Fumer provoque, paraît-il, l’impuissance. Mais cet acte décrié peut aussi déclencher l’étincelle d’une passion brûlante. Grâce au  » smirting « , le flirt 100 % tabac !

« Alors, heureuse ?  » Surannée, la formule prête inévitablement à sourire. Car elle plante immédiatement un décor cinématographique à l’ancienne : un couple dans un lit après l’amour ; l’homme tirant sur une cigarette et osant, éminemment sûr de lui, cette question ô combien existentielle. Ça, c’était au siècle passé. Avant que la cigarette ne soit maudite, contredite, proscrite. A l’époque, elle terminait symboliquement l’acte d’amour. Aujourd’hui, la clope aurait plutôt tendance à le précéder. Jouez briquets, résonnez allumettes, le smirting est en effet à la mode ! Le smirt-quoi ? Le smirting : mot-valise anglophone qui mélange habilement les termes  » smoking  » (qui fume) et  » flirting  » (qui drague). En français, cela pourrait ressembler à un néologisme du genre  » flirtmer  » ou  » fumaguer « . Bon, d’accord, c’est moins fort, mais on ne sait jamais : le terme smirting existe bien désormais dans la grande encyclopédie virtuelle www.wikipedia.org, alors pourquoi pas un équivalent francophone, après tout ? D’autant plus que cette nouvelle tendance sociologique concerne également des pays où se parle la langue de Molière comme la France, le Canada ou la Belgique.

En clair, le smirting consiste à tirer parti des récentes interdictions de fumer dans les lieux publics et les entreprises pour faire des rencontres amicales. Et plus si affinités. Car la législation actuelle a créé, malgré elle, de nouveaux espaces de convivialité. Désormais, on grille sa clope sur le trottoir ou dans des espaces fumeurs clairement identifiés comme tels et on se surprend à faire connaissance, le plus naturellement du monde, avec des collègues dont on ignorait même l’existence. On aspire, on s’observe, on discute, on sympathise. Mieux, le classique  » Vous n’auriez pas du feu ?  » (jadis utilisé en boîte de nuit pour briser la glace) n’a absolument plus rien de ringard aux yeux de la communauté fumante : il est le mot de passe d’une secte bannie de l’entreprise, le ciment d’un groupe étiqueté nocif, le cri de ralliement d’une espèce en voie de disparition. Avec le smirting, on tire parti d’une interdiction pour se serrer les coudes entre fumeurs stigmatisés et on positive la discrimination en osant discrètement le jeu de la séduction dans un nuage de fumée. Bref, on allume, dans tous les sens du terme.

Plus fort que le  » speed dating  » qui consiste à rencontrer artificiellement un maximum de partenaires potentiels en un minimum de temps ( lire Weekend Le Vif/L’Express du 7 décembre 2001), le smirting est donc devenu une nouvelle forme de drague naturelle et innocente, placée sous le signe (défendu) de la cigarette. Le constat est clair : là où il faut parfois des heures avant d’entamer une conversation (comprenez les bars et les boîtes de nuit), le smirting accélère le mouvement en deux temps trois bouffées. Efficace. A l’heure où la non-dépendance au tabac est parfois inscrite dans les critères d’embauche, les fumeurs semblent donc avoir trouvé, avec cette nouvelle mode de la  » cigarette sociale « , une espèce de revanche bon enfant. Ils marquent leur territoire, s’unissent et se séduisent, soulignant à leur manière une autre tendance lourde de notre société : l’appartenance à une tribu qui justifie, à elle seule, des comportements spécifiques.

Mais ne nous leurrons pas. Fumer tue, fumer est nocif, fumer est beurk. Il n’empêche. On n’inscrirait pas une fois, une seule fois sur les paquets de cigarettes,  » Ils grillèrent une clope et eurent beaucoup d’enfants « , pour voir ?

Frédéric Brébant

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