En exclusivité pour Weekend, Arta Dobroshi, la nouvelle muse des frères Dardenne, joue les mannequins. Avec, dans le rôle du styliste, Martin Margiela, créateur aussi visionnaire qu’invisible. Récit d’une grande première, en images.

L’heure a beau être matinale, Arta Dobroshi ne cède pas à la tentation des pains au chocolat que je lui propose dans le Thalys filant vers Paris.  » Il n’y a que deux choses que je n’aime pas en Belgique, s’excuse la jeune Kosovare dans un sourire. La bière et le chocolat. Et tout le monde s’entête à me les faire goûter !  » La muse des frères Dardenne, révélée dans Le Silence de Lorna, se souvient des  » ballotins  » de pralines accumulés dans sa loge cannoise, qui ont fini en distribution générale aux maquilleuses et aux techniciens.  » Ils trouvaient ça gentil, je n’osais pas préciser que de toute façon je ne les aurais pas mangésà  »

En guise de petit déj, ce jour-là, ce sera donc une pomme, que la comédienne a pris soin d’emmener dans son petit sac à dos. Tout en croquant à belles dents, elle parle. De tout, de rien. De Bruxelles, où elle vit pour le moment, sans savoir encore si sa carrière ne l’amènera pas à s’installer à Paris. De Pristina, sa ville natale, d’où elle est rentrée la veille après un séjour éclair –  » Revoir ma famille m’était devenu une nécessité. Juste après que le film soit récompensé ( NDLR : Le Silence de Lorna a reçu la Palme du meilleur scénario au 61e Festival de Cannes, en mai dernier), soixante personnes m’attendaient à l’aéroport, y compris une équipe de la télé locale. Tous en tee-shirt « Artamania » !  »

A travers la vitre, la Wallonie défile. On pense inévitablement à l’univers sinistré cher à Jean-Pierre et Luc Dardenne. Leur septième opus, qui prend Liège pour décor, dresse une fois encore le portrait d’une jeune femme qui se bat pour ne pas sombrer dans la marginalité. Mais alors que leurs précédents longs-métrages avaient révélé les jeunes Belges Emilie Dequenne ou Déborah François, c’est cette fois au Kosovo que les Frères ont trouvé leur actrice principale. Le casting, suivi d’un bref galop d’essai, s’est fait sur place.  » Ensuite, Arta est venue à Liège et nous l’avons filmée jouant avec Jérémie Renier et Fabrizio Rongione, expliquent les réalisateurs. Elle était merveilleuse, simple et belle. Le soir, avant qu’elle ne reprenne l’avion pour Sarajevo, nous lui avons dit que c’était elle qui interpréterait le rôle-titre. « 

Un rôle qu’Arta a pris tellement à c£ur qu’elle continue à utiliser le  » je  » quand elle parle de Lornaà  » Même après le tournage, j’ai d’ailleurs continué à appeler les garçons Claudy (Jérémie Renier) et Fabio (Fabrizio Rongione). Quand on s’appelle ou qu’on s’envoie des mails, ce sont ces noms-là qui restent « , précise-t-elle avant d’ajouter que les anciens du clan Dardenne l’ont accueillie  » comme des grands frères « .

Fashion mais pas victim

Sur le même ton étonnamment léger, la  » nouvelle Rosetta  » embraye sur les cicatrices que la guerre a laissées dans la ville de son enfance. Evoque le départ, à 15 ans, en plein conflit, pour les cieux plus sereins de Charlotte, petite ville de Caroline du Nord, dans le cadre d’un programme d’échange d’étudiants.  » Je m’y suis beaucoup amusée, même si ne recevoir que peu d’infos sur la situation en Albanie était éprouvant.  » De cette année passée outre-Atlantique, Arta est rentrée parfaite bilingue. Quant au français, qu’elle manie parfaitement – la pointe d’accent en atout charme -, c’est en une semaine de cours intensifs qu’elle l’a appris, dans la foulée de sa nomination pour le rôle-titre du Silence de Lorna ! Parfois, si ses mots ne sortent pas assez vite pour suivre la fulgurance de ses pensées, c’est le  » franglais  » qui s’impose à elle. Comme lorsqu’elle parle de Krenare Rugova, la créatrice  » très successful au Kosovo  » chez qui elle aime faire du shopping.  » En plus de la robe de Johanne Riss que j’ai portée pour la montée des marches, j’avais aussi pris dans ma valise pour Cannes quelques tenues dessinées par Krenare. C’était important pour moi d’avoir quelque chose de mon pays dans un moment aussi crucial.  »

Des étoiles dans les yeux, Arta se souvient aussi des chaussures Prada, prêtées pour l’occasion.  » J’aime la mode, mais je ne suis pas fashion victim, s’empresse-t-elle de préciser. Plutôt que de suivre les tendances, je préfère créer mon propre style. Le plus important, selon moi, c’est de s’approprier ce que l’on porte. Comme toutes les filles, j’adore faire du shopping. Mais ce qui me plaît par-dessus tout, c’est d’être habillée avec des trucs que je n’ai encore jamais vus sur d’autres. Quitte à customiser ce que j’achète.  » Arta n’hésite donc pas à coudre, découper et transformer les vêtements qu’elle s’offre.

Notre Thalys entre en gare de Paris Nord, et je ne peux m’empêcher de penser que le pari de Weekend, bien qu’osé, a toutes les chances d’être gagné. Car, pour ses premières photos en tant que mannequin, Arta-l’antifashionista sera habillée par Martin Margiela, créateur contemporain parmi les plus pointus, qui, dès ses débuts, a révolutionné le rapport au vêtement. Non seulement en prenant le contre-pied de la peopolisation extrême du milieu modeux – il ne montre jamais son visage, n’accorde pas d’interview et va même jusqu’à bannir les étiquettes des vêtements qu’il crée. Mais surtout en travaillant sur le vintage et en proposant des pièces uniques réalisées à partir d’objets du quotidien détournés de leur fonction première. Une démarche qui devrait séduire Arta.

Autorisation exceptionnelle

Parmi les dix silhouettes de la dernière collection de la ligne artisanale MMM, on notait ainsi une robe dont le buste était composé de deux sacs en plastique blancs doublés de taffetas ou une veste réalisée à partir de coupures de presse des vingt dernières années – l’âge de la maison Martin Margiela. C’est dans le cadre de cet anniversaire très particulier que le  » septième des Six d’Anvers  » a accepté de jouer les stylistes pour Arta Dobroshi. Pour l’occasion, le plus discret des créateurs nous ouvre même les portes de sa maison de mode, dans laquelle les photographes ne sont habituellement pas autorisés à pénétrer. C’est ce lieu hors normes – un ancien couvent, en plein c£ur du XIe arrondissement de Paris – qui servira de décor à notre shooting de mode.

Lorsque nous arrivons rue Saint-Maur, la sélection de vêtements attend Arta sur les portants. Une dizaine de silhouettes, réalisées à partir des collections hiver 08-09, auxquelles ont été ajoutées quelques pièces emblématiques de l’histoire de la Maison Martin Margiela. Dans un coin de la grande salle qui ce jour-là fera office de dressing-room, d’atelier make-up et même de cantine à l’heure du déjeuner, des draps blancs ont été tendus, improvisant une cabine d’essayage. Enthousiaste, la comédienne enfile robes, pulls et leggings, donne son avis, se laisse guider dans le choix d’une botte ou d’un escarpin, ajoute ou supprime un accessoire parmi ceux qui lui sont proposés.

Dans un ballet de blouses blanches – c’est la règle, voulue par le maître des lieux -, les employées virevoltent autour d’Arta, remontant une bretelle ou reprenant un ourlet. Entre deux essayages, Béa, la maquilleuse, retouche la courbe d’un sourcil, donne un coup d’éclat à la bouche de la comédienne qui découvre avec délice la douce effervescence des shootings de mode. Face à l’objectif, il ne lui faut que quelques minutes pour se sentir à l’aise. Elle bouge, se donne à fond, teste une attitude ou un regard, interroge l’équipe –  » plutôt sérieuse ou décontractée ? La main sur le mur ou derrière moi ?  » Le temps file, les poses s’enchaînent, une vraie complicité s’installe entre Arta et notre photographe.  » J’ai vraiment adoré cette première expérience, conclut-elle. J’espère pouvoir remettre ça bientôt !  » La journée a été longue et dense. Dans le Thalys qui nous ramène à Bruxelles, l’actrice devenue mannequin le temps d’une séance photo est tout aussi volubile qu’à l’allerà jusqu’à ce qu’elle s’assoupisse, sourire aux lèvres.

Delphine Kindermans

Le Silence de Lorna, aujourd’hui dans les salles.

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