L’Angleterre comme au cinéma
Les East Midlands, méconnus des touristes mais lieux de nombreux tournages (dont celui de La Duchesse, avec Keira Knightley, qui sort en janvier prochain), conjuguent paysages sauvages et richesse architecturale.
Pour une fois, on avait laissé de côté guides et cartes, nous contentant d’une valise légère, d’un K-way et d’un bon bagage de souvenirs. Tout était dans la tête : la lande battue par les vents et la tourbe odorante de Jane Eyre, la splendide demeure de Pemberley et les pâtures coquettes d’Orgueil et préjugés. Des souvenirs aussi bien littéraires que cinématographiques : plus de trente films ont en effet été tournés dans la région de Nottingham ces cinq dernières années. Une vidéothèque qui privilégie ces drames corsetés où s’agitent crinolines et éventails et dont les Britanniques semblent avoir le secret ( Orgueil et préjugés, Elizabeth, Deux s£urs pour un roi, La Duchesse, de Saul Dibb, avec Keira Knightley), mais pas seulement. La cathédrale de Lincoln a en effet joué les doublures de luxe de l’abbaye de Westminster pour Da Vinci Code, de Ron Howard, en 2006, favorisant une augmentation de 26 % du nombre de visiteurs. Et Russell Crowe devrait y tourner en 2009 une nouvelle adaptation de Robin des Bois, sous la direction de Ridley Scott. Cela méritait bien un repérage.
Le secret le mieux gardé du royaume
East Midlands : le nom, peu propice à la rêverie, a au moins le mérite d’être prononçable. Essayez donc Shropshire, Leicestershire et notre préféré, situé à l’ouest, Cheshire ! Cette région que ses habitants surnomment avec fierté » le secret le mieux gardé du Royaume » cache d’excellentes surprises. A commencer par Nottingham (dans le Nottinghamshire, donc) sa capitale, qui mérite bien mieux que sa réputation canaille. Industrielle, populaire, souffrant d’un fort taux de criminalité, mais aussi dynamique, multiethnique et très créative, Nottingham est une cité pleine de contrastes, qui ne renonce ni à son passé ni aux bonnes manières. Ici, même les pubs sont un morceau d’histoire, comme le Ye Olde Trip to Jerusalem, l’une des plus vieilles auberges du pays. Comme dans les excellents polars de John Harvey, les nuits sont ici chaudes et la bière est abondante, surtout le week-end, où la remuante population estudiantine s’adonne à son sport favori, le binge drinking . Un détour par les ruelles du Lace Market, l’ancien quartier des manufactures de dentelle entièrement rénové, un sandwich à la carte au Delilah (venez tôt, le comptoir n’est pas large), avant d’aller, quelques pavés plus loin, jusqu’à la boutique Paul Smith, l’un des plus élégants et anciens bâtiments de la ville, suffisent pour que le charme opère. Après un premier verre au Pitcher and Piano, une ancienne église reconvertie en bar au c£ur du Lace Market, un consommé de petits pois à la menthe et chantilly de parmesan suivi d’une truite de mer au très branché Tonic, quelques déhanchements et un dernier verre – on est en Angleterre, après tout – au Saltwater, le seul bar de la ville perché sur les toits, et vous n’aurez que trois envies : un bon lit, un comprimé de paracétamol et une bouffée d’air pur.
Un spectacle magnifique sous tous les temps
Ça tombe bien, le Peak District ne se trouve qu’à une heure et demie de route de là, entouré des bourgs pittoresques de Bakewell, Ashford, Bamford et Hathersage. Qu’il fasse beau, qu’il pleuve, qu’il vente ou, comme souvent dans le nord de l’Angleterre, les trois à la fois, la lumière sur la lande désolée et sur les vallons de calcaire du plus ancien parc national du pays offre un spectacle magnifique. C’est du haut des 6 kilomètres de falaises de Stanage Edge, au nord de la vallée de Hathersage, là même où fut tournée l’une des scènes clés d’Orgueil et préjugés, qu’il s’apprécie le mieux. On y grimpe à pied, à l’aube de préférence, avec pour seul voisinage une poignée de moutons et quelques randonneurs. Saoulé par le vent (à moins qu’il ne s’agisse d’un rappel des festivités de la veille ?), on croit apercevoir Keira Knightley suspendue entre ciel et terre au-dessus de la vallée, la robe gonflée par les vents, se consumant d’amour pour ce snob de Mister Darcy.
Vies de châteaux
Les héroïnes de la séquence suivante sont comme deux s£urs que tout sépare : d’un côté, l’imposante Chatsworth House, son parc à daims, sa façade palladienne, ses plafonds décorés des fresques d’Antonio Verrio, ses escaliers de marbre et son étourdissante arithmétique : trois restaurants, deux boutiques, douze jardiniers et plus de 620 000 visiteurs par an. De l’autre, le plus intimiste manoir de Haddon Hall, dont la première pierre fut posée vers 1150 et où rien ne semble guère avoir changé depuis le xiie siècle, date à laquelle il fut achevé. Ce n’est pas un hasard si les deux plus récentes versions de Jane Eyre, l’une de Franco Zeffirelli avec Charlotte Gainsbourg, en 1996, l’autre, excellente, produite par la BBC il y a deux ans, l’ont choisi pour décor. Gris, inquiétant, cerclé de corbeaux, mais doté d’un charme aussi envoûtant que le parfum des roses grimpantes de son jardin, Haddon Hall ne peut que séduire les âmes tourmentées. Avec un peu de chance, Marie, une petite dame d’origine française au tempérament bien trempé, vous servira de guide. Incollable sur l’histoire du manoir, l’historienne l’est aussi sur ses célèbres et parfois difficile hôtes du 7e art. Franco Zeffirelli ? Un mal élevé très attachant qu’elle s’amusait à appeler » maestro » et qui s’obstinait à poser son verre de vin sur la longue table de six cents ans d’âge de la salle des banquets. Mais Charlotte Gainsbourg était très discrète et charmante, paraît-il…
Les amoureux des vieilles pierres opteront, en guise de générique de fin, pour la visite de Kedleston Hall, château du xviiie siècle de style néoclassique, fermé durant trois semaines en juin 2007 pour les besoins du tournage du film de Saul Dibb. » Certes, la vie du château s’en est trouvée un peu perturbée, mais, en termes de notoriété, accueillir une telle production se révèle très profitable. Nous espérons une hausse de 20 % du nombre de visiteurs « , se félicite l’une des administratrices de Kedleston. Le temps d’une halte au pittoresque Chatsworth Farm Shop pour y faire le plein de chutneys, de cookies et de » blackcurrant jam « , et l’on doit déjà filer vers Derby où nous attend le vol retour. Cette fois-ci, les valises sont pleines, et l’esprit est déjà tourné vers le prochain voyage : dans une salle de cinéma, pour découvrir cette duchesse avec laquelle nous avons joué à cache-cache durant plusieurs jours, et surtout revoir la terre qui lui a servi d’écrin.
Géraldine Catalano – Photos : Eric Garault
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