Après la danse, le théâtre et surtout le cinéma, Laura Morante endosse le rôle d’ambassadrice pour Lancôme, tout en préparant son premier film en tant que réalisatrice. Rencontre exclusive avec une beauté qui a  » fini par s’accepter « .

Dans la suite du Ritz, à Paris, le making of de la toute nouvelle campagne de pub tourne en boucle sur l’écran plasma XXL. Plans larges et close up de Laura Morante, nouvelle égérie de la ligne de soins Absolue de Lancôme, se répondent à un rythme soutenu. Malgré la fugacité de l’image, on note l’éclat surprenant qui se dégage de son visage de madone. Un peu plus tard, lors de l’interview qu’elle nous accorde, on prend conscience que ni Photoshop ni la magie de la caméra n’ont été nécessaires pour obtenir le teint lisse et lumineux qu’on admirait à l’écran.  » J’ai simplement appris à m’accepter « , glisse-t-elle dans un sourire énigmatique.

Et, de fait, l’actrice semble même rayonner davantage aujourd’hui qu’à ses débuts, il y a près de trente ans, lorsque les frères Bertolucci l’ont découverte et menée de la scène au grand écran. C’était au tout début des années 1980, d’abord avec Une femme italienne (1979), puis avec La Tragédie d’un homme ridicule (1981), en compétition au Festival de Cannes. En 2004, elle succédera d’ailleurs à sa compatriote Monica Bellucci dans le rôle de maîtresse de cérémonie de ce grand raout du cinéma. Entre-temps, Nanni Moretti est passé par là, révélant au grand public celle dont il va faire une de ses actrices fétiche.

Avec Sogni d’Oro (1981) puis Bianca (1983), mais surtout avec le très touchant La Chambre du fils (2001), Palme d’Or à Cannes, de nouveaux horizons s’ouvrent à Laura Morante, en Italie comme à l’étranger. Pour Alain Tanner ( La Vallée fantôme, 1987), John Malkovich ( Dancers Upstairs, 2000), Danièle Thompson ( Fauteuils d’orchestre, 2004) ou Alain Resnais ( C£urs, 2006), elle campe des femmes en crise, fragiles ou déprimées. Mais si son jeu traduit avec grâce et subtilité les sentiments obscurs et contradictoires de ses personnages tourmentés, elle aime aussi jouer la comédie sous la houlette de Carlo Verdoni.  » Même si je sais que mon visage n’inspire pas directement ce genre de registre, je m’y sens très à l’aise. Et j’adore l’idée de faire rire « , avoue-t-elle.

Weekend Le Vif/L’Express : On vous sait assez  » antistar-system « , vous vous exposez peu. Qu’est-ce qui vous a poussée aujourd’hui à accepter le rôle d’égérie pour Lancôme, et donc à  » vendre  » votre image ?

Laura Morante : Ce que je ne fais pas volontiers, c’est exposer ma vie privée. Et s’il m’arrive d’en parler, je ne suis effectivement pas du genre à donner mes photos de famille à la presse. Ce qui n’empêche que je me plie aux exigences de ma carrière. J’assure la promotion de mes films, je vais sur les plateaux télé… même si je ne suis pas une fanatique de ce genre d’exercice. Je me passe très bien d’être mise en avant dans les médias ! Mais cette campagne pour Lancôme n’est pas une intrusion dans ma vie privée. A partir du moment où on est dans une fonction professionnelle, voulue par le métier, je n’ai rien contre l’idée de me montrer.

Vous faites désormais partie des nombreuses comédiennes  » ambassadrices de beauté « . Comment interprétez-vous le choix des marques qui font appel à des actrices plutôt qu’à des anonymes pour leurs campagnes ?

J’ai l’impression que ce choix traduit une volonté, pour ces labels, d’être incarnés par des personnalités fortes, dont la caractéristique principale n’est pas nécessairement la beauté. Il y a sans doute derrière cela un besoin pour les marques de miser sur de  » vrais gens  » pour véhiculer un message, et pas seulement sur des icônes lisses et parfaites. Et je trouve cela plutôt positif de constater que la personnalité ne constitue pas un handicap mais au contraire un atout. Cela d’autant plus qu’en général ces stars ne se  » fondent  » pas dans les critères d’un label : elles restent elles-mêmes. Lancôme a été parmi les pionniers à s’engager dans cette voie : on se souvient qu’au moment ou Isabella Rossellini représentait la marque, il y a plus de vingt ans, elle tournait Blue Velvet (1986), un film formidable mais qui n’a absolument rien de glamour. Pour moi, il était essentiel que mon rôle d’égérie ne limite pas ma liberté de choix en tant qu’actrice.

La personnalité est donc un élément prépondérant pour définir la beauté, selon vous ?

Oui, très certainement. Au même titre que la grâce, l’intelligence, l’émotion ou la vérité qui se dégage de quelqu’un. Mais définir la beauté est une tâche très difficile, en tout cas dès qu’il s’agit de parler de personnes, et en particulier de femmes. Ça devient beaucoup plus clair lorsqu’on parle d’art. Nul ne songerait à dire qu’un tableau de Rembrandt est  » joli « . On dira plutôt qu’il est  » beau « . Et ce n’est pas lié au fait qu’il soit bien peint, que les détails soient représentés avec précision, etc. Quand on parle d’art, ou même de littérature, la définition de la beauté est claire, sans qu’il y ait de parenté obligatoire entre la joliesse et la beauté. Les deux notions peuvent même être complètement opposées. J’aime l’idée d’appliquer cette conception aux personnes.

Vous faites aussi intervenir la notion de spontanéité dans cette définition…

Je pense en effet que l’excès de conscience de notre apparence fait fondre la beauté comme neige au soleil. Si vous prenez l’exemple des enfants, ils sont pratiquement toujours beaux, parce qu’ils sont dans une dimension d’inconscience, indispensable à la grâce et donc à la beauté. Dans un essai formidable, Henrich von Kleist ( NDLR : auteur dramatique et écrivain allemand, 1777-1811) évoque ce thème : il décrit un garçon très beau qui fait un geste gracieux en laçant ses chaussures. Au moment où il se voit, la grâce est perdue à jamais. Pas de beauté sans spontanéité, donc ! Et c’est un exercice très difficile que de préserver cela, surtout quand on est dans un métier où on se place tout le temps sous le regard des gens. Il faut travailler à retrouver cette spontanéité, et, par là, cette grâce, ce qui peut sembler paradoxal.

Quel regard portez-vous sur votre image ?

Je l’accepte, mais souvent avec difficulté. Parfois, me voir à l’écran m’est insupportable. Je dois faire un véritable effort, parce que c’est une obligation professionnelle. Il y a même des films que je ne visionne que des années plus tard ! Ce n’est pas simple de se regarder, et surtout de se regarder jouer, parce qu’il ne s’agit alors pas seulement d’une question d’image : vient se greffer là-dessus un jugement sur son travail d’acteur. Après, avec les années, j’ai appris à m’accepter, sans en éprouver pour autant de plaisir à me voir. A mes débuts, un acteur beaucoup plus âgé que moi, lui aussi très effacé par nature, m’a dit avoir arrêté de l’être le jour où il a compris que sa timidité venait d’un excès d’égocentrisme. J’ai réalisé que ce n’était peut-être pas faux. Et, de fait, à partir du moment où j’ai accepté que mon jeu de comédienne puisse ne pas être parfait, la timidité n’a certes pas disparu complètement, mais est en tout cas devenue nettement moins gênante que quand j’étais jeune, époque où elle me paralysait littéralement.

Est-ce cette timidité qui, paradoxalement, vous a poussée à vous exposer via le théâtre et le cinéma ?

Sans aucun doute. Quand on vit avec une peur, il n’y a que deux possibilités : fuir ou affronter. La scène et le cinéma étaient une forme de thérapie. Souvent, d’ailleurs, les acteurs sont des ex- timides qui choisissent cette voie pour parvenir à s’aimer. Les gens qui s’aiment n’ont pas besoin d’être comédiens.

Le jeu d’acteur n’était pourtant pas votre première vocation, puisque vous avez commencé votre carrière comme danseuse…

Petite, la comédie n’était en effet pas dans mes objectifs. J’avais deux passions : la danse et l’écriture. La scène puis le cinéma sont venus à moi un peu par hasard. Grâce à des amis comédiens, je me suis lancée dans le théâtre, où je tenais de petits rôles. Ensuite, j’ai eu la chance de rencontrer Carlo Bene, qui m’a fait intégrer sa troupe. Giuseppe Bertolucci m’a repérée sur scène, et engagée pour jouer une toxicomane. Le film était produit par son frère, Bernardo Bertolucci, qui m’a par la suite dirigée dans La Tragédie d’un homme ridicule (1980). C’est comme ça que tout a réellement commencé, même si j’avais déjà fait de la figuration pour Fellini quelques années auparavant. Puis il y a eu la rencontre décisive avec Nanni Moretti pour Sogni d’Oro (1981).

Quels souvenirs gardez-vous de ces premiers contacts avec le cinéma ?

Comme vous le disiez, j’ai fait mes armes dans l’univers de la danse, très exigeant et éprouvant sur le plan physique. Aussi quand j’ai décroché mes premiers rôles, je me suis dit :  » On appelle ça travailler ? C’est la planque, ici : on ne fait rien, et on est payée !  » Il me semblait même ridicule d’appeler ça du  » travail « . Et aujourd’hui encore, alors que d’autres comédiens me traitent parfois de stakanoviste, j’ai tendance à me considérer comme paresseuse ! Mais j’aime dire que ce qui était un mariage de raison avec le cinéma s’est transformé ensuite en mariage d’amour.

Parmi vos rêves d’enfant, vous évoquiez aussi l’écriture. Qu’en est-il aujourd’hui ?

J’ai toujours aimé raconter des histoires et je me plie à cet exercice d’écriture depuis déjà une vingtaine d’années. Assez vite, je me suis attelée à un travail de réécriture de scénarios, de dialogues, etc. Je dois dire que j’ai un don pour voir tout de suite où le rythme doit être rendu plus nerveux, où cela ne fonctionne pas. De manière plus générale, j’ai toujours adoré retravailler sur ce qui existe déjà, détourner des objets, donner de l’éclat à des choses qui n’en ont pas. C’est peut-être aussi mes origines toscanes qui font ça, puisque dans ma région, on a coutume d’embellir ce qui existe déjà plutôt que de construire du neuf. D’ailleurs, cela se vérifie sur le plan gastronomique également puisque les meilleurs plats toscans sont ceux qu’on prépare à partir de restes !

En vous attelant pour la première fois à la réalisation d’un film, vous partez, tout au contraire, d’une page blanche…

C’est une évolution qui m’a semblé naturelle : après avoir retravaillé les scénarios des autres, j’ai eu envie d’en écrire d’autres, qui me soient propres. J’ai vendu un premier texte en Italie, qui n’a pas encore pu être monté faute de moyens financiers, puis j’ai écrit cette autre histoire, que je vais effectivement réaliser, mais ce n’était pas un but en soi. En fait, c’est Bruno Pésery, le producteur avec lequel j’ai fait le film de Resnais ( NDLR : C£urs), qui m’y a poussée. Il a lu mon scénario, qu’il a aimé. Ensuite est venue la question de la mise en scène. J’ai proposé quelques noms. Mais finalement Bruno Pésery m’a dit qu’il ne pensait pas que c’était judicieux de confier cela à quelqu’un d’autre. Ce n’était pas prévu comme cela au départ, mais c’est une belle aventure qui s’offre à moi. Le tournage aura lieu d’avril à juin prochain.

Propos recueillis par Delphine Kindermans

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