Paillettes, glamour et séduction extrême : les ingrédients du style Azzaro, l’embellisseur des femmes, sont réinterprétés avec brio par la créatrice Vanessa Seward. Rencontre avec une fille pleine d’allure et d’allant.

L oris Azzaro, mort en novembre 2003 à l’âge de 70 ans, était le couturier jet-set par excellence. En 1968, il remporte un succès éclatant avec sa fameuse robe en jersey ornée au devant de trois anneaux strassés. De brillantes beautés telles que Marisa Berenson, Raquel Welch, Dalida, Sophia Loren, Claudia Cardinale ou Jane Birkin vont porter avec panache ses créations simultanément légères et luxueuses, conçues pour scintiller du soir jusqu’à l’aube. Ses parfums (Azzaro Couture, Chrome, Eau Belle…) sont également devenus des incontournables.

Entre celui qui consacra son existence à embellir les femmes et Vanessa Seward arrivée dans la maison fin 2002, l’entente fut profonde et les rapports respectueux, à la manière, par exemple, de Rosemary Rodriguez chez Paco Rabanne ou de Giambattista Valli chez Emanuel Ungaro.  » La paillette est à Azzaro ce que le tweed est à Chanel « , a coutume de dire Vanessa (34 ans) qui revisite, sur le mode contemporain, les fourreaux fabuleux qui firent le succès du créateur, voici plus de trente ans. De fait, sa première collection pour la maison Azzaro ( NDLR : la collection de l’été 2004 fut réalisée à quatre mains du vivant d’Azzaro) rend grâce aux égéries du cinéma hollywoodien des années 1930 et au chic absolu des photographies d’Helmut Newton et Guy Bourdin. Une approche glamour parfaitement représentative de l’identité sexy, voire érotique de la griffe Azzaro.

Articulée autour du jersey drapé û la matière fétiche d’Azzaro û, la collection flirte aussi avec la mousseline, les paillettes, la fourrure travaillée près du corps et le velours de soie lisse. Baptisées Ramsès, Ravage ou Rêveuse (chaque collection Azzaro emprunte par tradition une lettre à l’alphabet), les tenues correspondent pile-poil au régime d’élégance pure en vogue cette saison.

Weekend Le Vif/L’Express a rencontré Vanessa Seward dans son atelier, juste à côté de la boutique Loris Azzaro qui a fait peau neuve rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. Née à Buenos Aires de parents diplomates, Vanessa Seward arrive à Paris à l’âge de 12 ans après avoir passé sa petite enfance à Londres. Cette cosmopolite par essence étudie la mode au Studio Berçot avant de travailler neuf ans chez Chanel et deux ans chez Yves Saint Laurent aux côtés de Tom Ford. Son approche spontanée de la beauté, son goût de la perfection et ses affinités avec la philosophie vestimentaire d’Azzaro la conduisent ensuite au sein d’une maison dont elle s’attache aujourd’hui à entretenir les racines tout en conférant au label un lustre supplémentaire. Pas étonnant que Nicole Kidman, Elizabeth Hurley, Naomi Watts, Laetitia Casta et bien d’autres stars plébiscitent les créations de la jeune femme tandis que la crème des acheteurs (Maria Luisa à Paris, Berdgorf Goodman à New York, Decades à Los Angeles…) misent à fond sur l' » Azzaro nouveau « , à l’instar de Carine Roitfield, la très influente rédac’chef du  » Vogue  » France.

Weekend Le Vif/L’Express : L’élégance innée de votre grand-mère et de votre mère, fan elle-même d’Azzaro, vous a- t-elle servi de moteur pour vous lancer dans la mode ? Vous ont-elles en quelque sorte servi de muses ?

Vanessa Seward : Bien sûr, même si je ne pense pas qu’elles l’ont fait exprès ( sourire). Elles ont eu la chance de n’avoir pas besoin de travailler et cette passion pour l’allure, elles avaient tout le temps de s’y consacrer. La mode, chez nous, c’est vraiment une affaire de famille ; ma s£ur aînée a elle aussi travaillé dans ce secteur à Londres. Ma grand-mère a 92 ans maintenant, et elle est toujours aussi coquette ! En outre, comme j’adore les vêtements vintage, ma mère et ma grand-mère sont de vraies mines au trésor pour moi. Je crois que l’on m’a transmis l’amour de la mode avec le lait maternel.

A vous voir, on constate que le glamour est chez vous une seconde nature. C’est pour cela que la maison Azzaro vous a choisie comme directrice artistique ?

Je l’espère ( rire). En fait, c’est le destin qui a précipité les choses. Je suis venue ici pour £uvrer en tant que responsable de studio fin 2002. A la mort de Monsieur Azzaro, je suis devenue directrice artistique. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir ce poste. En fait, je connaissais déjà très bien la maison Azzaro car, quand j’étais gamine, ma mère s’est occupée un certain temps de la boutique rue du Faubourg-Saint-Honoré. J’étais fascinée par Loris Azzaro, un monsieur très élégant, charismatique, voire impressionnant. Je n’imaginais pas qu’un jour, je travaillerais à ses côtés. Mais je suis arrivée ici avec enthousiasme car je savais que cette maison avait un potentiel énorme, même si l’on n’en parlait plus beaucoup. Il fallait réveiller, rebooster toute cette aura de glamour.

Vous avez travaillé quasi un an aux côtés de Loris Azzaro. Comment se passait cette collaboration ?

C’était une expérience assez géniale : même souffrant, Monsieur Azzaro faisait preuve d’une incroyable volonté ; il savait exactement ce qu’il voulait. Quand il travaillait avec les ateliers, il connaissait par c£ur la coupe, le moindre détail de chaque modèle… Il m’impressionnait aussi physiquement : il allait suivre ses séances de chimio le matin et il venait au studio l’après-midi. Il vivait vraiment pour cette maison et il m’a appris énormément de choses. Moi, je poussais à la réactualisation de la marque et lui, il me disait que ce n’était pas la mode qui le préoccupait mais le style parce qu’avant tout, le vêtement devait être beau. Parfois, on entrait en conflit et cela aussi, c’était intéressant car cela pimentait le débat. Avec lui, il fallait placer la barre très haut pour qu’une réalisation lui plaise et simultanément, que ladite réalisation s’inscrive bien dans notre époque. Ce sont des challenges qui me manquent beaucoup depuis sa disparition. Parfois, il me disait que j’étais sacrément têtue et pourtant, il respectait cela. D’ailleurs, j’ai toujours pris ses remarques comme un compliment. Il y avait une véritable tendresse entre nous. Je le répète, bosser avec lui constitue l’une des plus belles expériences de ma vie et je suis émue car avant de mourir, il a pu voir ses robes de star faire à nouveau la Une des plus grands magazines lifestyle et plébiscitées par des tas de célébrités.

Comme Loris Azzaro, vous êtes un personnage cosmopolite : vous êtes née à Buenos Aires, vous avez grandi à Londres puis à Paris, vous êtes polyglotte et voyagez beaucoup… Ce cosmopolitisme est-il un atout majeur dans votre métier ?

Absolument, c’est une de mes forces majeures : rien que dans l’inspiration des collections, par exemple. Le cosmopolitisme, c’est quelque chose d’éminemment actuel ; ne dit-on pas que la planète est un village ? Et puis, cette mixité des genres vous procure une ouverture d’esprit considérable. Plus on a l’esprit ouvert, plus l’inspiration est éclectique et riche.

Vous vous inspirez beaucoup des archives de la maison. Quelle est la part historique et quelle est votre part personnelle dans votre processus créatif ?

D’abord, je voudrais préciser que pour la collection de l’été 2004, Monsieur Azzaro était encore directeur artistique et j’ai donc collaboré avec lui. Ma première collection en solo est celle de cet automne-hiver. Enfin, en solo, c’est beaucoup dire car j’ai une équipe (15 collaborateurs) très soudée autour de moi. Une équipe qui m’est indispensable pour effectuer ce travail car je crois dur comme fer à la collaboration. Dans ma personnalité, au départ, il y avait déjà tout un côté Azzaro ; j’ai toujours adoré les paillettes, les strass, le glamour des seventies. Mais je ne suis pas que ça et plus j’avance, plus je me détache des archives. Cela étant, il y a des inspirations que j’ai et que Monsieur Azzaro avait, comme le cinéma hollywoodien des années 1930. Et puis, pour créer, je me projette dans une vie idéale, je m’imagine dans une villa superbe où ce serait la fête tous les soirs. Il y a aussi des tas de femmes Azzaro auxquelles je pense mais je les place dans un contexte actuel. En fait, je réinterpète dans un univers contemporain les vêtements emblématiques de la maison. Ce qui est capital, c’est de construire une identité Azzaro autour d’une femme précise et dont la personnalité va en s’affinant.

Justement, à quoi ressemble la femme Azzaro ?

Eh bien c’est une femme qui a 30 ans ou plus. Elle  » assure « , elle est consciente de sa séduction et la contrôle parfaitement : si elle enfile une robe Azzaro, elle sait qu’elle va casser la baraque. De plus, elle a un côté très sophistiqué mais cette sophistication ne lui a pas demandé d’effort. Certaines filles en robes du soir ont l’air mal à l’aise ou endimanchées. La femme Azzaro, elle, a une allure qui coule de source et son style demeure assez simple, presque dépouillé, parce qu’il n’y a pas abondance de détails. Une robe Azzaro n’en fait jamais trop. Et puis, ce sont des vêtements en jersey, donc assez confortables même s’ils restent très sexy. La femme Azzaro est mise en valeur naturellement ; elle oublie presque qu’elle a cette robe sur le dos. Quand j’ai des amies qui viennent ici emprunter des robes pour une soirée et sont ravies parce qu’elles ont eu un succès fou, ça me transporte. Finalement, c’est ce que voulait Loris Azzaro : rendre les femmes belles, point.

Là on parle de robes habillées : pour cet hiver, vous lancez une petite collection de maille. C’est une manière de faire doucement glisser l’Azzaro du soir vers un Azzaro du jour ?

J’ai commencé cette saison avec de la maille raffinée (cachemire, etc.) que j’ai approchée sur le plan de la matière plutôt que de la haute voltige technique. L’été prochain, je vais lancer des maillots, des petites robes en jersey… Ces vêtements demeurent tous en adéquation avec la philosophie Azzaro ; il s’agit de créations de jour très habillées. C’est sûr que je ne dessinerai jamais des jeans û que Monsieur Azzaro détestait û ou des baskets. De toute façon, j’estime que les jeans sont mieux réalisés par les spécialistes de la matière.

Depuis le début 2002, la maison Azzaro est propriété de la holding Frey : vous laisse- t-on toute liberté pour créer ou bien devez-vous vous plier à certaines contraintes ?

J’ai un travail de rêve : les propriétaires d’Azzaro m’accordent une confiance totale. Il faut dire que c’est leur première acquisition mode. Bien sûr, nous avons des réunions régulièrement et notre première priorité, c’était de redresser l’image de la maison. Et nous y arrivons, donc ils sont plutôt ravis. Ensuite, nous allons développer progressivement certains produits tels que les accessoires. Nous avançons pas à pas pour que chaque chose qui sorte de la maison Azzaro ait son identité propre.

A propos des accessoires qui étaient votre spécialité quand vous étiez chez Chanel et Saint Laurent, vous avez choisi le créateur Christian Louboutin pour les chaussures. Pourquoi ?

Je crois que comme toute bonne Parisienne û cela fait vingt-trois ans que j’habite cette ville û, je suis fan de Louboutin parce que ses chaussures sont chics et mettent en valeur la femme qui les porte sans pour autant tomber dans la dictature des tendances ou la logomania. J’aime cette allure intemporelle. Elle correspond au tempérament des élégantes de Paris qui, loin d’être des fashion victims, savent mélanger vintage et valeurs sûres en sachant bien cibler leur look perso.

Quelle est votre définition de l’élégance ?

Pour moi, l’élégance revient à se connaître soi-même et à mettre ses atouts en valeur. Si vous savez tirer parti de votre corps et de votre personnalité, vous êtes élégante. Il faut qu’il règne une harmonie entre la personne et ce qu’elle dégage. Prenez par exemple les cagoles ( NDLR : les filles du Sud habillées assez flashy genre Loana) : moi je trouve qu’elles ont du chien parce qu’elles sont sincères avec leur apparence.

Vous êtes décidément une créatrice beaucoup plus spontanée que conceptuelle…

Absolument et c’est sans doute parce que je suis une fille et que je suis ma propre  » cible  » quand je conçois des vêtements. D’ailleurs, aux essayages, je passe chaque vêtement sur moi afin de le  » sentir  » encore mieux. Je scrute chaque association de couleurs, chaque détail, chaque millimètre du modèle qui va sortir de nos ateliers où ils réalisent d’ailleurs un travail de coupe extraordinaire. Finalement, ces tenues sont assez naturelles et simples û Dieu sait si j’aime la simplicité ! û, mais dotées de détails hyperluxueux.

Quand vous êtes arrivée chez Azzaro, la maison tournait un peu au ralenti. En deux collections, la griffe pétille à nouveau. Quel est votre état d’esprit actuel ?

Eh bien, on se pince un peu tous les jours pour voir si ce qui nous arrive est bien vrai ( sourire). Je ne pouvais pas espérer un meilleur accueil à mon travail. En plus, je m’amuse en l’accomplissant ! Ici, c’est une petite structure ; nous sommes comme en famille. En fait, au départ, personne ne nous attendait : notre parcours n’a rien à voir avec celui d’un John Galliano ou d’un Alexander McQueen par exemple. Mais j’ai eu la chance d’£uvrer d’abord côte à côte avec Loris Azzaro, d’avoir eu la joie de voir, avec lui, la marque relever la tête puis de continuer sur sa lancée. Alors, aujourd’hui, mon état d’esprit est au beau fixe, évidemment. Nous avons encore pas mal de projets (campagnes de pub, développement du département accessoires, lancement d’un nouveau parfum, etc.) et je souhaite que les choses se déroulent bien… mais petit à petit. Je ne veux pas brûler les étapes.

Marianne Hublet

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