Le bonheur ? Pour Tal Ben-Shahar, cela s’acquiert… Docteur en psychologie et en philosophie, il l’enseigne dans un cours très couru à Harvard, la prestigieuse université américaine. Et dans son dernier opus, il nous livre les clés de cet apprentissage.

En ce début d’année, la maison d’édition Belfond lance une nouvelle collection. Axée sur le développement personnel, L’esprit d’ouverture propose  » des ouvrages positifs qui invitent à penser son existence autrement « . L’Apprentissage du bonheur signé Tal Ben-Shahar ne prodigue pas de recettes toutes faites, mais livre une vraie réflexion. Docteur en psychologie et en philosophie, l’auteur est professeur à Harvard, où son enseignement, relevant de la  » psychologie positive « , rencontre un grand succès. Tels Alice au pays des merveilles, nous courrons tous derrière le bonheur. Mais tout comme le lièvre du conte, il nous échappe souvent. C’est parce que nous le confondons avec d’autres choses. Pour mieux le vivre, nous devons donc mieux le comprendre.

Weekend Le Vif/L’Express : Quelle est votre définition du bonheur ? N’est-elle pas différente pour chacun d’entre nous ?

Tal Ben-Shahar : Le bonheur est la combinaison essentielle du plaisir et de sa raison d’être, qui donnent un sens à notre existence. Si nous apprécions une belle expérience amoureuse ou professionnelle, c’est parce qu’elle signifie quelque chose pour nous. Certes, chacun a sa définition du bonheur, mais le principe est universel. Seules les manifestations du bonheur sont personnelles. Il existe donc plus de six milliards de façons d’envisager le plaisir et sa raison d’être.

Vous percevez le bonheur comme un cadeau, lové à l’intérieur de nous…

Nous avons l’illusion que le bonheur est inhérent à une réussite extérieure. Aussi se persuade-t-on que la prochaine promotion ou le nouvel amoureux sera porteur de joie absolue. Or, ce ne sont pas les circonstances extérieures qui sont déterminantes, mais l’état d’esprit, la façon de voir le monde, la faculté à communiquer sa félicité et le cheminement vers ce but. Quand j’ai commencé à étudier la science informatique, à Harvard, j’avais tout pour être heureux et pourtant, j’étais malheureux. Ecoutant mon c£ur, j’ai bifurqué vers la psychologie et la philosophie. C’est là que j’ai découvert l’harmonie entre l’extérieur et l’intérieur.

Qu’est-ce que  » la psychologie positive  » ?

Il s’agit d’un nouveau champ psychologique, inauguré par Martin E.P. Seligman, en 1998. Le but n’est pas de livrer les cinq voies pour accéder au bonheur, mais de se pencher sur l’épanouissement, le bien-être, la vertu, l’amour et la force humaine. Ce courant va à l’encontre des dépressions, des névroses et des anxiétés ambiantes. La pensée de Seligman est rafraîchissante car elle apporte un vent de modernité. Avant, on était soit confronté aux mouvements de self help – qui manquent de substance et de rigueur – soit à la recherche académique, qui, bien qu’étant basée sur l’évidence, n’est pas accessible au grand public. La  » psychologie positive « , elle, a le mérite d’unir la rigueur scientifique à l’accessibilité du self help. C’est ce qui la rend si populaire.

Pourquoi avez-vous été jusqu’à introduire un cours du bonheur à Harvard ?

J’en ai personnellement tiré tant de bénéfices, que j’avais envie de les partager avec d’autres. Au début, je n’avais que peu d’étudiants, car les autres étaient sceptiques. Or, il y a une vraie science derrière ce propos, qui mêle rigueur et substance ! L’étymologie du mot bonheur est révélatrice d’un malentendu culturel. En latin,  » heur  » signifie bonne fortune. Tant qu’on croit que le bonheur dépend de la chance, on n’imagine pas qu’on peut améliorer sa vie. On peut apprendre à être heureux, en introduisant des petites choses de la vie dans son existence. Ce sont ces choses simples qui font toute la différence. Ainsi, la pratique régulière d’un exercice physique a le même effet que le plus puissant des antidépresseurs ! Outre l’amélioration de la santé, il contribue à une meilleure estime de soi et à un dépassement de l’anxiété.

Pourquoi la société associe-t-elle le bonheur à un must ?

Les gens ne comprennent pas la vraie nature du bonheur. Ils aspirent à la permanence des sentiments positifs. Que ça nous plaise ou non, le malheur est pourtant tout aussi inhérent à la nature humaine. Les émotions douloureuses, la souffrance, le chagrin, la déception ou l’envie font partie de la vie. Seuls les psychopathes n’éprouvent pas ce genre de sentiments ! Les nier, en espérant que le bonheur puisse être éternel, nous condamne aux désillusions et à la frustration. Accepter que le malheur existe, nous ouvre aux émotions positives. Il faut apprendre à se focaliser sur ces aspects positifs, qui semblent aller de soi car c’est en cas de malheur qu’on réalise qu’ils ne sont pas évidents. La société nous fait croire que le bonheur s’acquiert facilement, or il exige énormément de travail !

D’après vous,  » le bonheur ne dépend pas seulement de ce qu’on est et de ce qu’on fait, mais aussi de ce qu’on voit « . Pourquoi ?

Alors que deux personnes voient la même chose, l’une va être emplie de joie et l’autre sera déprimée. Qu’est-ce qui fait que malgré les difficultés, certaines continuent à célébrer la vie ? Tout dépend sur quoi on se focalise : le désastre ou ce qu’il nous a appris, comment on en est sorti grandi. La  » psychologie positive  » ne nie pas les mauvaises choses de la vie, mais elle nous rappelle qu’il existe toujours des éléments positifs dans cette vision globale. Chez les traumatisés, on s’aperçoit que ce sont ceux qui trouvent un sens à leur malheur, qui peuvent le dépasser plus facilement.

Peut-on éduquer les enfants au bonheur ?

Non seulement c’est possible, mais je pense que c’est inévitable. La  » psychologie positive  » commence à être introduite dans plusieurs écoles. Grâce à une approche holistique, les enseignants peuvent combler les carences de bonheur des enfants. Ainsi, ils leur transmettent des outils constructifs : le silence, l’exercice physique, prendre le temps de méditer ou de rêver, se fixer des objectifs concrets, créer un  » comité du bonheur  » pour partager ses expériences. Avec les enfants, c’est plus facile car ils ont moins de préjugés que les adultes. Ce genre d’exercice s’apparente à un jeu, qui leur devient naturel. Alors que le monde moderne a perdu le sens des rituels, je suis pour la réintroduction de rituels positifs dans le quotidien. Tous les soirs, au coucher, j’interroge mon fils sur les aspects positifs de sa journée et il en fait de même avec moi. Cela nous oblige à nous focaliser sur les bonnes choses de la vie.

Pourquoi nos ressources intérieures nous sont-elles à ce point inconnues ?

On ne s’en sert pas, parce que ce n’est qu’en se battant, qu’on apprend qu’on possède ces ressources en nous. Le problème, c’est que les parents donnent tout aux enfants. La vie moderne est parfois si facile, qu’ils n’ont plus l’habitude de se relever en cas de ratage. C’est ce qui explique le nombre accru de dépressions face à des événements qui nous dépassent. L’éducation doit être composée de bonheur, de jeux et de batailles. Je suis persuadé que nous allons vers une révolution du bonheur. Elle commence au niveau individuel pour s’étendre, peu à peu, au niveau mondial. L’individu est fait pour le bonheur !

L’Apprentissage du bonheur – Principes, préceptes et rituels pour être heureux, par Tal Ben-Shahar, Belfond, 251 pages.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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