Le chef étoilé le plus haut perché d’Europe puise dans sa Savoie natale le ferment d’une gastronomie pure et naturelle. Petite leçon de cuisine montagnarde.

« La cuisine fait connaître le paysage. Le paysage sert à comprendre la cuisine « , écrivait Jean Giono, l’écrivain de Colline. Des Alpes-de-Haute-Provence à la Savoie, plus au nord, cet adage topo-culinaire ne perd rien de sa vérité. Il n’est que de feuilleter le dernier livre de Jean Sulpice (*), chef du restaurant l’Oxalys – rebaptisé de son nom il y a peu -, à Val Thorens, 2300 mètres d’altitude (lire aussi Le Vif Weekend du 1er novembre 2013). Plus qu’un recueil de recettes, c’est un album de vie où la nourriture a du relief et le relief, une force nourricière. Le sérac de chèvre au citron confit et à la fleur de ciboulette fait écho au glacier de Péclet dans le massif de la Vanoise. La pomme meringuée au parfum d’Antésite frappe comme la boule de neige des enfants sur le chemin de l’école. La féra aux morilles et jeunes pousses ressemble aux berges d’un lac de montagne. Randonneur de ses assiettes et dégustateur de paysages, le Savoyard de 35 ans ne prend pas la pose pour creuser le sillon de cette cuisine naturaliste défrichée par Alain Passard, chef de l’Arpège, à Paris, et par les toques nordiques, à l’instar du Danois René Redzepi. Il est authentiquement habité par son environnement : une jeunesse buissonnière dans le hameau alpin de Barbizet, à creuser des cabanes dans les foins et chaparder des carottes dans le potager du voisin. Puis un apprentissage libératoire chez Marc Veyrat, chef 3-étoiles de la Ferme de mon père, à Megève, où il apprend à marier l’écrevisse et la menthe des ruisseaux, à accorder la livèche et le beaufort, à préparer des potions buissonnières, à manier l’acidité citronnée de cette oseille sauvage qui inspira le nom et l’emblème de sa table d’altitude : l’oxalis.  » A force de vivre dans ce paysage de neige, de roche et de sapins, ma cuisine a gagné en simplicité, s’est recentrée sur mes montagnes « , observe le chef installé dans le domaine des Trois Vallées. S’il utilise le safran avec ses carottes ou dans ses desserts, c’est parce qu’il a mis la main sur des pistils sauvages ramassés en altitude et séchés par des gens du pays. Le velouté de châtaigne ? Un plat signature rehaussé de miettes de pain et de bris de truffe, mi-paysan, mi-aristo. Le jaune d’oeuf cerné d’oxalis, de menthe, de pimprenelle et de mouron des oiseaux ? Le souvenir d’un plat préparé par sa maman et de ce petit rituel sacré qui consistait à crever le jaune en l’effleurant avec le pain… Rustique et déliée, à la fois réfléchie et instinctive, la cuisine de Jean Sulpice attire des gourmets de tous horizons, pourvu que les éléments ne leur barrent pas la route.  » Il m’arrive encore de devoir annuler 40 couverts réservés à cause d’une tempête de neige qui bloque l’accès à Val Thorens. Je ne suis jamais à l’abri du zéro couvert…  » Contre vents et névés, l’ermite des casseroles n’a jamais baissé les bras. Raison de plus pour tenter l’expédition…

(*) D’un hiver à l’autre, par Jean Sulpice, Glénat, 225 pages.

PAR FRANÇOIS-RÉGIS GAUDRY

Un album de vie où la nourriture a du relief et le relief, une force nourricière.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content