Ce fameux cocktail espagnol, c’est la movida à savourer au quotidien. Sucré ou salé, toujours vitaminé, coloré et fort en goût, il se prête à toutes les fantaisies gourmandes.
Le très sérieux Larousse gastronomique édition 2007 le présente comme un » potage espagnol à base de concombre, de tomate, d’oignons, de poivron et de mie de pain relevé d’huile d’olive et d’ail, que l’on mange froid « . Un peu court, il est vrai. Pour en savoir plus, il faut s’adresser à AlbertoHerraiz, le chef étoilé d’El Fogon, à Paris. Primo, le fameux gaspacho n’a pas toujours été de tomates. » Ce n’est qu’avec le fameux fruit rapporté du Nouveau Monde au XVIe siècle que le gaspacho de Séville se teinte de rouge. Avant, ce n’était qu’un plat du pauvre qui consistait à recycler le pain sec de la veille pour le malaxer au mortier avec du vinaigre, des fruits secs et de l’ailà » Deusio, ce n’est pas tant un potage » que l’on mange froid » qu’un potage qui n’est pas cuit. Tertio, un ingrédient essentiel manque à la définition du dictionnaire : le vinaigre. De Xérès, cela va de soià
Merci pour ces précisions, Alberto. Et si l’on veut la jouer andalou jusqu’au bout, comment doit-on s’y prendre ? La réponse donne envie de s’y mettre illico : » C’est un jeu d’enfant. Pour un grand gaspacho familial de 3 litres, vous prenez 1 kg de tomates, un petit concombre, un oignon, un poivron vert, une gousse d’ail, vous coupez tous les légumes en gros morceaux, et vous les mettez dans un récipient hermétique avec de l’huile d’olive, deux tranches de pain un peu rassis imbibées de vinaigre, du sel et du poivre. Vous fermez le récipient, et vous le placez au frigo pour une nuit. Le lendemain, vous versez le tout dans le bol d’un robot, vous mixez avec de l’huile d’olive et 1 litre d’eau, puis vous filtrez et vous servez aussitôt. «
Cette bouillie à l’étymologie peu ragoûtante – son nom vient de casposo, qui signifie littéralement » plein de pellicules, de petits résidus » n’est finalement rien d’autre qu’une salade liquide intégrant son propre assaisonnement àbase d’huile et de vinaigre. Du pain bénit en ces temps crudivores, végétariens et diététiques. D’où le succès, depuis quelques années, des gaspachos au rayon frais des grandes surfaces, occupant un segment très prometteur, à mi-chemin entre le jus de légumes, la soupe froide et le smoothie.
A épingler : le Gazpacho Alvalle (avec un » z « , comme outre-Pyrénées), marque originaire de Murcia, en Espagne, et propriété de la multinationale Tropicana. Sans additifs, colorants ni conservateurs, parée d’une jolie couleur rouge orangé et d’une texture ni trop lisse, ni trop grumeleuseà Pas étonnant qu’il déclenche les réactions amourachées d’aficionados sur les forums de consommateurs. » Santé, plaisir et praticité, le gaspacho encapsule toutes les tendances de demainà « , résume Marie Nguyen-Grimaldi, directrice de la division boissons du groupe Pepsico (qui détient Tropicana et Alvalle). Et de nous servir aussi sec son refrain anticrise : » Pour un dîner économe, c’est une entrée bon marché à customiser avec des herbes fraîches, des tomates cerises, des croûtons aillés, enfin, ce que vous voulezà «
Loin d’être cantonné au prêt-à-manger, ce vieux brouet paysan a été anobli par les grands chefs. C’est Ferran Adrià, le célèbre cuisinier catalan, qui a ouvert les festivités dans les années 1980, en versant à la table de son restaurant elBulli un ébouriffant gaspacho au homard. Son frère Albert, pâtissier dans son restaurant, a surenchéri dans le sucré, avec une soupe chocolat au vinaigre flanquée d’une tartine de pain grillé au chocolat et à l’huile d’olive. » C’est en partie autour de ce classique que s’est bâtie la nouvelle cuisine espagnole des années 1990, car c’est une technique plus qu’une recette. Avec le pain pour épaissir, le vinaigre pour acidifier et l’huile d’olive pour émulsionner, vous pouvez décliner toutes les variations et exprimer votre créativité « , explique Alberto Herraiz, qui ne s’est pas privé pour mouliner le genre. Un recordman, même. Deux livres et 130 recettes classiques et contemporaines, légumières ou fruitières, crues ou cuites. La dernière fois, dans le salon feutré de son restaurant El Fogon, on a eu le droit à un fulminant velouté avocat café, chair de tourteau, émulsionné à l’huile de café. Dans quelques semaines, sûrement, il y a aura le melon-jambon jabugo. Le gaspacho n’a pas fini de faire son show.
Carnet d’adresses en page 72.
Réalisation des recettes : Sophie Brissaud.Photos : Pierre-Louis Viel
Remerciements : Camille Clance des Galeries Lafayette, à Paris ; le magasin Pauline, à Rouen ; Arlette Loquin ; Julien Tort. Recettes extraites du Gaspacho. Dix façons de le préparer, par Alberto Herraiz, L’Epure (2009). A lire aussi : Toute l’année gaspacho, par Alberto Herraiz, Editions Alain Ducasse (2006).
François-Régis Gaudry
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