À coups d’images de synthèse futuristes, le Belge Vincent Callebaut secoue la planète archi. Son leitmotiv : dépasser le formalisme des architectes stars d’aujourd’hui, pour créer des bâtiments  » vivants, interactifs et éco-conçus « .

Une force tranquille : ce sont les premiers mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on rencontre Vincent Callebautà Attablé dans une brasserie de La Louvière – sa ville natale -, un jus de tomate à la main, l’architecte se raconte, longuement, méthodiquement, avec une volonté tenace de vulgariser ses propos. Tout y passe : son cursus à l’Institut Victor Horta de Bruxelles qui l’a amené à travailler avec de grands noms de la discipline tels Dominique Perrault ou Massimiliano Fuksas ; son périple en Chine où il a été confronté à l’urbanisation accélérée ; sa vie à Paris où il est installé depuis dix ans ; son envie de revenir un jour travailler en Wallonie sur une friche industrielleà Et bien sûr son besoin de s’impliquer dans les défis environnementaux et sociopolitiques de notre société qu’il assouvit en créant des projets avant-gardistes. Car, si chez nous son nom est quasi inconnu du grand public, les concepts de bâtiments visionnaires et écologiques que Vincent Callebaut conçoit circulent dans le monde entier, tantôt repris par le journal Le Monde, tantôt à la Une du site réputé www.worldarchitecturenews.com. Son projet le plus emblématique, baptisé Lilypad, est un concept de cité écologique flottante, une  » écopolis  » autonome capable de vivre sans apports énergétiques de l’extérieur ( lire ci-contre). Depuis cette première création, l’architecte belge – épaulé par une équipe pluridisciplinaire composée de spé-cialistes rencontrés au gré de ses voyages et collaborations – a conçu d’autres bâtiments novateurs, comme Dragonfly ou Physalia ( lire ci-contre). Au final, c’est une nouvelle manière de penser l’architecture qui se dessine derrière ces concepts futuristes.  » Un nouveau souffle dont nous sommes la locomotive « , comme le synthétise Vincent Callebaut. Tranquillement, l’air de rien.

Quelle est la philosophie de votre dernier projet en date, Physalia ?

A travers notre réflexion, nous anticipons, mon équipe et moi, les modes de vie du futur. Aujourd’hui, l’architecte s’attaque aux enjeux écologiques de son temps, en imaginant des bâtiments autosuffisants en énergie. Demain, il faudra qu’il aille plus loinà C’est ce que nous faisons en créant des structures qui interagissent activement avec leur environnement. C’est le cas de Physalia. Il s’agit d’un concept imaginé pour un musée itinérant flottant dédié au transport fluvial. Mais au-delà de sa fonction première, c’est aussi un module écologique qui produit plus d’énergie qu’il n’en consomme et qui purifie les cours d’eau qu’il parcourt ( lire ci-contre). Ce  » navire  » fonctionne comme un organisme vivant digérant les flux qui le traversent.

Dans votre travail, les analogies aux éléments naturels sont nombreusesà

Nous qualifions notre travail d' » Archibiotic  » car nous y mêlons l’architecture, les biotechnologies et les TIC (technologies d’information et de communication). Nous nous inspirons aussi fortement de l’observation du vivant afin de transposer les structures bioniques dans nos créations.

Vous estimez-vous utopistes ?

Non, plutôt  » durables « à Dans les médias, on nous place souvent dans la catégorie  » science-fiction « . Ce n’est pas justifié. Il est vrai qu’on imagine des façons de vivre et d’habiter. Mais les techniques que nous y intégrons existent réellement. Nous ne faisons que les orchestrer !

Vous apportez donc une dimension supplémentaire à la recherche fondamentale en architectureà

A une époque, l’architecte britannico-irakienne Zaha Hadid ( NDLR : auteure notamment du nouveau musée MAXXI de Rome) dessinait des ouvrages aux formes atypiques et tout le monde disait qu’ils étaient irréalisables. Aujourd’hui, elle a démontré le contraire. Contrairement à tous ces dinosaures de l’architecture, devenus des stars planétaires, nous ne nous limitons pas à la forme, mais plutôt au process. Nous voulons replacer l’architecture dans le monde qui l’entoure afin de sublimer la vie des gens et non catapulter égoïstement des objets qui jouent les vedettes dans la ville.

Votre manière de travailler est assez novatriceà

Nous avons mis sur pied une structure d’agence différente, très flexible, qui se base sur les nouvelles technologies. Avec des confrères, passionnés comme moi, on se donne rendez-vous une fois par mois pour brainstormer en ligne. Suite à ces think tanks, on se répartit le boulot en fonction des compétences. Quand on aboutit à un résultat concret, on jette cette pierre dans la mare. Ensuite, on récupère l’onde de chocà

C’est-à-dire ?

On crée le buzz en ouvrant le débat citoyen, les blogs et les médias font le reste… Et des investisseurs finissent par entendre parler de nous et nous contactent pour réaliser un prototype, une étude de faisabilité, un plan d’urbanisme. Nous avons par exemple été appelés par la mairie de Marseille pour une étude sur son littoral. En Méditerranée, la mer devient vite très profonde et il n’est donc pas possible de créer des îles artificielles comme celles en forme de palmier imaginées à Dubai. Notre concept d’île flottante Lilypad les intéresse donc fortementà Tout comme il passionne les Chinois et les Malaisiens. Nous avons beaucoup de demandes des pays émergents car il est nettement plus facile de se faire connaître là-bas, en tant que jeune avant-gardiste. Ils sont en plein boum et ont une grande responsabilité sur les bras : celle de ne pas commettre les mêmes erreurs que nous, lors de notre industrialisation. Ils sont donc beaucoup plus ouverts à l’innovation. La preuve : deux monographies sur mon travail sont déjà publiées, l’une en coréen et l’autre en chinois !

Quel regard portez-vous sur l’architecture en Belgique ?

Elle a un retard énorme. Et c’est avant tout un problème d’éducation. Alors que l’architecture fixe notre cadre de vie à tous, personne n’en parle jamais. A une ou deux exceptions près – telle la nouvelle gare Liège-Guillemins de Santiago Calatrava -, il n’y a pas non plus de grands gestes architecturaux publics, ce qui traduit un manque d’ambition politique. En France ou en Espagne, cette discipline fait davantage partie du quotidien. Et les maires font même campagne en s’appuyant sur l’architecture contemporaine. Comme à Bilbao où le musée Guggenheim dessiné par Frank Gehry a redynamisé une partie de la ville. En Belgique, on réalise de petits bijoux de rénovation ou de belles maisons mitoyennes. Mais tout cela passe totalement inaperçu. C’est ce que j’appelle de l’architecture  » sous-marine « .

Par Fanny Bouvry

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