Edifiée il y a un siècle, cette ville américaine incroyable propose, outre ses casinos démesurés, des spectacles d’avant-garde.

Sous l’£il d’une poignée de flamants roses, six rangées de chaises en plastique sont disposées au soleil, face au petit kiosque à musique du jardin de l’hôtel Flamingo. Il est 4 heures de l’après-midi et l’on se marie ici. Quelques filles en maillot de bain s’arrêtent un instant sur le chemin de la piscine pour observer le petit groupe endimanché qui attend la future épousée. Un violon attaque timidement une marche nuptiale et la voici qui arrive : longue robe blanche, voile immaculé, bras nus… et abondamment tatoués. Des scènes surréalistes de cet acabit, Las Vegas en offre à foison. Et pas seulement parce que 120 000 couples y convolent chaque année (des unions tout à fait légales, même pour des ressortissants français, moyennant quelques démarches), mais, bien plus, parce que la ville, qui fête son centenaire cette année, reste assurément l’un des endroits les plus délirants au monde.

Et pourtant, rien ne l’y prédisposait : si la tribu des Indiens Paiutes connaissait l’endroit depuis longtemps, ce n’est qu’en 1829 que le premier voyageur européen, l’Espagnol Rafael Rivera, fait la découverte de cette oasis encaissée dans le désert du Nevada, et qu’il baptise « las Vegas  » (les vallées). Dans les décennies qui suivent, les mormons tentent d’y implanter un fort. L’endroit sert de halte aux pionniers partis à la recherche des gisements miniers, et quelques très rares ranchs sont construits dans les parages. La véritable création de la ville aura lieu en 1905, lorsque Las Vegas est choisie comme point de passage pour la voie ferrée reliant les deux côtes des Etats-Unis. 40 lots de terrain sont alors mis aux enchères. La petite ville construite autour de la gare grandit vite, mais elle ne prendra son véritable essor qu’en 1931. Le 19 mars de cette année-là, alors que l’Amérique ultrapuritaine connaît encore la prohibition, l’Etat décide d’autoriser le jeu sur son territoire. Quarante-huit heures plus tard, le premier casino légal, le Northern Club ouvre ses portes à Vegas. C’est le début de la grande aventure pour celle que l’on allait bientôt surnommer  » Sin City « , la capitale du péché. Aujourd’hui, les machines à sous sont au coin de chaque rue, de chaque couloir d’hôtel. Selon les dernières études, chaque touriste passe en moyenne quatre heures chaque jour dans les casinos de la ville et flambe au jeu près de 500 dollars par séjour. Il faut se perdre dans le dédale des  » slot machines  » du Caesars Palace, slalomer entre les milliers de bandits manchots du MGM Casino pour se rendre compte combien les maisons de jeu que l’on connaît en Belgique paraissent microscopiques en comparaison.

 » J’ai une attirance particulière pour Las Vegas, cet espace délirant en plein milieu du désert, déclarait récemment l’écrivain français à succès Frédéric Beigbeder. Il y a peu d’endroits au monde plus métaphoriques que celui-là, véritable incarnation de notre civilisation, le reflet de nos besoins artificiels.  » Et de fait, débauche de néons et de spectacles extravagants : la ville semble conçue comme un immense parc d’attractions. Depuis une vingtaine d’années, les hôtels qui bordent le Strip, l’artère principale de la ville, font assaut de démesure dans leurs décors. Un kitsch insupportable aux yeux de certains, qui vilipendent ce toc en stock, véritable offense au bon goût ; une incursion dans la fantaisie et le deuxième degré pour la plupart des 35 millions de touristes qui fréquentent les lieux chaque année. Ici sont installés 13 des 20 plus grands hôtels au monde, et la plupart d’entre eux affichent un goût du pastiche à toute épreuve. L’hôtel Paris possède une réplique de la tour Eiffel de 162 mètres de hauteur (la moitié de l’originale), la piscine du Caesars Palace est la copie des thermes de Pompéi, quant à l’hôtel Venetian, il a fait emplette d’authentiques gondoles à défaut d’avoir pu démonter la cité des Doges pierre par pierre…

Du toc en stock !

De la poudre aux yeux que tout cela ? Parfaitement ! Et Vegas s’en vante, qui met tout en jeu pour ne pas faillir à sa devise :  » fabulous « . Ces dernières années, la ville a ainsi hautement repris la main dans le secteur des shows. Si quelques revues donnent encore dans les  » girls  » emplumées, l’arrivée de la troupe québécoise du Cirque du Soleil a redonné une furieuse modernité aux feux de la rampe. Ne ratez pas  » O « , son spectacle présenté à l’hôtel Bellagio. Ce soir-là, la plupart des spectateurs ont réservé leur place plusieurs semaines à l’avance, et plus un ticket n’est à vendre. Quand l’obscurité se fait dans la salle spécialement construite pour le show, le rideau semble comme aspiré par la pénombre, et le public bascule dans un univers aussi aquatique qu’onirique. Les artistes suspendus à des filins de Nylon paraissent glisser sur des cascades, le plancher de scène est subitement submergé, les personnages marchent littéralement sur l’eau, puis plongent depuis des hauteurs vertigineuses dans ce bassin qui n’existait pas quelques instants auparavant. Pendant presque deux heures, le feu, l’air et l’eau livrent ainsi tour à tour leur puissance dans des effets spéciaux qui semblent sortis d’un film de Méliès ou de George Lucas. Enivrant ! La foule qui sort à pas lents de la salle parle peu, des étoiles plein les yeux. Dehors sur le Strip, la ville étire son long fleuve de néons. La nuit commence à peine.

Guillaume Crouzet

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