en scène les habitants de ce quartier noir de la Big Easy, après le passage de l’ouragan Katrina en 2005. David Simon, le réalisateur à qui l’on doit également la saga Sur Écoute ( The Wire) sur les milieux policiers et la pègre de Baltimore, n’est pas le seul à avoir été touché par le sort de la Louisiane et de son Delta. Le jeune réalisateur Benh Zeitlin, lauréat cette année du Festival américain de Deauville, de la Caméra d’Or à Cannes et grand prix du jury au dernier Sundance Festival pour son film documentaire Les Bêtes du sud sauvage, s’inspire aussi de cette terre fragile qui disparaît lentement mais sûrement au gré des bouleversements climatiques. Cette fable poétique, qui sortira le 12 décembre prochain sur grand écran, se déroule tout au sud du Delta du Mississippi, au c£ur du pays cajun. Aujourd’hui, ses habitants, dont certains parlent toujours l’ancien français, vous invitent à leur table pour déguster des écrevisses à l’étouffée avec leur roux, leurs épices et leurs okras, ou une jambalaya, un mélange de saucisses et de fruits de mer à base de riz. Ils vous emmènent danser sur le plancher vermoulu d’un ancien saloon au son du violon, de l’accordéon, de l’harmonica et du frottoir, un drôle d’instrument tiré de la planche à laver, que le musicien tient verticalement sur sa poitrine pour y faire glisser ses doigts. Dans les bayous, on peut encore admirer les grands cyprès décorés comme des guirlandes par la mousse espagnole, la ronde des alligators, le vol d’aigrettes blanches et les tortues d’eau qui se chauffent au soleil sur des rondins de bois. Dans le calme et loin des sentiers battus, le c£ur du Vieux Sud palpite toujours…
PAR STÉPHANIE FONTENOY
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