Le choix des mots, le toc des photos

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Mathieu Nguyen

Tous les sept ans, le designer graphique Stefan Sagmeister ferme son bureau new-yorkais pour une année sabbatique, en vertu d’un rituel qu’il estime nécessaire au renouvellement de sa créativité. C’est sûr, tout le monde rêve de pouvoir se permettre ce genre de mise au vert, mais après tout,  » tout le monde  » ne signe pas des posters et pochettes d’albums pour les Stones ou Lou Reed ; quoi qu’il en soit, là n’est pas le débat. Le fait est que l’ami Stefan a également pour habitude de tenir une sorte de permanence mensuelle gratuite durant laquelle les jeunes designers peuvent venir lui soumettre leurs créations et bénéficier de ses conseils avisés. Absent pour ces rencontres durant les douze prochains mois, équitablement répartis entre Mexico, Tokyo et les Alpes autrichiennes, Sagmeister a planché sur un moyen de poursuivre ses enrichissantes petites séances… et c’est en Instagram qu’il a trouvé la plate-forme idéale pour continuer à prodiguer ses recommandations à distance, se félicitant d’ailleurs des commentaires pour la plupart bienveillants. C’est ainsi que ses 230 000 followers ont pu apprécier les mérites de l’animation d’un certain Josh Penn, dont la  » typographie cinétique  » exprime les difficultés des dyslexiques, entre une affiche pour Les Monologues du Vagin et le Seamoji de Karel De Mulder, un smiley de cailloux posés à trois mètres de profondeur dans les eaux limpides du littoral corse, effectué en cinquante-deux plongées par l’artiste anversois.

Une activité désintéressée, inspirante et constructive sur Instagram ? On en avait presque oublié qu’il était permis d’y poster autre chose que des licornes gonflables, tant l’application est devenue l’éden photoshopé des starlettes, influenceurs et autres VRP de la vacuité sponsorisée. L’exemple de cette  » design clinic  » en ligne nous rappelle que les fondamentaux d’Insta – publier, commenter, diffuser une image – sont capables de dépasser l’autopromo gavée de complaisance ou le pugilat virtuel, l’autre sport préféré de nombreux accros du clavier. Si souvent voués aux gémonies, ces maudits réseaux sociaux ne sont jamais que ce qu’on en fait, et il serait peut-être temps de se les réapproprier. Car c’est en laissant le champ libre aux trolls haineux et aux écervelés que les utilisateurs lambda ont malgré eux contribué à transformer un potentiel lieu d’échange et de partage en une vulgaire vitrine commerciale ou un ring mondialisé.

MATHIEU NGUYEN

Si souvent voués aux gémonies, les réseaux sociaux ne sont jamais que ce qu’on en fait.

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