La scène underground new-yorkaise adore son vestiaire minimaliste et grunge-chic. La presse modeuse commence à se pencher sérieusement sur son cas. A Florence, en janvier dernier, il était l’invité d’honneur du salon Pitti Uomo. Pour Adam Kimmel, 28 ans, l’heure du buzz a sonné. Weekend a tendu l’oreille…

Florence respire. La brume de janvier prend ses aises sur la Piazza dei Signori vidée de ses habituelles hordes de touristes. Un moment rare. Confidentiel. De ceux que l’on recommande à ses meilleurs amis. Et comme les choses sont parfois bien faites, c’est précisément avec un styliste encore confidentiel et que l’on recommanderait à ses meilleurs amis que nous avons rendez-vous. Il est new-yorkais. Il a 28 ans. Il s’appelle Adam Kimmel.

Avant même de le rencontrer, on devine déjà que le jeune yankee a du goût. L’adresse de son hôtel, reçue par sms, se situe hors du carré d’or florentin. A mesure que le dôme et le campanile rapetissent dans le rétroviseur du taxi, les villas Renaissance de la colline de Bellosguardo pointent le bout de leur noble nez. C’est dans une de ces somptueuses demeures ornées de fresques à putti et ceinturées de jardins tirés au cordeau, que ce diplômé en architecture de la New York University vient de poser ses bagages pour quelques jours. Le temps du Salon Pitti Uomo.

A la suite d’Hedi Slimane et autres Raf Simons, Adam Kimmel est en effet l’invité d’honneur de l’édition 2008 de ce rendez-vous incontournable des branchés du prêt-à-porter masculin. Demain soir, il donnera une grande fête fashion pour l’occasion : un dîner-installation où son look book automne-hiver 08-09 sera shooté en direct. Mais pour l’heure, il se repose. Du moins est-ce l’impression qu’il donne quand il entrouvre la lourde porte de sa chambre, l’£il mi-clos derrière les grosses montures de  » nerd  » qui lui mangent le visage. Caterpillars délacées sur un jeans usé, tee-shirt blanc aussi distendu que quelconque, barbe hirsute de six jours, Kimmel conjugue la nonchalance sans faute de goût.

Entrée en matière délicate :  » Mais je ne vous attendais pas. Lucien ( ndlr : son attaché de presse) m’a dit que vous envoyiez vos questions par e-mail. Attendez deux minutes.  » Porte au nez. Malaise passager : deux minutes plus tard, on se retrouve confortablement assis dans un petit salon capitonné et tamisé. Re-malaise : Kimmel n’est pas d’humeur à se prêter au jeu de l’interview. Mutique et évasif, il balaie d’abord les questions basiques concernant son inspiration, le sens de ses fringues :  » Mes vêtements parlent d’eux-mêmes.  » Ok, ok… Monsieur est arrogant ? Jugement hâtif. Derrière cette apparente suffisance de  » jeune-artiste-qui-se-la-joue « , on comprend vite que ce type veut juste faire les fringues qu’il aime. Sans trop de blabla. Punto basta. Exit l’entretien formel, donc. Parlons simplement, les réponses viendront aisément.

 » Après mes études d’architecture, je ne parvenais pas à trouver mon propre style, concède-t-il. Je voulais habiller mes contemporains. Je me suis alors lancé dans la mode en concevant mes propres habits. Puis ceux de mes amis.  » Nous sommes en 2002. Le métrosexuel fait figure d’icône hype et Hedi Slimane est occupé à redéfinir les règles du jeu de jambes masculin : plus fin, plus étroit, en un mot : slim. Loin des diktats des catwalks, Kimmel imagine depuis le début ses collections dans un esprit résolument roots et très masculin. Ubersexuel avant la lettre, il propose une ligne pour mecs à la virilité assumée –  » qu’ils soient hétéros ou non, je m’en fous, il n’y a aucun jugement dans mes vêtements  » : combinaisons d’ouvriers, salopettes de peintres, longues capes romantiques, jumpsuits, costards larges et conforts…

Hot potes

Son programme esthétique prend racine dans le terreau artistique new-yorkais des années 1940-1950, quand Big Apple, gonflée d’audace, regorgeait de propositions culturelles novatrices et faisait de plus en plus d’ombre aux avant-gardes européennes jusqu’alors seules maîtresses à bord. Dans cette époque marquée par les expressionnistes abstraits (Willem De Kooning, Arshile Gorky…) et les précurseurs du pop art (Robert Rauschenberg, Jasper Johns), Kimmel tente de puiser  » cette incroyable énergie créative  » et de la retraduire librement dans ses vêtements.

C’est là que ses amis entrent en jeu. Ils ont entre autres pour nom Banks Violette, Jack Pierson, Dan Colen, Ryan McGinley… Soit la nouvelle génération d’artistes américains dont la cote grimpe à la vitesse de buzz l’éclair. Preuve éclatante : Monsieur Charles Saatchi, gourou du marché de l’art contemporain, a jeté son dévolu sur plusieurs de ces  » Jeunes Turcs  » underground en les incluant dans son expo USA today. Baptisée  » Néo-Factory  » par Vogue Hommes International ou  » New New York school  » par les critiques d’art, en référence à la première Ecole de New York (celle où Kimmel puise précisément son énergie), cette bande de créateurs polymorphes (peintres, plasticiens, photographes, graffeurs, acteurs indés, DJ…) joue les mannequins pour leur ami styliste. Une véritable poule aux £ufs d’art. Un vecteur idéal pour appâter la planète mode très friande de ce genre d’arguments arty qui lui apportent supplément d’âme et crédibilité.

Adam Kimmel l’a bien compris, lui qui base toute sa communication sur des look books où l’on retrouve les petits-fils de la contre-culture shootés par Alexei Hay. Le résultat ? Une galerie de potes posant  » à l’aise Blaise  » et sans manières dans les fringues d’un autre pote. So arty.  » J’exprime la conscience de mes amis dans leur vêtement. C’est eux qui m’inspirent les coupes, les formes, l’allure générale, explique Kimmel. Ma volonté est de les habiller sans corrompre leur personnalité. Mes vêtements doivent s’adapter à leur style de vie, être très confortables et très portables. Mes pièces sont conçues pour s’effacer devant le caractère des gens qui les portent, pas le contraire. « 

Dans le dressing de l’Américain, on détecte en effet des accointances avec la sensibilité minimaliste et no logo d’un Martin Margiela ou d’un Yohji Yamamoto. Le nom de Kimmel n’apparaît d’ailleurs sous aucune couture. Seule un astérisque discrètement cousu à l’intérieur de ses vêtements dévoile l’identité de son auteur. Foin du décoratif et du bling-bling. Minimalisme formel et concept arty. Recette éprouvée non ? Recette gagnante quand ses pièces a priori  » dressed down  » et grungy se voient twistées dans des matières aussi luxueuses que le cachemire ou la peau de chamois…

Concept prêt-à-porter

Le styliste le répète :  » J’adore ces contrastes.  » Il n’est pas le seul. Aujourd’hui, on trouve du Kimmel dans les hotspots les plus pointus de la planète mode : chez Bergdorf Goodman et Jeffrey à New York, dans les Corso Como milanais et tokyoïtes, au Dover Street Market à Londres et chez Colette à Paris. Sésame pour infiltrer les cercles branchés, Colette suit Adam Kimmel depuis ses débuts, quand il a débarqué au célèbre concept-store parisien sans le sou avec quelques fringues à présenter. Le rêve américain à Paris en quelque sorte.

Une semaine après le dîner-installation que le Salon Pitti a consacré au créateur dans les salles titanesques de l’Istituto d’Arte de la Porta Romana, c’est précisément à Paris que l’on retrouve Kimmel. Dans un immeuble du Marais, au troisième étage d’une galerie d’art, il présente sa nouvelle collection d’hiver. Plus affable, Kimmel nous guide à travers sa nouvelle ligne, influencée cette fois par Semina Culture, un groupe d’artistes libertaires qui sévit en Californie entre 1955 et 1964.

 » Tout comme mes amis, ces gens avaient une approche très personnelle de leur travail tout en vivant en communauté. Ils étaient très en avance sur les m£urs de leur époque : qu’ils soient gays, lesbiennes ou hétéros, le jugement n’avait aucune place dans leur mode de vie. Ils n’éprouvaient du respect que pour la créativité. La mode est un système de valeurs, de codes. Ce sont ces valeurs là que je veux inoculer dans mes vêtements.  » Y a-t-il comme l’écrivait récemment Le Figaro,  » surtout du concept à revendre dans la mode de Kimmel  » ? Il y en a. Assurément. Mais contrairement à d’autres, chez lui le concept se porte relax et ne corsette pas la silhouette dans des idées étroites.

Baudouin Galler

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