Un titre de Miss USA et… une balle dans la tête ont marqué la vie de Laura Elena Harring. Rencontre avec la très glamoureuse actrice du nouveau David Lynch.

La robe est rouge, comme les lèvres peintes. Le regard est noir, comme les cheveux. Le visage, poudré sans excès, décrit des lignes franches: nez volontaire, pommettes et menton saillants. La beauté de Laura Elena Harring a ce quelque chose de sensuel et de souverain façon Ava Gardner.  » L’International Herald Tribune  » a osé la comparaison,  » Variety  » optant plutôt pour une référence à Rita Hayworth. A bientôt 40 ans (elle en paraît 10 de moins), l’interprète du nouveau et fascinant film de David Lynch  » Mulholland Drive  » n’a pourtant pas une carrière comparable à ses glorieuses aînées. Née au Mexique, Laura Elena Martinez changea de nom pour éviter une homonymie avec une autre comédienne déjà en activité. Immigrée avec sa famille aux Etats-Unis à l’âge de 10 ans, elle devint Miss USA à 22 ans, première candidate d’origine hispanique à décrocher le titre. Le petit écran fut longtemps sa base professionnelle, avec des emplois dans des séries comme  » California  » ou  » Sunset Beach « . Adepte du tango et du yoga, mariée un temps au comte Carl Edward von Bismark, descendant du fameux prince et homme d’Etat allemand, Laura est tardivement parvenue au premier plan cinématographique, par la grâce d’une performance remarquable et remarquée dans  » Mulholland Drive « . Dans ce suspense criminel et surnaturel signé du meilleur Lynch, elle incarne une créature mystérieuse, amnésique, hantant un Hollywood plein de pièges mortels et de fausses pistes où la raison s’égarerait facilement. Avec la blonde Naomi Watts, elle forme un duo surprenant, s’autorisant une scène saphique appelée à faire date. Pas vraiment le genre de test à faire vaciller une actrice bien dans sa peau et assumant une image ouvertement sexy. La même que les magazines féminins  » latinos  » – et quelques autres – aiment mettre en couverture, en attendant de revoir Harring aux côtés de Denzel Washington et Anne Heche dans  » John Q « , son prochain film qui sortira aux Etats-Unis, d’ici à quelques semaines.

Weekend Le Vif/L’Express: Votre performance dans  » Mulholland Drive  » est l’une des plus sensuelles qu’il nous ait été donné de voir récemment…

Laura Elena Harring: David Lynch m’avait demandé de me comporter comme une chatte sensuelle, avec des mouvements caressants, sinueux. Une approche érotique même dans les scènes n’ayant rien de sexuel. C’était très agréable et amusant à faire… J’ai pris beaucoup de plaisir, j’étais très excitée à l’idée de travailler pour David. Tellement en fait qu’en me rendant au rendez-vous qu’il m’avait fixé, j’ai eu un accident de voiture! J’aurais pu rater mon audition mais les gens dont j’avais embouti le véhicule, un père et son fils, se rendaient eux-mêmes à une audition (si typiquement Hollywood!) et ils ont été très sympas… La coïncidence veut qu’au début de  » Mulholland Drive « , mon personnage est également victime d’un crash, bien plus terrible lui… Je me souviens aussi que David avait insisté pour que je me présente devant lui sans aucun maquillage.

Comment vous sentiez-vous?

Sans maquillage? Nue. Toute nue. Le maquillage est un masque. Surtout pour nous autres  » latinas  » qui achetons plus de make-up que n’importe qui d’autre (rires)! Je me sentais vulnérable, offerte, comme la toile blanche sur laquelle un peintre, un artiste, va imprimer ses idées, ses désirs.

Quelles sont vos couleurs préférées?

Certainement le rouge, pour le feu. Un peu de bleu aussi, pour l’équilibre, la tranquillité. Du noir, aussi, car je suis fascinée par les personnalités sombres. Les rôles de braves filles sans histoires ne m’attirent guère. On ne me les propose d’ailleurs pas trop souvent (rires)!

Dans  » Mulholland Drive « , vous avez une scène d’amour physique avec Naomi Watts qui va faire sensation.

Là aussi je me sentais très vulnérable. Je suis arrivée sur le plateau. Je savais que j’allais devoir ôter mon peignoir. J’ai regardé David au plus profond de ses yeux bleu bébé. Et j’ai dit  » Seulement pour toi, David  » (rires)… Sur le moment, je ne pouvais pas comprendre comment j’avais pu accepter. Mes yeux se sont mouillés. Tous ces gens qui étaient là, à me regarder… Mais l’éclairage était en clair-obscur, il y avait beaucoup de respect sur le plateau. On aurait entendu une épingle tomber sur le sol. Cela s’est beaucoup mieux passé que je ne l’imaginais.

Callista Flockhart, qui l’a fait dans un autre film, dit qu’embrasser une autre femme est une expérience radicalement différente du baiser masculin. Sentiment partagé?

Oh oui! Le baiser d’une femme est plus doux, c’est comme embrasser de la soie. Tout était soyeux, la peau, les mouvements du corps. J’aime beaucoup les hommes mais il faut reconnaître que leur sexualité est – à des degrés variables – inévitablement agressive. Le contraste entre cette approche d’attaquant et la douce approche d’une femme envers une autre est des plus saisissants.

Vous projetez une image très glamour dans la lignée de certaines actrices de film  » noir  » des années 1940 et 1950.

J’ai toujours admiré Bette Davis, Rita Hayworth. J’ai toujours fantasmé sur mes chances d’être une de ces femmes fatales. J’aime me sentir forte, contrôler la situation. On dirait que ça effraie la plupart des hommes. C’est curieux, après toutes les conquêtes féministes des années 1970, de voir à quel point les rapports entre les sexes au cinéma ont régressé globalement vers les clichés inégalitaires. La femme qui sait ce qu’elle veut est de nouveau, le plus souvent, vue comme une menace. Les mecs se sentent-ils si fragiles qu’il leur faille se protéger ainsi de nous, par fiction interposée? Moi, je n’ai aucun complexe à me montrer forte. Ma mère est un magnifique exemple pour moi: elle a appris l’anglais en autodidacte, elle a réussi dans un secteur très compétitif comme l’immobilier. Elle a toujours su ce qu’elle voulait et comment l’obtenir.

Qu’est-ce qui vous a menée vers le cinéma?

En fait presque rien, un détail: le petit geste d’au revoir que j’ai fait au terme du concours de Miss USA que j’avais remporté. Un producteur l’a vu et il a eu un déclic. Il s’est dit  » C’est exactement le genre de fille qu’il me faut.  » Il préparait un téléfilm avec Raul Julia. Et quand je me suis retrouvée devant la caméra avec cet acteur formidable, lorsque j’ai ressenti la puissance qui émanait de lui, de sa voix, de sa présence physique et morale, j’ai su que je voulais faire ce métier. J’ai travaillé beaucoup pour la télévision. J’ai aussi fait des petits films d’horreur pas vraiment inoubliables (rires)

Quelle est la chose la plus étonnante que vous ayez jamais faite?

C’était avant le cinéma et même avant les concours de beauté. J’avais 18 ans, j’avais terminé le lycée et je suis partie en Inde comme travailleuse sociale, dans un état d’esprit un peu hippie. Je me levais à 5 heures du matin, je creusais des latrines, je portais des pierres. C’était tout sauf glamour. En plus d’aider les autres, j’y ai gagné du caractère. Ce qui m’a été tout de suite utile à mon retour au Texas. Le peso mexicain venait de dévaluer et mes parents avaient vu fondre leur fortune. Ils m’ont dit que je devais me débrouiller comme une grande. Alors, j’ai trouvé du travail dans un magasin. Où un homme m’a repérée et m’a conseillé de m’inscrire au concours de Miss El Paso. Dans un premier temps, j’ai refusé. Puis j’ai vu la Miss en titre s’exprimer devant la presse. J’ai été séduite par sa classe, son aisance, son glamour. Moi la petite hippie jamais maquillée, qui ne portais jamais non plus de chaussures à talons hauts. J’ai été attirée par mon contraire, et j’ai voulu l’explorer. Je n’oublierai jamais la toute première fois que j’ai mis du mascara. J’avais des papillons plein les yeux, je pensais que mes paupières allaient rester collées (rires)!… Une fois devenue Miss El Paso, j’ai appris que le titre de Miss USA rapportait un quart de million de dollars. Et vous auriez voulu que je n’y aille pas (rires)?

Le revers de la pièce n’était-il pas de devoir faire face, par la suite, à certains préjugés?

Bien sûr. On prend toujours les Miss pour des connes! Personne ne pouvait imaginer que j’avais fait des études secondaires dans une pension d’élite en Suisse, que je connaissais bien le bouddhisme et que je lisais les philosophes hermétiques (rires).

Quelle est la plus rude épreuve que vous ayez dû traverser?

Sans doute la mort quasi simultanée, en moins d’une semaine, de mon père et de mon beau-père (mes parents ayant divorcé et ma mère s’étant remariée avec un Cubain). Je ne peux pas oublier non plus ce qui m’est arrivé à 12 ans, quand j’ai reçu dans la tête une balle de calibre 45. Nous étions en voiture, en famille, sur le parking d’un cinéma, j’ai senti comme une pierre qui me touchait, et un son énorme qui m’emplissait le crâne. Mon beau-père, qui était chasseur, a immédiatement reconnu le bruit d’un coup de revolver et il nous a crié de tous nous jeter à terre. J’étais couchée, et tout ce que j’entendais, c’était le son bouillonnant du sang qui s’échappait de ma tête… Et puis, le hurlement de ma soeur quand elle a vu ma blessure. Il s’est avéré que j’avais été touchée par une balle perdue, suite à une fusillade entre deux hommes. Un instant, j’ai cru que tout était fini, que j’étais en train de mourir. J’ai survécu, avec en moi la calme conviction, au-delà de toute révolte, que la mort est indissociable de la vie, et que cette dernière n’en est que plus désirable, qu’il faut en jouir pleinement.

A visiter, le site officiel très glamour et coloré de l’actrice: www.lauraharring.net

Propos recueillis par Louis Danvers

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