Aux commandes de la mode Femme de Dior depuis 2012, le couturier belge présentait en décembre dernier, à Tokyo, sa pré-collection automne-hiver 15-16, sans doute l’un de ses exercices les plus personnels. Sorte de trait d’union naturel entre l’héritage de la maison et sa conception, radicale, de la modernité.

Christian Dior a façonné une mode très en avance sur son temps. Comment vous êtes-vous approprié cet ADN ?

Cela s’est fait de façon très naturelle. Après huit années passées chez Jil Sander, j’avais le sentiment d’être un peu enfermé dans un minimalisme très nord-européen dont je commençais à percevoir les limites. Je me suis alors demandé ce que je voulais faire. Je n’avais pas envie de rejoindre une autre marque de niche, mais plutôt de me confronter à un autre univers, de rejoindre une maison avec un langage universel ; perçue, comprise et aimée par des femmes du monde entier. Loin d’être une limitation, l’ADN de Dior a constitué un véritable challenge, dans la mesure où l’association entre nos deux mondes pouvait se révéler très fertile. De plus, durant mes années Jil Sander, j’avais largement exploré la mode des années 40 à 60, et j’ai toujours adoré ce que Christian Dior avait créé à cette époque. C’était un constructeur de vêtements, au sens architectural du terme, ce qui me touche particulièrement puisque j’ai suivi une formation de designer industriel. J’ai compris aussi qu’il ne voulait pas que ses modèles soient seulement beaux à regarder, mais qu’ils répondent avant tout au désir des femmes. C’est là que réside le vrai défi : lui succéder en créant des collections qu’on ait vraiment envie de porter, en connectant à nouveau la marque au monde contemporain.

Christian Dior évoquait le plaisir des femmes à porter un vêtement exceptionnel. Qu’attendent-elles de la mode aujourd’hui ?

Cette dernière collection répond en partie à cette question. Les femmes qui aiment cette griffe ne vivent pas que des moments exceptionnels. Leur existence n’est pas seulement faite de dîners et de cocktails. Elles traversent aussi Paris en scooter, promènent leur chien, vont chercher les enfants à l’école. Il leur faut des tenues appropriées à ces occasions. Ce vestiaire parle de réalité. Et je pense qu’il se situe dans le droit fil de la philosophie de Christian Dior qui a imaginé de nombreux vêtements de jour, même si son côté révolutionnaire s’est plutôt exprimé dans un usage du luxe, ce qui n’était pas forcément facile à revendiquer dans l’après-guerre. Nous n’avons plus à composer avec cet aspect. Le véritable enjeu de la mode est désormais de réussir l’adéquation entre le vêtement et la vie. Je suis heureux quand une femme me parle de son plaisir, quotidien, de s’habiller avec mes créations. Et peu importe qui elle est, une femme ordinaire ou une princesse. L’impact émotionnel reste le même.

Comment est née cette collection ?

Je voulais ajouter quelque chose au vestiaire Dior tout en respectant l’héritage de la maison. J’ai donc choisi la veste Bar, sa forme la plus emblématique. Elle traverse l’ensemble du défilé, mais elle est totalement recomposée. Les modèles sont conçus pour autoriser une vie différente, une autre façon d’être. Cela part donc de la fonction et d’une juxtaposition de matières du soir (paillettes et broderies) et de tissus traditionnels (cotons enduits, lainages anglais…). Les paillettes sont utilisées sur des tenues fonctionnelles ; placées sur des cols roulés, les manches d’un manteau militaire. Je voulais restituer le climat de Metropolis, de Blade Runner, l’esthétique de ces métropoles où se retrouve un grand nombre de gens, creuset de tous les styles et de toutes les cultures. C’est également l’hybridation d’éléments historiques de la silhouette Dior et d’un esprit plus futuriste.

Vous avez choisi de faire cette présentation au Japon. Pourquoi ?

Nous avons voulu soutenir le marché local, mais Tokyo était aussi un environnement parfait pour présenter une ligne très urbaine. C’est une ville qui exprime, dans la rue, son désir de liberté à travers la mode. Les Japonais portent dans leur culture un véritable amour du vêtement. D’ailleurs, nous avons également conçu une grande exposition rétrospective de la maison qui rappelle notamment la passion de Christian Dior pour cette nation. Dans le contexte de la mode, ce pays est très inspirant car il possède ses propres talents, mais cela ne l’empêche pas de regarder ailleurs, vers Paris, par exemple…

Quelle est la place de Paris sur l’échiquier de la mode ? Est-elle toujours sa capitale ?

Cela reste évidemment la place forte. Elle n’est plus la seule, mais elle demeure très spécifique et très créative. Ce qui est sûr, c’est que les designers étrangers continuent de vouloir défiler en France. Paris est très soucieuse de conserver ce leadership et fait un excellent travail pour cela en accueillant les créateurs étrangers, qu’ils soient indépendants ou attachés à une maison. C’est une position très intelligente. La France aime et sait repérer les talents émergents. La génération des designers belges il y a quarante ans et demain, peut-être, une dizaine de formidables talents africains. Qui, tous, voudront défiler à Paris….

PAR LYDIA BACRIE

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