Alanguie sur les bords du Mékong, l’ancienne  » perle d’Indochine  » est l’escale idéale avant d’entreprendre une croisière hors du temps, entre rizières et pagodes, jusqu’aux rives du Tonlé Sap, le grand lac salé du Cambodge.

Phnom Penh, 5 heures du matin. A deux pas du palais royal, des adolescents graciles font leur gymnastique le long du fleuve. L’aube est à peine levée que des restos-trottoir préparent déjà une soupe aux nouilles et que des marchandes ambulantes installent leurs paniers remplis de lotus joufflus, de crevettes séchées et de sauterelles grillées à point. Dans une heure, Sambo, l’éléphant du roi, traversera la ville, attrapant au passage une banane ou un pain lancé par l’un de ses nombreux admirateurs. Très vite, la ville sort de sa torpeur matinale. C’est dans une pétarade de touk-touk et de motocyclettes trimbalant des familles entières que l’on découvre cette capitale aux airs familiers. Phnom Penh, c’est l’Asie rêvée par les Occidentaux. Celle des cafés au bord du Mékong et des échoppes de massage où l’on s’abandonne à des mains expertes. Celle des marchés odorants où tout se vend dans un joyeux tohu-bohu, et des palaces tel le Royal et son célèbre Elephant Bar à l’atmosphère durassienne. La capitale (oubliée des tour-opérateurs qui ne misent que sur les temples d’Angkor pour vanter le Cambodge) mérite bien plus qu’un  » stop-over « . Il suffit de slalomer sur une moto-dop (cyclomoteur-taxi) dans ses ruelles défoncées ou sur ses longues avenues rectilignes bordées de flamboyants pour tomber sous son charme. En espérant que la spéculation immobilière ne détruira pas ses dernières villas coloniales au profit des casinos chinois. On en oublierait presque de faire du tourisme… Pourtant, il ne faut sous aucun prétexte rater la visite du Musée national, qui abrite des chefs-d’£uvre d’art khmer, ni celle du palais royal, où une pagode au sol de dalles d’argent cache des bouddhas d’or et de diamants. La chaleur moite qui rend indolent, la grâce des enfants et le sourire de ce peuple digne finissent par masquer le traumatisme subi : pas moins de 2 millions d’êtres anéantis par la folie khmère rouge, et un pays exsangue qui a dû repartir de zéro.

Trente ans après le génocide dont on fait enfin le procès, le Cambodge reste sous perfusion humanitaire. Pourtant, on le sent vibrant d’espoir quand, le soir, sur les rives du Mékong se mêlent bonzes nonchalants, familles proprettes, amoureux discrets, colporteurs et gamins des rues… Tous contemplent, fascinés, le soleil qui sombre dans les eaux du fleuve roi, le seul au monde à inverser son cours, une fois l’an.

 » Les Khmers sont des paysans au sens noble du terme, des gens de la terre et de l’eau, le Cambodge est une culture inondée « , rappelle Serge Prunier, commandant de bord du  » Toum Teav « . Ce marin qui a écumé les fleuves d’Asie s’est finalement ancré dans ce pays,  » le plus libre, habité par le peuple le plus agréable du continent, sans typhon ni tremblement de terre « … C’est donc sans angoisse qu’on embarque sur son bateau de 38 mètres pour un voyage de trois jours à travers le Cambodge ancestral. A l’extérieur, le spectacle est fabuleux : des buffles laqués de boue tirent des charrues au milieu de rizières piquetées de palmiers à sucre. A l’intérieur, cabines lambrissées, moustiquaires et mobilier néocolonial composent un décor plein de charme. Après plusieurs heures passées à frôler des pêcheurs qui jettent leurs filets, juchés en équilibre sur leurs pirogues, le bateau accoste au village de Kampong Tralach. Une nuée de petits bouddhas espiègles attend sur la rive. Une large feuille de nénuphar en guise d’ombrelle à la main, ils suivent, hilares, les chariots tirés par des buffles qui emmènent les Barang (Blancs) jusqu’à la pagode où de belles fresques s’effritent dans l’indifférence générale. Le temps de faire une offrande au jeune chef des bonzes, il faut reprendre le  » Toum Teav  » avant la tombée de la nuit. Le pilote, Sarith, a beau maîtriser les méandres de ce fleuve capricieux et savoir apaiser les Phi, les esprits des courants, en leur offrant prières et régimes de bananes naines, on ne prend pas le risque de naviguer de nuit. C’est donc au large d’une petite île que l’on mouille. Allongé dans un transat sur le pont supérieur, on se fait une toile : le ciel scintillant est un véritable spectacle… et la densité du silence presque inquiétante. Quand au loin apparaît une tache lumineuse : c’est le faible néon d’une barque qui s’approche. Comme surgie du néant, loin de la rive, une jeune femme, accompagnée de son petit garçon, accroche sa mini-épicerie flottante à notre coque pour vendre des friandises et des bouteilles de  » monkey wine « , un vin vietnamien au goût caramélisé.

Le lendemain, nous naviguons sur le lac Tonlé Sap, véritable mer intérieure.  » De juillet à novembre, avec la mousson, l’eau monte de 10 mètres. On voit alors des pêcheurs perchés à la cime des arbres engloutis « , raconte Serge Prunier. On fonce sur des pirogues à moteur faisant la course avec le soleil pour arriver avant qu’il ne se couche au village lacustre de Kampong Luong.

L’horizon se noie dans les eaux lisses du lac, devenu vaste miroir, et les chants des enfants pêcheurs se mêlent aux ritournelles sucrées de la radio khmère alors que l’on glisse entre la pagode, l’école, la station-service, le bar à karaoké, le commissariat… flottants. La croisière, hélas, touche à sa fin. On accoste à quelques kilomètres de Siem Reap, ville coloniale aux portes des temples d’Angkor. Un autre voyage commence…

Lucie Martin

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