La double vie de Véronique Leroy… La créatrice liégeoise dirige sa propre marque et prête son talent artistique à la prestigieuse maison Léonard, 50 ans cette année, et à laquelle elle a donné un incontestable nouveau souffle.

C’est à deux pas du Louvre, à Paris, que se niche le boulevard Saint-Honoré. Ce temple du chic, aux multiples ruelles, abrite des merveilles. Dont la boutique de Véronique Leroy. A l’occasion du cinquantenaire de la maison Léonard, la créatrice belge nous reçoit dans un hôtel tout proche. Installée dans un canapé, elle affiche un joli ventre rond. Douce et naturelle, elle parle comme elle crée : sans chichis et avec franchise. Cet hiver, elle offre à la maison française une collection tout en sensualité et en féminité luxueuse. Rivalisant de beauté, les robes se déclinent en version grise illuminée par du lamé d’argent, en mousseline safran aux imprimés asiatiques, ou encore en velours noir rehaussé de strass fuchsia. Coupes, plissages et détails élégants (plumes de coq noir, dentelle, colliers) atteignent une vraie perfection dans les vaporeuses robes longues, en crépon de soie.

Weekend Le Vif/L’Express : Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de la maison Léonard ?

Véronique Leroy : C’est en collectionnant de vieux magazines que je me suis familiarisée avec l’image de cette maison qui a marqué les années 1970. Ces années sont intéressantes car, à l’époque, Léonard était très copié (cf. les pulls imprimés). Plus qu’une simple collection, ces anciens magazines m’aident à comprendre la mode. Ils me sont précieux parce qu’ils servent toujours de source d’inspiration.

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez été choisie pour apporter un nouveau souffle à cette marque française ?

J’avais déjà travaillé pour cette maison en l’an 2000. Elle m’avait repérée pour mes imprimés et mes formes féminines. Sa proposition de collaboration m’a ravie car j’aime travailler avec des codes qui diffèrent des miens. Aussi, je dois trouver un compromis entre ces deux univers. Le défi ? Me renouveler à chaque saison, tout en utilisant les mêmes tissus et un certain type d’imprimés. Mes choix doivent s’inscrire sur la longueur et dans la continuité des collections. Il ne s’agit pas d’un nouveau souffle, mais d’un juste milieu.

Quelle touche y apportez-vous ?

Mon univers, ma personnalité, mon sens de l’esthétique et ma patte. Nous partageons le même goût de la féminité, du luxe et de la sensualité.

Qu’admirez-vous le plus chez le créateur Daniel Tribouillard, directeur général de la maison ?

Sa ténacité. Fidèle au poste, il est là tous les jours et ne lâche jamais prise. Présent depuis le début, il ne se lasse toujours pas de cette aventure. Il a réussi à fonder une maison familiale. J’aime cette notion de famille et d’indépendance car c’est un côté qu’on retrouve aussi chez moi. C’est vraiment rare, d’autant qu’ici, ça va de pair avec une belle réussite et une dimension humaine. Daniel Tribouillard est sympathique, décidé, pugnace et opiniâtre. Toute sa carrière est le résultat de ce travail acharné. Je trouve cela admirable et touchant.

A l’occasion des 50 ans de la maison Léonard, qu’est-ce qui vous fascine le plus dans son évolution ?

Lorsque je me suis rendue à l’exposition de Lyon ( lire l’encadré en page 58 ), j’ai été impressionnée par la richesse de ces 50 ans de travail. Revoir tout cela, rassemblé en un même lieu, donne une certaine densité aux collections. On éprouve un sentiment de prospérité, tant les matières soyeuses et les imprimés représentent une constante luxueuse. C’est là qu’on réalise que cette maison a toujours été avant-gardiste.

Comment puisez-vous votre inspiration dans cet héritage impressionnant ?

Je peux rester des heures à contempler les archives de la maison. D’ailleurs, lorsque je regarde les imprimés, créés il y a vingt ans, cela me fait rêver… C’est si inspirant ! J’aime particulièrement les dessins asiatiques et coptes. Ces derniers sont moins figuratifs que les autres (comme, par exemple, l’orchidée, symbole de la maison). Leurs courbes, un peu géométriques, me transportent. Quel luxe de pouvoir puiser dans une telle source de dessins ! Tout en ravivant d’anciens imprimés, Léonard travaille encore avec une équipe de dessinateurs. Ce n’est pas mon rôle, mais j’adore me lancer dans cette autre manière de créer. Comment ne pas être admiratif devant l’invention de Daniel Tribouillard, le  » fully fashioned  » ? Grâce à ce procédé, il propose des pulls, dont les imprimés s’étalent du buste aux manches. Cela permet aussi de façonner des modèles, aux innombrables couleurs.

Qu’est-ce que les femmes apprécient dans ces créations ?

L’association de la sensualité et du luxe. Le style intemporel séduit les jeunes et les moins jeunes. Dans les années 1960, Léonard a introduit des matières stretch, du jersey de soie et des robes tee-shirts. Faciles à mettre, les robes en jersey de soie peuvent voyager. La fluidité et l’imprécision des coupes, liée à cette matière particulière, font qu’elles sont impossibles à dater avec précision. Grâce aux imprimés, les femmes se sentent tout de suite habillées. Les vêtements conviennent à chaque moment de la journée. En fonction de la gamme et des coloris, ils sont décontractés ou chics.

Que pouvez-vous explorer chez Léonard que vous ne pouvez pas réaliser dans votre propre griffe ?

Chez Léonard, je suis confrontée à une liberté limitée. Je dois travailler avec des codes qui n’ont rien à voir avec ceux que je me suis imposée pour ma propre marque et qui me sont naturels. Je dois donc comprendre leurs codes et les respecter. La tradition diffère car les matières et les imprimés sont les maîtres mots de cette maison. En fait, c’est très agréable de travailler pour quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui a les moyens d’imprimer autant de coloris. Moi, je suis une seule et même créatrice qui explore des terrains différents. Au lieu de s’interférer négativement, ils se complètent parfaitement. L’un fait avancer l’autre… Quand quelque chose se déclenche d’un côté, cela a des répercussions sur l’inspiration de l’autre côté.

Comment aimez-vous vous habiller ?

Je porte des choses très simples car je préfère mettre mon énergie dans la création plutôt que dans la consommation. Avant, je compensais ma frustration en achetant plein de fringues. Aujourd’hui, je savoure le plaisir de la création. C’est ma grand-mère qui m’a transmis l’amour et la joie de concevoir. En m’apprenant à réaliser des habits pour mes poupées, elle m’a montré comment partir de rien, pour arriver à la concrétisation d’un vêtement.

En quoi votre formation parisienne a-t-elle eu un impact sur votre travail ?

Formée au Studio Berçot, j’ai l’impression d’avoir été moins formatée que les élèves de l’Académie d’Anvers. Avec sa mode conceptualisée, l’école flamande est très typique. Moi, je suis plutôt un électron libre. Azzedine Alaïa ( NDLR : dont elle a été l’assistante) m’a beaucoup influencée. Ce créateur instinctif et spontané travaille comme un artiste, c’est plus fort que lui. Mon caractère me conduit vers une mode qui soit plus spontanée qu’intellectuelle.

Qu’en est-il de votre évolution ?

Lorsque je regarde en arrière, je me rends compte que je fais toujours la même chose par d’autres biais. Ma palette esthétique est très large. Après avoir travaillé auprès d’Azzedine Alaïa et de Martine Sitbon, l’envie de créer ma propre marque s’est imposée comme une évidence. C’était fondamental de faire ce métier. Tel un parcours obligé, je ne me suis octroyée ni hésitations ni compromis pour réaliser ce rêve. Aujourd’hui encore, je mets mon travail et mon quotidien au service de ma marque. Elle me ressemble car elle est instinctive. Je n’aime pas la décrire : à travers elle, je donne déjà beaucoup d’explications. La mode doit rester quelque chose d’animal, de léger et d’éphémère. Or, on a toujours tendance à l’alourdir. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être très présente en Asie. Outre la présentation de mes défilés, j’aime voyager en Corée, en Chine ou au Japon. J’apprécie la délicatesse des Japonais, qui ont le souci de l’autre. 60 % de mon équipe se compose d’ailleurs d’Asiatiques. Contrairement à Daniel Tribouillard, je ne puise pas mon inspiration là-bas, mais je m’y sens bien.

Quelle est votre vision des femmes d’aujourd’hui ?

Avant, on pouvait parler des femmes d’hier ou d’aujourd’hui, mais avec la mondialisation, ça ne veut plus rien dire. C’est la richesse d’une époque. Je le prends comme une liberté, sans trop réfléchir aux desiderata. Persuadée qu’une styliste sommeille en elle, la Française manque de spontanéité, alors que la Japonaise aime la mode inconditionnellement. Je n’ai pas une vision trop précise de la femme qui s’habille en Véronique Leroy. Même si je sais d’instinct qui elle est. Je n’aime pas la définir, sinon je me coupe de plein de possibilités à l’exploration. Je veux seulement qu’elle me suive.

Pour cet hiver, qu’avez-vous imaginé pour la marque Véronique Leroy ?

Une collection très prêt-à-porter, couture et classique. Comme en témoignent les tailleurs, la notion de luxe des années 1970-1980 est façonnée avec la main française, des lignes et des volumes précis. Hypersensuelle, la fourrure incarne une richesse dans tous les sens du terme. C’est amusant de travailler avec une matière qui correspond si bien à mes codes. J’ajouterais que toutes mes collections sont une réaction à l’évolution des autres saisons. Je me laisse inconsciemment imprégner par les tendances, les envies, les événements, les expos ou la générosité humaine.

La liberté demeure-t-elle votre principal atout ?

La liberté ne signifie rien. Je suis un électron libre – qui s’évite certaines contraintes – mais je ne cherche pas à être connue sous cette étiquette ! Rare et singulière, l’indépendance est un luxe que je retrouve dans la maison Léonard. Si les Belges bénéficient d’une grande liberté par rapport à la mode, l’art ou le cinéma, c’est parce qu’ils ne sont pas prisonniers du passé. Sans carcan, tout est possible. Contrairement aux Français, qui traînent un bon goût  » à la française  » comme un véritable boulet. C’est pourquoi la touche belge est synonyme de fraîcheur.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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