Formée à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, puis au sein de la maison Delvaux et auprès de Martin Margiela, elle a toujours oeuvré dans l’ombre. La voilà en pleine lumière… A l’occasion de sa première collection pour Hermès, Nadège Vanhee-Cybulski nous dévoile sa vision de la mode, entre rigueur et sensualité.

Lorsque Nadège Vanhee-Cybulski nous rejoint dans le vaste showroom de la maison, on est d’abord saisi d’un léger doute. A-t-on vraiment pris le bon rendez-vous ? Baskets, tee-shirt blanc et allure cool d’une fraîche étudiante aux beaux-arts… Voilà qui contraste avec l’image attendue d’une nouvelle directrice artistique au sein d’Hermès, l’un des postes les plus convoités pour une marque qui – rappelons-le – pesait tout de même quelque 4 milliards d’euros en 2014. Et pourtant ! Avec la nomination de cette créatrice de 37 ans, aussi respectée du milieu qu’inconnue du grand public, Hermès a fait preuve de flair, distinguant sans doute la valeur montante la plus proche de cette élégance discrète et absolue érigée en philosophie par la maison. Diplômée de l’école d’Anvers, cette Lilloise d’origine oeuvre dans l’ombre pour les très minimalistes Martin Margiela et Céline, avant de rejoindre The Row, la griffe des soeurs Olsen, tout aussi sobre et radicale. Conceptuel et avant-gardiste, son style s’est néanmoins toujours enrichi du passé, et l’on ne doute pas qu’elle ait trouvé son bonheur dans la richesse des archives Hermès. La preuve avec cette première collection… Tous les codes sont là, transcendés, métabolisés, mais elle a également émaillé l’ensemble de touches très personnelles, avec des matières inédites ou des incursions dans l’univers du soir. Première femme à occuper ce poste depuis vingt ans – succédant à Martin Margiela, Jean Paul Gaultier et Christophe Lemaire -, Nadège infuse également la mode Hermès d’une nouvelle féminité, plus libre, plus sensuelle, aussi. Et l’aventure ne fait que commencer…

Vous avez présenté votre première collection en mars dernier. Cela fait quoi, de saluer après un défilé pour une maison si prestigieuse ?

J’ai d’abord eu le sentiment d’un accomplissement, qui m’a d’ailleurs surprise, car j’avais passé les mois précédents uniquement concentrée sur la collection. Mais c’était surtout un beau moment, le résultat d’une oeuvre commune. Toute l’équipe était là, ce qui a rendu la chose moins impressionnante. On s’est tous donné du courage, et on s’est dit :  » Allez, on y va !  »

Avant d’y travailler, que signifiait Hermès pour vous ?

Une référence de qualité, de sensibilité. J’ai toujours trouvé cette maison très intelligente dans son rapport à l’esthétique et je suis assez fascinée par sa capacité – après six générations – à rester intègre dans sa relation à l’artisanat. C’est d’autant plus remarquable de continuer à célébrer l’objet que notre monde est de plus en plus tourné vers le virtuel.

Qu’est-ce qui vous a surprise lorsque vous êtes arrivée chez Hermès ?

Ce qui m’a étonnée, même si je le savais en partie, c’est le côté moderne. En plongeant dans les archives, j’ai découvert, au fil des décennies, la même adéquation avec l’époque. Les exemples ne manquent pas, notamment le fameux sac Bolide, imaginé en 1923 par Emile Hermès, et fermé par un Zip. Il avait découvert au Canada des housses de voiture équipées des premières fermetures Eclair. Il a tout de suite compris l’aspect révolutionnaire de cette invention et a eu l’audace de l’intégrer à la maroquinerie.

Pour ce premier défilé, présenté début 2015, vous avez repris de nombreux codes de la maison. Dans quelle intention ?

C’est pour moi exceptionnel de posséder de telles racines, et je trouvais primordial d’y revenir. Je connaissais l’importance du cheval chez Hermès, mais pas forcément celle de l’univers sellier. Quand j’ai découvert les selles, les sangles, les brides, j’ai été fascinée. Au point, d’ailleurs, de m’en être inspirée pour mes parkas, puisque les poches reprennent le dessin d’une selle… qui n’attendait en fait qu’à être une poche ! Il s’agit non pas d’une transposition, mais de la création d’une autre fonction. Les poches sont d’ailleurs essentielles pour moi, car elles illustrent le côté utilitaire du vêtement. J’aime créer des pièces utiles et esthétiques à la fois. C’est ce qui fait leur vérité.

Vous êtes aussi une inconditionnelle des matières. Hermès doit vous combler !

En effet, mais je me suis aussi amusée à casser les stéréotypes. Selon moi, la fonctionnalité est aussi importante que la qualité. Une matière est moderne si elle s’adapte à nos besoins. J’ai utilisé la maille de soie, mais j’y ai ajouté du Lycra, car je voulais un côté technique. J’ai traité le cuir avec un enduit pour le rendre waterproof, j’ai utilisé du Nylon pour les doublures, afin d’apporter de la légèreté, de la respiration. J’aime l’ultraréalisme. Quand le vêtement entre en relation avec le corps.

Vous avez travaillé avec les artisans d’Hermès pour cela ?

Nous disposons d’une équipe dédiée au développement des matières et des couleurs. Les projets allient toujours une idée et un besoin. Les vêtements Hermès ont été créés pour accompagner la mutation de la société dans les années 20, avec l’apparition de la voiture, de l’avion. La maison a alors développé un vestiaire dévolu aux loisirs, au sport. Je voulais rappeler ce dynamisme, montrer que la maison poursuit le même chemin.

Vous avez utilisé, transposé les codes du label. Avez-vous aussi cherché à inventer ?

Ces codes, j’ai l’impression de les avoir plutôt digérés, métabolisés. Mais j’ai aussi apporté des notes personnelles, des pièces réservées au soir ou le bleu-noir, qui traverse tout le défilé. Nous avons mis trois semaines à définir cette couleur. Elle est aussi très symbolique, c’est une façon de réaffirmer la légitimité du prêt-à-porter Hermès.

Quelle est l’origine de ce bleu ?

Il vient de l’uniforme et j’ai été inspirée par l’un de mes manteaux qui vient de la garde royale d’Angleterre. L’uniforme aussi est important pour moi. Il est utilitaire et je trouve qu’il apporte une élégance facile, une aisance sans contrainte. Il n’efface pas l’identité, au contraire. Il permet de se réaliser. Cette couleur est une référence mais aussi la matrice des autres : des rouges, des orangés, et ce jaune porté par une seule silhouette, ce qui rappelle le côté singulier de la maison. Chaque objet est unique et accompagne celui qui le possède, parfois toute une vie.

Vous avez également voulu créer un sac, l’Octogone. Pourquoi si vite ?

La maison est une référence en matière de maroquinerie et il me semblait difficile d’ouvrir un chapitre sans en intégrer un. L’équipe du studio cuir avait réalisé de nombreuses esquisses, dont cet octogone qui m’a tout de suite séduite, car il allie l’esprit des premiers sacs Hermès – assez petits et structurés – et la modernité de la forme. Il a exigé un travail de maroquinerie très compliqué, avec ses rondeurs et ses facettes comme un diamant.

Comment définiriez-vous cette collection automne-hiver 15-16 ?

Elle correspond à une volonté de placer Hermès à l’épicentre de la mode ; d’être un référent avec une silhouette vraiment contemporaine. La mode doit être porteuse d’idées, de réflexion et d’innovation. Cette collection est, je l’espère, le reflet de cette intention.

Vous avez dit que vous souhaitiez concevoir une mode pour une femme française, mais pas seulement…

Ce que j’aime, en dessinant des vêtements, c’est l’éclectisme. Le métier de designer impose de répondre à des désirs différents, et il est essentiel d’être global, attentif aux vies, aux morphologies différentes. J’ai vécu dans de nombreux pays et j’ai pu mesurer la variété des morphologies, même en Occident. J’adore quand une femme peut dire :  » J’aime ce vêtement parce qu’il me va bien.  » C’est important de dessiner la silhouette Hermès, mais j’ai aussi voulu construire un lexique vestimentaire avec, à l’intérieur d’une même collection, des pièces différentes pour des femmes différentes.

Vous avez travaillé chez Céline ; vous avez étudié à Anvers… Autant d’écoles du minimalisme ! Placez-vous Hermès dans cette lignée ?

Ces noms partagent le même goût pour un objet honnête, beau et fonctionnel. Mais j’ai aussi une approche plus intuitive. Ma culture est variée. L’architecture me passionne, la musique, l’art contemporain. J’aime l’avant-garde des années 20, l’école américaine des années 60, avec les oeuvres de Rauschenberg, qui a opéré une mutation en mêlant le pur et l’organique.

Enfant, vous aimiez déjà la mode ?

Ado, je voyais surtout le vêtement comme une émancipation. La possibilité de transformer son âge, d’exprimer une identité, une famille, j’aime encore explorer cet aspect culturel. Quand j’ai eu 20-25 ans, cette vision s’est doublée d’une réflexion sur la notion de classique, qui m’est apparu comme essentiel. J’ai commencé à travailler autour de ces pièces dont on ne se lasse pas, pour leur apporter une modernité, en conservant leur essence. Cela m’a plongée aussi dans l’histoire du vêtement. La mode est liée à tout : l’anthropologie, l’histoire, la sociologie. C’est un monde d’une incroyable richesse.

Hermès est l’un des symboles de cette richesse…

Où l’on trouve aussi de la surprise et de l’émotion. La différence entre Hermès et les autres maisons de luxe est peut-être là. Il y a cette qualité impeccable, mais aussi une expérience déclenchée. De joie, d’étonnement. C’est le côté sensible de la marque. Le vêtement porte l’histoire des gens qui l’ont pensé. Et fabriqué.

PAR LYDIA BACRIE

 » Il est essentiel d’être attentif aux morphologies différentes. J’adore quand une femme peut dire : « J’aime ce vêtement parce qu’il me va bien. »  »

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