Telle une enclave aux confins de l’Afrique, Le Cap est une métropole vivante et joyeuse, qui vit avec son temps. Sa population métissée, son esprit de tolérance, son énergie et sa créativité exacerbée nourrissent une étonnante modernité. Découverte d’un véritable et fascinant eldorado sud-africain.

Le Cap fait figure d’exception sur le continent africain : loin des paysages de désert et de savane, voilà une ville ultramoderne, un îlot de prospérité et un foyer de création et d’innovation. Infiniment séduisante, la capitale législative de l’Afrique du Sud cultive aussi un formidable art de vivre, que lui envient ses s£urs, Johannesburg, Durban ou Pretoria. Ni vraiment africaine, ni tout à fait européenne, mais pas réellement américaine non plus, elle s’apparente, par certains aspects, aux métropoles les plus dynamiques de la planète. Ses rues en pente et son front de mer rappellent San Francisco. Son quartier d’affaires dominé par les gratte-ciel ressemble à ceux de New York ou Chicago. Sa douceur de vivre fait penser à Sydney ou à Miami. Ses quais ont été rénovés, comme à Lisbonne. Seuls ses marchés d’artisanat traditionnel, comme Greenmarket Square, soulignent son identité africaine.

Le Cap, c’est aussi un site naturel d’une exceptionnelle beauté. Comme un amphithéâtre entre mer et montagnes, la ville est adossée à la célèbre Table Mountain (montagne de la Table) et abritée dans une superbe baie. On l’imagine orientée vers la pointe de l’Afrique. Elle est en réalité tournée vers le Nord et vers l’Océan. Autrement dit, ouverte sur le monde. Le Cap post-apartheid possède une incroyable capacité à évoluer et à se transformer. João Ferreira, qui a fui son pays pour mieux y revenir ensuite, a été l’un des premiers à y ouvrir une galerie d’art. Il est enthousiaste :  » J’aime l’énergie de cette ville, qui offre des opportunités excitantes en ce moment. Le Cap en 2007 a le même esprit et autant de créativité que Barcelone dans les années 1980.  » C’est dire… Pour prendre véritablement le pouls de la ville et mesurer l’ampleur des changements, il suffit de sillonner les quartiers branchés (Green Point, Observatory, Cape Quarter, De Waterkant, sans oublier Kloof Street et Park Road) et de passer en revue les derniers lieux à la mode : les restaurants qui ont importé des concepts de fusion food, les boutiques-hôtels à la déco géniale, les galeries d’art toujours plus nombreuses…

Les artistes sortent de l’ombre

Depuis la fin de l’apartheid, les artistes sortent enfin de l’ombre.  » A l’âge de 18 ans, raconte Katherine Glenday, j’ai réalisé que je ne pourrais pas m’exprimer comme artiste. Pendant l’apartheid, mon art paraissait trop léger, trop frivole. J’avais mauvaise conscience, je m’autocensurais. Ces dernières années, nous avons l’esprit plus ouvert et d’autres sources d’inspiration, par le simple fait d’être libres, de pouvoir voyager… L’échange culturel existe. Un potentiel artistique se révèle au grand jour.  » Quelques Noirs et métisses, comme Abongile Madobane, parviennent même, maintenant, à vivre de leur art. Avec une liberté totale.  » Les jeunes artistes comme moi ne veulent pas rester enfermés dans le design tribal, ethnique, justifie- t-elle. Ils veulent s’exprimer, avoir leur propre style, même si ce n’est pas celui qu’on attend d’eux.  »

Une autre révolution est en marche au Cap, au niveau de l’urbanisme cette fois. Le coup d’envoi a été donné avec le V&A Waterfront : les anciens docks ont gardé leur structure métallique d’origine mais ont été réhabilités en vastes  » malls  » (shopping-centre) à l’américaine, avec des boutiques, des restaurants et des bars, et les quais ont été aménagés. La ville grandit, le rythme de vie s’accélère. Mais globalement, personne ne s’en plaint.  » On ne détruit pas tout pour reconstruire, se félicite l’artiste et galeriste Clementina Van der Walt. On réussit à conserver le peu de bâtiments historiques qu’on a, c’est l’essentiel.  » Signe des temps,  » Le Cap a remplacé Miami pour les prises de vue de mode et pour le tournage de fictions ou de films publicitaires « , note le photographe français Alain Proust, qui vit dans le pays depuis trente-quatre ans.

Tous les quartiers ou presque, de Bantry Bay à Mouille Point, en passant par Oranjezicht ou Woodstock, changent ainsi d’aspect, à la vitesse de l’éclair. Les bâtisses de styles néerlandais ( » Dutch Cape « ), victorien, et même Art déco, héritage des présences successives de colons (portugais, néerlandais, britanniques…), sont rénovées. Des villas et des immeubles contemporains sortent peu à peu de terre. La plupart suivent la même tendance architecturale : un graphisme épuré, de la hauteur et une combinaison subtile des matières : béton, alu, verre… Pour les intérieurs, les meubles et objets design, signés de grands noms internationaux ou de créateurs sud-africains, ont la cote. A défaut, les décorateurs d’intérieur insufflent au style existant, d’inspiration africaine ou coloniale, une modernité fulgurante, par quelques détails ingénieux. Les nouvelles boutiques de déco du Cap constituent d’ailleurs un formidable vivier de bonnes idées en la matière.

Les changements les plus impressionnants concernent le centre-ville, le City Bowl : les sièges de sociétés et d’administrations se délocalisent peu à peu dans la périphérie, laissant vacants des immeubles entiers, transformés illico en appartements haut de gamme et lofts à la taille démesurée, qui trouvent facilement preneurs, même à des prix exorbitants. Jusqu’à présent totalement endormies et désertes le soir et le week-end, les rues du City Bowl reprennent ainsi de la vitalité. Parfois là où on ne l’attend pas…

Jean-Vincent Ridon, Français expatrié, a choisi d’installer son exploitation viticole en plein centre : il possède 2 000 m2 de vignes, soit de quoi produire quelques centaines de bouteilles, reconnaissables à leur étiquette  » Vive la différence  » (en français dans le texte), flanquée d’un coq gaulois. Pour lui,  » La réhabilitation du City Bowl n’est qu’un juste retour des choses : la ville du Cap a été conçue pour être un port, avec l’animation qui va avec. Les gens veulent sortir, aller au cinéma ou à un concert sans passer des heures en voiture. Et puis, l’argent se fait en ville. Alors, tout le monde revient en masse dans le centre. Y compris la  » middle class  » noire, qui existe ici, même si elle n’est pas encore aussi développée qu’à Johannesburg.  »

Malgré l’émergence de cette classe moyenne noire –  » qui pousse Le Cap et qui va sauver l’Afrique du Sud « , d’après Alain Proust -, il faut bien reconnaître que les disparités sociales demeurent. Le chômage et l’analphabétisme perdurent, le sida fait des ravages. La créatrice de mode Nkhensani Nkosi, qui a lancé la marque de vêtements afro-urbains Stoned Cherry, apporte une nuance :  » Les quartiers sont plus marqués socialement au Cap qu’à Johannesburg, où l’intégration et le mélange entre les populations se font plus facilement.  » Le contraste, en effet, est particulièrement flagrant entre les townships et les collines des bords de mer, Fresnaye ou Camps Bay, recouvertes de villas somptueuses pour happy fews dessinées par de grands architectes locaux. Les touristes de passage ne voient trop souvent que la partie émergée de l’iceberg.

 » La ville a été nettoyée, explique Jean-Yves Muller, le propriétaire français du bar à vins Le Caveau. Avant, on croisait des enfants qui mendiaient dans la rue, qui sniffaient de la colle. Depuis quelques années tout a changé et la sécurité s’est nettement améliorée. Les habitants du Cap disent que nous avons le plus haut niveau de vie du monde. Cela me paraît exagéré, même si on peut se permettre des choses incroyables : ainsi j’ai pu m’acheter une maison de 800 m2. »

Le  » miracle capetownien  » a aussi conquis Jean-Marc Sidératos, le patron du bar-restaurant Figaro :  » J’ai gagné une qualité de vie incroyable ici, je nage dans la mer tous les jours, je marche en montagne… Le Cap, c’est une nature superbe, une fabuleuse créativité, un sens inné de l’esthétisme, une sensualité folle et un métissage incroyable. L’Afrique du Sud ne remerciera jamais assez Nelson Mandela pour ce qu’il a fait pour le pays.  »

Le Cap en pratique, voir pages 40 et 41.

Reportage Céline Baussay / Photos: Pascale Béroujon

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