Longtemps invité des moments d’exception, le champagne s’émancipe et se déguste sans prétexte. A part celui de faire pétiller le quotidien.

Le temps où il sortait de la cave à l’occasion, pour célébrer un moment d’exception – baptême, anniversaire, mariage ou nouvel an – est révolu. Dorénavant, le champagne se consomme à toute heure. Avec le plaisir pour seul alibi. Mieux encore: s’accorder une trêve autour d’une coupe à la sortie du bureau fait désormais partie de l’art de bien vivre. Une tendance que confirme l’ouverture récente, à Paris, de lieux dédiés à ce vin à bulles. Tous remportent le succès escompté. Chef de file de ce concept qui associe dégustation, cuisine contemporaine et espace boutique autour de ce délice pétillant, le Bubbles (bulles en anglais) n’en finit pas de séduire les épicuriens du nouveau millénaire. Bandes de filles en goguette ou spectateurs à la sortie d’un théâtre, tous aiment se retrouver dans cette atmosphère festive. « Je voulais créer un restaurant autour d’un produit. Le champagne, qui associe deux spécificités françaises – le luxe et l’esprit terroir -, m’a semblé la meilleure option », explique Pierre Anderegg, le propriétaire.

Du côté des concurrents, le très design Wine and Bubbles, un bar inauguré en juillet 2001, ne désemplit pas. En fin de journée, les 25-35 ans viennent s’y relaxer, une coupe à la main. Costards cravates ou allure « casual », les habitués sont légion. En 2000, leur diplôme d’école de commerce en poche, les trois fondateurs de cet établissement très parisien se lancent dans la vente de vins sur Internet. Une réussite qui leur donne des ailes et l’idée  » de se rapprocher de la clientèle ». D’où cet espace où, en terrasse et dans la salle située à côté de leur boutique, ils servent des vins du monde entier et plus de cent références de bruts, secs ou demi-secs à des prix très avantageux. Une proposition qui correspond à une nouvelle donne: l’envie de jouir de l’instant et d’explorer l’univers sensoriel.

Symbole de fête, le champagne colle parfaitement à l’air du temps des post-soixante-huitards, experts dans l’art de l’improvisation raffinée. Or, rien de telle que cette boisson connotée luxe et volupté pour mettre des bulles dans son quotidien. « De plus en plus souvent, on préfère organiser à la dernière minute des pique-niques informels sur la table basse du salon mais avec un choix des meilleurs produits », note Alexandra Randall, directrice de la communication de la griffe Charles Heidsieck qui vient d’inventer le concept « Snack’Art ». Le but étant de « sortir de la gastronomie guindée en l’associant à des mets simples ». Avec pour emblème un sac à dos glacière: fourni avec deux coupes, une bouteille de champagne et des boîtes en Inox pour les tapas ou les sushis, il permet de « déguster le champagne comme on aimerait déguster la vie, en liberté ». Cette idée de la maison champenoise est née de l’étude des évolutions de notre société où l’hédonisme, le nomadisme et les affinités électives sont érigées en valeurs fondamentales. Une thèse validée par le sociologue Jean-Claude Kaufmann: « L’homme contemporain se concentre sur un grand nombre de petits plaisirs, de micro-sensations pour lesquels il recherche le plus haut degré de qualité. »

Pour les alter-mondialistes et les « bohèmes chics », le refus des conventions ne rime pas forcément avec négligence. Sûrs de leur goût, ils n’hésitent pas à détourner les aliments de leur contexte, à proposer un bon cru déniché chez un caviste… avec des produits du terroir. « Cette recherche n’est pas éphémère. Au contraire, c’est un courant fort de notre époque qui va bien au-delà de la mode », affirme Daniel Thibault, chef de cave chez Charles Heidsieck. Avec, en ligne directrice, du raffinement dans la désinvolture et une exigence dans la décontraction. « Ces parenthèses doivent être parfaites. Solliciter l’imaginaire par un décor, boire tel vin dans tel verre, découvrir telle saveur dans telle assiette sont des expériences qui font partie de ces itinéraires sensoriels », ajoute Jean-Claude Kaufmann. D’ailleurs, tous les spécialistes l’affirment, le champagne ne supporte pas la médiocrité. Allié préféré d’une soirée réussie, il fait dorénavant aussi partie du plaisir au quotidien. Assoiffés de nouveautés, les amateurs apprennent à apprécier sa palette d’arômes en dehors des circonstances exceptionnelles. Pour le seul bonheur partagé de se dire « c’est bon ». Tout simplement.

Serge Gleizes et Maya Lebas, Stylisme: Judith Mathon-Quartier [{ssquf}]

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