Soudain, ce fut le big bang. La révolution. Avant, la haute couture inventait et le prêt-à-porter – à l’époque, on disait la confection – recopiait, alimentant les magasins de nouveautés d’abord, les grands bazars par la suite, à terme tout le monde. Un schéma simple, transposable à d’autres domaines, dans lequel l’innovation émanait des riches puis infusait par mimétisme, descendant un à un les échelons de la pyramide sociale. Ça, c’était avant Yves Saint Laurent, et surtout, avant sa haute couture automne-hiver 71-72. Mixant les codes vestimentaires des années 40 aux tendances émergentes – semelles compensées, épaules carrées, turbans et manches bouffantes – la collection choque, et est même présentée par une presse fielleuse comme  » la plus laide de Paris « . Ce qui fait scandale, alors, n’est pas tant que la mode  » enfin, descend dans la rue « , comme l’analysera le créateur, mais que la rue s’invite sans prévenir dans les salons cossus d’une maison de couture. Car cette fois, l’inspiration est  » plébéienne « , écrit Marie-Dominique Lelièvre.  » Des tendances déjà existantes s’imposent à l’ensemble de la société, y compris aux élites.  » ( 1) Ce jour de janvier 1971, à la fin du défilé YSL, la classe dominante a perdu un de ses privilèges. Et Saint Laurent gagné ses lettres de noblesse : son instinct infaillible pour deviner ce qui allait plaire fera de lui le prince de la mode.

Désormais, les frontières sont abolies et un nouvel ordre des choses, irréversible, s’installe : en changeant de statut, la haute couture doit aussi se trouver d’autres sources de revenus, à tel point qu’une griffe ne peut aujourd’hui que très difficilement survivre sans l’apport financier du prêt-à-porter, lui-même largement nourri par les licences et les parfums. Mademoiselle, avec son N°5 caracolant toujours en tête des ventes nonante ans après son lancement, l’avait-elle déjà pressenti ?

Au final peu importe ce qu’elle aurait pensé de voir Karl Lagerfeld dessiner à la fois la haute couture et le prêt-à-porter Chanel tout en proposant, dès 2004 et en pionnier, une première collection capsule pour le géant suédois de la distribution. Coco ou quidam, la mode que l’on aime, sur les podiums comme dans la rue, c’est celle qui tient le haut du pavé. Et l’automne-hiver 11-12, flirtant avec le classicisme bon teint sans renoncer à son impertinence gavroche, n’y fait pas exception.

(1) Saint Laurent, mauvais garçon, par Marie-Dominique Lelièvre, éditions J’ai lu, 2011.

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DELPHINE KINDERMANS RÉDACTRICE EN CHEF

LA RUE S’INVITE SANS PRÉVENIR DANS LES SALONS COSSUS D’UNE MAISON DE COUTURE.

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