Lorsqu’il crée des meubles ou des objets, l’architecte et designer italien Antonio Citterio parvient toujours à extraire la quintessence des technologies et matériaux nouveaux. Une approche du design qui lui vaut d’être édité par les plus grands fabricants de meubles contemporains. Rencontre avec un créateur aussi modeste que généreux.

B&B Italia, Maxalto, Flos, Artemide, Kartell, Vitra, Boffi Cucine, Arclinea, Sawaya & Moroni… Impossible de citer toutes les marques pour lesquelles Antonio Citterio crée des meubles et des objets tant elles sont nombreuses. Pas étonnant que le magazine  » Elle Deco International  » vienne de le consacrer Designer de l’année 2004. Le credo de ce designer aux talents multiples ? Proposer des solutions innovantes pour améliorer notre quotidien. Une démarche généreuse qui plaît aux amateurs de design élégant, pratique et, surtout, intelligent. Apposer sa marque personnelle sur ses créations lui importe finalement assez peu. Il préfère, en effet, mettre l’accent sur la valeur esthétique d’un nouveau matériau. C’est selon ce leitmotiv qu’il a créé, en 1984, le système de rangement Mobil pour Kartell. D’apparence très simple, ce meuble se compose d’une armature métallique équipée de roulettes et de tiroirs. Tout le génie de sa création tenait dans l’utilisation du plastique translucide, une nouveauté à l’époque. Weekend a rencontré Antonio Citterio à Milan, dans le superbe showroom qu’il a créé pour B&B Italia û Maxalto sur la très élégante via Durini.

Weekend Le Vif/L’Express : Quelles sont les nouveautés que vous présentez à Milan cette année ?

Antonio Citterio : Cette année, j’ai, entre autres, collaboré au développement de la collection B&B Italia, un groupe résolument orienté vers le design avant-gardiste. En accord avec la direction, j’essaie de proposer une gamme cohérente afin que le consommateur puisse combiner les différents éléments qui la composent. C’est un peu le principe de l’alchimie. Etant donné que le marché évolue constamment, nous affinons nos produits pour qu’ils soient en parfaite adéquation avec les attentes du public. Les canapés, par exemple, ressemblent de plus en plus à de véritables  » paysages d’assise « . Ils sont très bas, très profonds, très larges et occupent une place au sol considérable. Il est possible de s’y allonger dans toutes les positions. Les gens aiment désormais se relaxer et n’hésitent pas à se coucher pour regarder la télévision ou écouter de la musique. On se rapproche du mode de vie des Romains… C’est cette tendance que nous avons voulu traduire dans l’évolution du canapé  » Marcel « , par exemple.

Vous venez d’être élu créateur de l’année par le magazine  » Elle Déco International « . Quelles sont vos impressions ?

Il y a deux ans j’ai été élu designer de l’année en Allemagne, l’année passée j’ai été admis au Hall of Fame des designers aux Etats-Unis… Il serait stupide de ma part d’affirmer que cela ne me fait pas plaisir et que cela ne sert à rien. C’est une consécration de la valeur de mon travail mais je n’en tire pas une fierté excessive. Cela signifie simplement que je ne travaille pas pour rien et que j’apporte quelque chose aux gens.

Cela vous aide-t-il à décrocher de nouveaux contrats ou à établir de nouveaux contacts ?

Pas vraiment. Les gens qui lisent la presse me complimentent mais cela s’arrête là…

Vous travaillez avec de nombreux matériaux comme le bois pour Maxalto, le plastique pour Kartell, etc. Quels sont ceux que vous préférez ?

Je suis aussi architecte et j’adore le béton et le verre… En fait, j’apprécie chaque matériau pour ses caractéristiques propres. La matière fait partie intégrante d’une expression. Le matériau et la couleur sont à la base du projet. Je ne pense pas un objet avant de choisir le matériau dans lequel je vais le réaliser. Tous les paramètres entrent en ligne de compte au même titre.

Si vous pouviez inventer un nouveau matériau, quelles seraient ses caractéristiques premières ?

Je préférerais inventer un nouveau processus de fabrication permettant de réaliser des objets tridimensionnels de grande taille, sans devoir assembler différents éléments. Actuellement, il est envisageable de le faire mais les coûts de production sont astronomiques

Comment caractériseriez-vous votre approche du design ?

Pour moi, le design est plus un jeu de déduction qu’un moyen d’expression. Je ne cherche pas à affirmer ma personnalité par le biais de mes créations. Il est donc beaucoup plus difficile pour moi d’expliquer le fil rouge de mes créations. Mon travail consiste à apporter des solutions à des problèmes précis.

Quand sentez-vous qu’un objet est fini et prêt à être commercialisé ?

J’essaie toujours de me dépasser. Ce n’est que lorsque je ne vois plus aucun moyen de faire évoluer ma création que je décide qu’elle est prête. Parfois le processus est assez rapide et parfois pas… Il m’arrive également d’arrêter un objet en cours de développement parce que je me rends compte qu’il ne me satisfera pas pleinement ou alors je le laisse au placard jusqu’au moment où l’inspiration me vient… J’attends aussi parfois le moment où la technique a suffisamment évolué pour que je puisse concrétiser mes envies.

Vous créez depuis plus de trente ans maintenant. Comment faites-vous pour sans cesse réinterpréter le même genre d’objets sans vous répéter ?

Je travaille énormément et puis je ne suis pas tout seul. Mon studio emploie 35 personnes… Cela permet d’échanger pas mal d’idées. Et puis, vous savez, ce que vous voyez dans les showrooms ce sont presque des antiquités pour moi (rires)…. Je planche déjà sur des meubles qui ne verront pas le jour avant deux ou trois ans. Je suis en quelque sorte en avance sur mon temps (rires) et je ne suis donc pas vraiment influencé par le travail de mes confrères.

En général, êtes-vous sensible aux modes en matière de déco et d’architecture ?

Non, au contraire. Je détesterais être à la mode. Cela voudrait dire que mon approche est strictement commerciale.

Pensez-vous que la fusion actuelle entrée mode et design est une bonne chose ? De plus en plus de ténors de la mode se piquent de faire du design….

Le design est une discipline à part entière. On ne peut pas parler de design lorsque l’on se contente de mettre un morceau d’étoffe sur canapé comme il en existe déjà cent. L’élégance et le bon goût sont une chose, la création de mobilier en est une autre. Sans vouloir être trop critique, je ne pense pas que ce genre de démarche puisse déboucher sur quelque chose d’innovant. Il ne faut pas confondre design et décoration.

Que pensez-vous du design contemporain en général ? Le trouvez-vous suffisamment innovant par rapport à la débauche créative des années 1970 par exemple ?

Vous savez, dans les années 1970, les designers ont souvent laissé libre cours à leur fantaisie créative mais au niveau de la production cela ne s’est vraiment pas ressenti. Il s’agissait principalement de prototypes. Le marché, lui, était très conventionnel. Actuellement, le design est devenu une réalité, la situation est différente. Personnellement, je préfère travailler sur des projets débouchant sur quelque chose de concret. Créer pour la beauté du geste ou pour le show ne m’enthousiasme guère. Mes créations ne sont pas pensées pour faire sensation sous les projecteurs des salons internationaux. Elles sont destinées à offrir des solutions concrètes à des problèmes particuliers. Mon credo ? Améliorer la qualité de vie au quotidien. Quand on croit au design, on croit en l’avenir et on a un esprit positif. Le design ne se limite pas à la petite part esthétique du travail. C’est malheureusement celle que retiennent les médias. Le design c’est une manière d’appréhender le monde qui nous entoure, de comprendre comment les gens vivent et de trouver les moyens de faire évoluer leur vie de manière positive. C’est un travail colossal.

Pensez-vous que les clients se rendent compte de la quantité de travail de recherche qui se cache derrière une table ou une chaise ?

Pas toujours, mais je crois que les choses vont en s’améliorant. Le design est très tendance pour le moment et la culture du design se développe chaque jour un petit peu plus. Le public y est de plus en plus sensible. Avant d’acheter un meuble, les gens réfléchissent enfin à sa légitimité.

Y a-t-il un objet que vous aimeriez particulièrement créer ? Quelque chose de tout à fait nouveau pour vous…

J’aimerais beaucoup dessiner un objet de consommation courante tel qu’un ordinateur, une télévision, une radio ou quelque chose de ce genre. Il y a des années, j’ai dessiné un ordinateur pour un groupe allemand mais j’ai l’impression que le moment est venu de renouveler l’expérience. Je travaille énormément dans le secteur du mobilier et je ne veux pas m’y cantonner.

Quels sont les défis auxquels sont confrontés les jeunes designers contemporains ?

Il y a quelques années, je trouvais que les jeunes designers ne se montraient pas particulièrement créatifs. Mais actuellement la situation évolue de manière plus que positive. Pour les créateurs de ma génération, le design faisait partie de l’architecture. Pour la nouvelle génération, le design est une discipline à part entière et il n’y a presque plus de limite à leur créativité. Cela ouvre la porte à de nouvelles approches du design.

Quels sont vos projets ?

Pour le moment je me consacre principalement à l’architecture. Je m’occupe de la construction d’une tour pour le bijoutier joaillier Bulgari à Milan. Je planche également sur un concept d’hôtel très exclusif qui verra le jour sur les hauteurs de Bodrum en Turquie. Enfin, je participe également à un concours international en vue de créer le futur bâtiment qui accueillera le Salon du meuble de Milan qui déménagera bientôt.

Serge Lvoff

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