Désormais, le scoop s’offre à Monsieur Tout-le-monde. Il faut juste un  » photophone  » et un peu de chance pour devenir citoyen-reporter malgré soi.

Retrouvez Frédéric Brébant chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même « , de Jean-Pierre Hautier, sur La Première (RTBF radio).

Sans doute l’agonie de Jean-Paul II y est-elle pour quelque chose. Toujours est-il que l’information est presque passée inaperçue au moment des faits, alors que les télévisions du monde entier étaient braquées sur la place Saint-Pierre de Rome. Certes, il ne s’agit que d’une histoire d’adultère, mais la façon dont elle a éclaté au grand jour mérite une réflexion sur l’évolution de la société de l’information. Petit rappel des faits : Karl-Heinz Grasser, ministre autrichien de l’Economie, attend patiemment l’avion à l’aéroport Charles de Gaulle de Paris. La femme qu’il est en train d’embrasser amoureusement n’est pas sa chère et tendre fiancée qu’il compte bientôt épouser, mais bien Fiona Swarovski, héritière de la célèbre marque de cristaux du même nom. Les tourtereaux sont bel et bien à l’abri des paparazzis professionnels, mais pas invisibles pour un groupe d’étudiants autrichiens présents dans le même aéroport. L’air de rien, l’un de ces adolescents sort son téléphone portable et capture le baiser passionné avec son appareil photo intégré. Quelques jours plus tard, le cliché sulfureux fait la Une du magazine autrichien « News » et la fiancée bafouée perd le contrôle de la Porsche du ministre après une violente dispute avec le fautif. Plus de peur que de mal, personne n’est blessé. Du moins physiquement.  » Saleté de téléphone !  » fulminent Karl-Heinz Grasser et toutes les autres personnalités publiques. Car au-delà de l’anecdote, c’est tout le rapport au journalisme qui est aujourd’hui bouleversé avec la démocratisation des nouvelles technologies. Jadis, tout était facile : les grands reporters débarquaient pendant ou après l’événement et les paparazzis attendaient sagement, quant à eux, leur proie dans l’ombre. Intouchables, ces professionnels de l’information détenaient, sans concession, le monopole du scoop. Depuis quelques années, le rapport de force s’est inversé : avec l’arrivée de  » photophones  » à prix raisonnable sur le marché, chaque individu est devenu, petit à petit, un citoyen reporter potentiel ; pire, un paparazzi amateur prêt à dégainer pour décrocher le pactole. Bref,  » Cette fois, c’est moi !  » n’est plus seulement le slogan du Lotto, c’est désormais la devise de tous les candidats au fameux quart d’heure de gloire prédit par Andy Warhol. Autre exemple récent : la seule image de l’assassinat du cinéaste néerlandais Théo Van Gogh en novembre dernier n’a pas été prise par un reporter photographe envoyé expressément sur les lieux, mais bien par un anonyme qui se trouvait là, par hasard, avec son téléphone portable. Autrement dit, la mondialisation de l’information prend aujourd’hui une tournure insoupçonnée : les événements, historiques ou anodins, ne sont plus la chasse gardée des professionnels, mais bien le pain béni d’illustres inconnus devenus subitement journalistes malgré eux. Dans cette nouvelle configuration technologique, personne n’est épargné. Ni les hommes politiques infidèles. Ni les stars en quête de tranquillité que l’on affiche fièrement sur les moblogs, ces fameux cyber-journaux intimes truffés d’images volées (toi aussi crée ton moblog sur http://snap.mobile.be!) Ni les anonymes dont le postérieur peut également être volé et exposé sur le Net ( www.mobileasses.com). Ni même le nouveau pape qui devra, lui aussi, composer avec ce mouchard démoniaque.

Frédéric Brébant

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