Le Cinéman ébouriffant

Lucky Luke, c’est lui. Un Prophète, aussi. Cowboy avec Poelvoorde, pareil. Rageman, graphiste parisien de son état, est un affichiste de films très demandé. Une histoire de promo, certes, mais aussi d’identité.

Pourquoi les hommes de 40 ans en paraissent-ils aujourd’hui 30 quand leurs pères en faisaient 10 de plus il y a une génération ? Vous me suivez ? Il faudrait un jour se poser sérieusement la question. Prenez Rageman. La dernière fois qu’on a voulu lui donner un âge, son interlocutrice a dit :  » 28 ? »  » Bon, c’était la nuit « , plaide ce manga kid aux cheveux ébouriffés, père de trois enfants dont un d’une vingtaine d’années. On jurerait que ce Parisien, né l’année érotique, a été retouché par Photoshop. Serait-ce la profession ? Rageman est graphiste, spécialisé dans la conception d’affiches de cinéma. Le genre de job qui aide à rester jeune. Les affiches de Lucky Luke, Un Prophète, Cowboy, Blueberry, Braquo – la nouvelle série de Be tv – sans oublier Le bal des actrices, le film de Maïwenn où il a eu l’idée de faire poser nues les plus jolies actrices du cinéma français, portent toutes la signature du créatif.

Au sortir de l’Esag-Penninghen, une école d’arts graphiques réputée à Paris, il rêve de dessiner des motos auxquelles il a consacré son mémoire de fin d’études. Au lieu de cela, il suit un groupe de rock au Canada, revient en France et intègre une société de communication graphique. En 2001, il monte sa propre structure qui porte son nom, puis investit le rez-de-chaussée d’un immeuble à deux pas de la rue Saint-Denisà La rue Saint-Denis avec ses filles en bas résille qui arpentent le bitume, c’est déjà du grand écran. On s’attend à croiser Nathalie Baye dans La Balance où Miou-Miou dans La Dérobade, l’un de ces polars à la française des années 70 où les flics conduisent des R12 avec des pulls marron en acrylique.

Comment crée-t-on au juste une affiche de cinéma ?  » En tentant de se démarquer du lot. Quand vous avez 25 films qui sortent par semaine, il faut accrocher le regard, créer une atmosphère. C’est d’autant plus vrai quand vous travaillez sur des films à petits budgets que le public n’attend pas. Pour J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit (2007), on est parti de cette image un peu biblique où Anna Mouglalis, torse nu, porte un flingue coincé dans son jeans et donne le sein à son bébé. Ce n’est pas une image extraite du film mais c’est l’esprit du film, c’est bien mieux.  »

Rageman se dit ravi de ne pas avoir exercé son métier il y a vingt ans,  » à l’époque où les affichistes se contentaient de récupérer des photos de plateau pourries pour créer l’identité des films. Aujourd’hui, on organise des shootings et on se donne les moyens « . Dans sa profession, la marge de man£uvre reste pourtant étroite…  » On ne part pas d’une feuille blanche, on répond à un cahier des charges plus ou moins détaillé comme celui de respecter la hauteur de police de caractères pour les noms des comédiens principaux qui est précisée dans leur contrat. On essaie surtout de détourner les codes trop prévisibles. Pour la comédie, on vous dira que la règle c’est le fond blanc ou alors les deux héros du film qui doivent poser dos à dos.  » Le genre de réflexe que le graphiste parisien tente de contourner à chaque commande, c’est-à-dire entre 5 à 10 fois par an. Pour Lucky Luke, il évite les aplats BD de la Ligne claire, imagine une affiche délavée comme un vieux Levi’s et renonce à la typo western, trop cliché.

Son interlocuteur est rarement le producteur, encore moins le réalisateur mais bien le distributeur en charge de diffuser le film dans les salles. Ça tombe bien, le géant UGC lui a accordé sa confiance au point de le désigner responsable line-up de ses affiches. Ce garçon qui loue l’audace des affichistes américains –  » capables de mettre en gros plan et sur 20 m2 un collier de doigts coupés  » pour le film d’épouvante Saw – s’est fait appeler Rageman depuis ses débuts. Rien de bien gore pourtant, juste le diminutif à rallonge de Régis, son vrai prénom.  » Vous n’êtes pas obligé de le mentionner, à part ma mère, il n’y a plus personne qui m’appelle comme ça.  »

Antoine Moreno

 » On ne part pas d’une feuille blanche, on répond à un cahier des charges plus ou moins détailléà On essaie surtout de détourner les codes trop prévisibles. « 

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