l’atout couleur

Le soleil ne se couche jamais sur le royaume de Tricia Guild, qui s’étend sur 40 pays avec une place de leader de la déco en Grande-Bretagne. Avec un succès constant depuis 1970, la griffe Designers Guild fait danser les couleurs dans les intérieurs, du sol au plafond. Et la toute nouvelle collection printanière suit bel et bien la cadence.

En matière de couleurs, chez Designers Guild, tout ce qui est  » plus  » n’est jamais  » trop « . Et ce n’est pas la nouvelle collection, directement inspirée de la beauté grisante du sud de l’Espagne, qui démentira la tendance : les coquelicots géants éclaboussent le coton de lumière, de saisissants motifs au pochoir rappellent l’architecture mauresque, le lapis et le turquoise habillent les canapés contemporains du designer britannique Rock Galpin. Les photos du printemps 2006 l’attestent : que l’on soit dans une villa moderne ou un palazzo vénitien, peu importe ! Tricia Guild assiste-t-elle seulement au shooting ?  » Absolutely ! C’est un moment vital dans la vie de la nouvelle collection, répond-elle. La photographier est souvent la première occasion d’avoir une vue d’ensemble et de faire des combinaisons qui fonctionnent. Je suis toujours là et j’approuve chaque prise de vue.  » Résultat, les canapés maison sont tendus de tissus chatoyants, unis ou à motifs, avec en arrière-plan l’idée du voilage suspendu faisant office de store devant une baie vitrée. Dans ce catalogue, corne d’abondance d’idées déco, un intérieur 100 % noir et blanc fait d’abord plus magazine que réaliste. Pourtant, on finit par s’apercevoir qu’avec un parquet châtaigne et surtout un bon équilibre entre les volumes, les panneaux de papier peint au coussin, on est bien loin de la Cruella des  » 101 Dalmatiens « .

Trente-cinq ans que cela dure… On parle aujourd’hui de près de 40 millions de livres sterling (58,5 millions d’euros) de chiffre d’affaires mais chut ! Tricia n’aime pas souligner sa réussite.

Une soif de couleurs qui fait splash !

Designers Guild est né à Londres, sur la fameuse artère branchée de Kings Road, à Chelsea. A la base, il y a l’insatisfaction d’une styliste. Tricia Guild, alors architecte d’intérieur, en avait ras le bol de ce qu’on trouvait chez les fournisseurs. Elle avait soif de couleurs sur les murs, explosant le tissu d’ameublement et faisant splash ! Pas une palette criarde, mais juste de quoi coller à l’époque. Designers Guild est donc la création d’une styliste qui ne tient pas à passer pour une redoutable femme d’affaires. Elle vous dira qu’elle n’a fait qu’inventer ce qu’il manquait. On connaît la chanson… Tricia Guild, directrice de création, se présente comme cofondatrice de sa maison. Le pouvoir exécutif est exercé par son frère, Simon Jeffreys. N’ayant pas grandi dans les années 1970 pour rien, elle a plus que voix au chapitre, tout en ne se substituant pas à Simon. Pas de risque pour elle d’entendre un jour :  » Refais des fleurs, darling, ça s’est bien vendu l’année dernière.  » Avant la prise d’une décision importante, comme de développer le secteur enfant il y a seize ans, Tricia et Simon en parlent ensemble, goûtant l’avantage de se connaître depuis toujours. Leur but était alors de donner une alternative à tout ce qui est systématiquement orné de personnages de dessins animés et souvent de piètre qualité. Elle a voulu apporter le même soin que pour les adultes tout en restant amusant et pratique. Le succès sonnant et trébuchant leur vint dès leur première collection,  » Village « , en 1975. Rebelote avec  » Mainstream  » (1980),  » Grandiflora  » (1987) et  » Kusumam  » (1993). Cette année, avec  » Beside the Sea « , c’est un thème marin très ludique qui ravira les plus petits.

Une collection, c’est du très beau tissu mais aussi du papier peint avec une grande qualité de définition pour les motifs. Tricia et son équipe de stylistes créent aussi du mobilier, fabriqué en Italie, des objets déco, du linge de lit, de toilette, des plaids, des couvertures et des tapis. De quoi remplir résidences principale et secondaire, de la peinture murale à la bougie parfumée.

Anglaise avec une vision internationale

Dans les bureaux directoriaux installés depuis 2003 à Notting Hill, le quartier ultrabranché de Londres, Simon Jeffreys est entouré d’une équipe de quinquas expérimentés. Tricia évoque ses succès comme si c’était de la chance. Elle qui a publié douze livres de décoration, très visuels et didactiques, se garde de donner la moindre leçon sur le produit qui marche. Ne cherchons pas du côté cosy britannique.  » Je suis anglaise mais j’ai une vision complètement internationale, prévient-elle. Je déteste le désordre, qui peut être très anglais. Chez moi, j’aime plutôt vivre au rythme des saisons en ajoutant des textures plus chaudes en hiver, avoir quelque chose de décrassé l’été, à la limite du minimal.  » Cela va dans le sens de la multiplication du nombre de modèles dans ses collections depuis les années 1990. Générosité créative ou stratégie pousse-à-la-consommation ? Les deux. Sa réponse est franche. Elle propose la même chose au Japon ou en Australie même si elle reconnaît que, pour des questions de disponibilité, le linge de lit repéré à Paris n’est pas forcément en magasin au même moment en Allemagne.

Designers Guild s’occupe aussi de chantiers publics tel celui du nouveau studio d’enregistrement des talk-shows de la BBC. Dans les coulisses, les stars se composent un visage dans un décor noir et blanc piqué de rose avant d’aller s’asseoir sur des canapés aux formes minimales mais aux couleurs avantageuses, rose ou turquoise doux, avec dans le dos des invités les bannières de tissu de la Guild attitude. Elles réchauffent la vue panoramique sur Londres, pas vraiment flatteuse pour le teint quand il pleut. On retrouve ici la logique du combinable de Tricia, typique des appartements décorés des visuels de ses nouveautés. Au-delà du marketing, c’est un peu aussi son credo déco. Les collections s’inspirent de ses voyages, réels ou rêvés, au c£ur de la Suède gustavienne, de la Renaissance italienne, des caravansérails de Samarkand (collection 2005) ou des poudres de couleurs dont les Indiens s’aspergent lors de la fête de Holi. Mais Tricia la voyageuse avoue que ses idées lui viennent aussi de Londres, dans des associations instinctives, loin des cabinets de tendance qu’elle trouve intéressants… sans jamais les consulter !

Du design dans la grande distribution

Ses stylistes interviennent avec elle sur chaque produit, une fois défini le point de départ de chaque collection. S’ensuit un va-et-vient de suggestions. L’an dernier, Designers Guild a fait travailler le jeune designer Rock Galpin qui à conçu  » Sketch « , un système d’assises visant à introduire plus de design dans la grande distribution, avec un canapé alluré deux ou trois places, un autre en L avec chaise longue intégrée et un fauteuil avec son repose-pied. Leurs pieds d’acier tubulaires les font tous un peu flotter au-dessus du sol. Galpin a ainsi remporté le prix Laurent Perrier du design à la grande joie de Tricia qui, lors de ses rencontres avec des étudiants dans les écoles d’art, les trouve mieux préparés aux exigences du design industriel.  » Il est évident que l’aspect commercial est vital si vous voulez vivre d’une pratique artistique « , conclut-elle sans langue de bois. Au fond, s’il y a une couleur que Designers Guild ne référencera jamais, c’est celle du secret.

Carnet d’adresses en page 167.

CE QU’IL A FALLU POUR DURER ?

 » Le désir de toujours explorer, de rester créatif et de repousser les limites.  »

LE DESIGN ?

 » Je serais capable d’acheter une chaise inconfortable, pour sa beauté, mais pas de m’asseoir dessus.  »

LE FUTUR ?

 » Continuer de développer de nouveaux marchés avec des produits toujours plus inspirants pour les clients. En intégrant tout au long de la chaîne de production des éléments exigés par la protection de l’environnement. Même si le politique a un rôle à jouer, les patrons sont aussi responsables.  »

LES CHIFFRES ?

l plus de 200 employés dans le monde entier.

l Présent dans plus de 40 pays.

l 65 % des ventes à l’export (deux Queen’s Awards en 1991 et 1996).

l 2 collections par an : 4 000 modèles de tissus et 2 000 de papier peint en 2005.

l 180 collections depuis 1970.

Guy-Claude Agboton

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