A 31 ans, Cécile de France est déjà une star du cinéma. Ce qui ne l’empêche pas d’accepter des projets plus risqués, comme ce  » thriller labyrinthique  » des frères Malandrin. Récit d’une journée de tournage ordinaire.

 » Désolé, mais Cécile ne donnera pas d’interview. Les journées de tournage sont très longues et elle veut restée concentrée sur son rôle.  » Zut ! Se retrouver sur un plateau de cinéma avec Cécile de France et ne pas pouvoir lui parler, c’est un peu comme entamer l’ascension du mont Blanc et être contraint de s’arrêter à 100 mètres du sommet… On pourrait toutefois être tenté de forcer le passage, de profiter d’un temps mort pour lancer l’une des innombrables questions qui nous brûlent les lèvres, mais à voir le regard rasant de la comédienne entre les prises, on risquerait fort de le regretter. Las, on se contentera donc de contempler le paysage. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance d’assister à la gestation d’un film. Qui plus est dans un lieu aussi inattendu que la basilique de Koekelberg à Bruxelles.

C’est en effet ici, dans ce vaisseau de pierre aux entrailles lugubres, que les frères Malandrin ( » Ça m’est égal si demain n’arrive pas « , 2006) ont choisi de situer quelques scènes de leur nouveau film,  » Où est la main de l’homme sans tête ?  » Un  » thriller labyrinthique  » nous expliquera un peu plus tard le duo français, installé en Belgique depuis des lustres. Cécile de France y campe une plongeuse de haut vol, Eva, habituée aux podiums internationaux (ce qui a d’ailleurs valu à l’actrice namuroise six mois d’entraînement physique intensif). Un jour, une mauvaise chute la plonge dans le coma. A son réveil, elle va se lancer sur les traces de son frère et du chaton qu’elle lui avait confié avant l’incident, tous deux étrangement introuvables.

 » Moteur !  »

Du suspense, des couleurs sombres qui rappellent Constant Permeke, un parfum de surréalisme… Pas de doute, on est bien en territoire cinématographique belge. Ce que revendiquent d’ailleurs nos deux exilés, qui savent très bien qu’ils n’auraient jamais pu monter un projet aussi décalé en France, où les télévisions, acteurs essentiels du financement des films,  » exigent des scénarios lisses et propres « .

Pour l’heure, fi des politiques culturelles. Le tandem s’apprête à tourner un plan du début du film, quand Eva se souvient de sa dernière visite à son frère, interprété par le truculent Bouli Lanners ( » Bunker Paradise « , 2005). Artiste, celui-ci expose ses £uvres dans la basilique. Pas de course-poursuite au programme, ni d’explosion apocalyptique de l’édifice. On ne tourne pas un James Bond. Le décor de la scène se résume à un escalier et une passerelle du transept.

Lorsque nous arrivons, une bonne dizaine de personnes s’affairent en silence dans les parages. Au début, on se demande un peu qui fait quoi. Mais très vite cependant, on finit par décoder le sens de ce ballet bien orchestré. Un des deux réalisateurs s’entretient avec son chef opérateur, l’ingénieur du son peaufine ses réglages sur sa console, et dans un coin, l’£il rivé sur un petit écran, la monteuse vérifie les scènes déjà en boîte.

Chemin de croix

Et les acteurs ? Ils taillent une bavette un peu à l’écart. Cécile de France, cheveux bruns coupés court et tenue de garçon manqué sur le dos, se déride aux vannes du boute-en-train Bouli Lanners. Les techniciens vont et viennent sans prêter attention à celle qui enchaîne les films au pas de charge (six en tout, rien qu’en 2006 !) Seule la maquilleuse la scrute comme un prédateur surveillerait sa proie, dégainant subitement un pinceau pour une retouche express.

A les voir ainsi tuer le temps entre chaque prise, on se dit que la patience est l’une des vertus cardinales du métier d’acteur. Cinq, six fois Cécile de France gravira les quelques marches la menant à l’étage, embrassera son  » frère  » qui l’attend, avant de s’engouffrer avec lui par une petite porte.  » Coupez !  » Des heures de préparatifs pour ces quelques secondes de pellicule… Mais au bout du compte, une pièce de plus de l’énorme puzzle que représente un film.

Le temps est une donnée essentielle dans le cinéma. Temps suspendu quand la même scène est répétée inlassablement. Et temps liquide quand il faut respecter les cadences infernales de la feuille de route du tournage. Ce qui peut paraître absurde quand on pense que l’idée de ce long-métrage remonte à… 1998. Pour boucler le financement, il aura donc fallu près de dix ans… Et le parcours du combattant n’est pas terminé. Après le tournage commencera le travail de postproduction. Six mois au bas mot. Avec un peu de chance, le film sera prêt en septembre prochain. Le scénario idéal pour la maison de production, Le Parti, qui pourrait ainsi espérer le présenter dans les festivals, notamment celui de Venise.

Une promesse est une promesse

Comparé aux productions des voisins hexagonaux,  » Où est la main de l’homme sans tête ?  » est évidemment un film à petit budget. Comment les réalisateurs ont-ils fait pour  » décrocher  » ainsi l’une des actrices féminines les plus convoitées du cinéma français ?  » On l’avait contactée au moment de la sortie de  » L’Auberge espagnole  » en 2002, raconte Stéphane Malandrin. Elle avait été emballée par le scénario et nous avait donné son accord pour jouer dans le film. Entre-temps, elle a gravi tous les échelons mais elle a tenu sa promesse.  » Quel sentiment retirez-vous du fait de diriger une fille de la trempe de Cécile de France ?  » On a l’impression de conduire une Rolls-Royce « , embraie son frangin. Tout est dit.

13 heures bien tassées. La dernière prise est la bonne. Les réalisateurs libèrent leurs ouailles. Tout le petit monde se retrouve quelques minutes plus tard dans un local qui fait office à la fois de cantine et de vestiaire. L’ambiance est décontractée, presque familiale. Pas de passe-droit pour les premiers rôles. Cécile de France partage ce quotidien sommaire depuis un mois. On est loin, très loin du glamour de Cannes. Son statut de star lui octroie juste une loge, en réalité une pièce exiguë où elle peut s’isoler de temps à autre. Mais pour le reste, elle est logée à la même enseigne que tout le monde.

A peine le temps d’avaler la solide tambouille du cuistot et tout l’équipage remonte sur le pont. Il faut tout réinstaller pour la scène suivante. Au bout du chemin il y aura peut-être des paillettes, du champagne, des honneurs, mais bon Dieu que la route est longue…

Laurent Raphaël

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