Française d’origine iranienne, Marjane Satrapi est devenue un auteur de BD culte en 2003 avec l’album  » Persepolis  » (L’Association). Un chiffre suffit à donner la mesure du  » phénomène Satrapi  » : en tenant compte de toutes les versions (en anglais, en arabe, etc.), les quatre volumes de cette irrésistible saga autobiographique en noir et blanc se sont déjà écoulés à 1,2 million d’exemplaires dans le monde…

Avec une lucidité teintée d’humour et de poésie, cette arrière-arrière-petite-fille d’un roi qadjar, née en 1969 sur les bords de la mer Caspienne, racontait son enfance et sa jeunesse en Iran. Une jeunesse bouleversée par les soubresauts d’un pays en proie aux bouleversements politiques et religieux. C’est donc sur fond de chute du chah, de révolution, d’instauration d’une république islamique et bientôt de guerre contre l’Irak, que le lecteur suivait le cheminement et les états d’âme d’une petite fille délurée et pleine d’esprit contrainte à l’exil en Autriche, à la solitude, au désenchantement du retour, et enfin au départ définitif, en 1994. Un aller simple vers la France qui clôt ce chapitre de sa vie en même temps que le quatrième tome de la série.

Heureusement pour nous, la géniale dessinatrice ne s’est pas endormie sur ses lauriers. Dans la foulée, on a ainsi pu savourer son délicieux  » Poulets aux prunes  » (L’Association). Aujourd’hui, elle revient avec un autre mets appétissant, concocté dans le plus grand secret avec son complice Vincent Paronnaud : l’adaptation de son best-seller au cinéma.

Ce film d’animation très attendu a été précédé par les échos du Festival de Cannes où il a soulevé l’enthousiasme (ovation de 17 minutes à l’issue de la projection et Prix du Public) et provoqué des aigreurs d’estomac chez les mollahs du régime iranien, qui n’ont que fort peu goûté d’être dépeints en bourreaux des libertés individuelles, et plus particulièrement de celles des femmes.

De l’avis unanime, les deux compères ont réussi à relever un défi qui n’était pas gagné d’avance. On se souvient des résultats plus que mitigés de la transposition à l’écran des aventures de Tintin. Marjane Strapi a eu la bonne idée de rester fidèle à l’esprit caustique autant qu’au graphisme épuré du livre. Ce qui n’a pas été une mince affaire.  » La bande dessinée et le cinéma sont des modes d’expression différents « , rappelle-t-elle. Il a donc fallu repartir de zéro. La jeune femme s’est ainsi coltiné les 600 personnages du film. Elle les a dessinés de face et de profil. A charge pour les 90 animateurs et dessinateurs du studio de peaufiner leurs expressions et leurs mouvements.

Si la magie opère, c’est aussi grâce aux voix, éclatantes de justesse. Il faut dire que le casting ne manque pas d’allure. Danielle Darrieux prête ainsi son timbre à la grand-mère, Catherine Deneuve à la mère et Chiara Mastroianni à la narratrice. Ensemble, ces comédiennes donnent vie aux protagonistes d’une odyssée où l’humour fait barrage au désespoir.

L’événement est d’autant plus important que d’autres projets prometteurs mêlant cinéma et bande dessinée sont en préparation. On songe bien sûr à l’adaptation de Tintin par les colosses hollywoodiens Steven Spielberg et Peter Jackson, mais aussi aux premiers pas dans le monde du dessin animé du  » Chat du rabbin  » (Dargaud), la série à succès du spirituel Joann Sfar.  » Persepolis  » pourrait donc bien marquer le renouveau du cinéma d’animation. Une petite révolution…

 » Persepolis « , film d’animation de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, avec les voix de Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Danielle Darrieux. Durée : 1 h 35. Sortie : 27 juin.

Laurent Raphaël

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