Le jardin des délices
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches… Dans cette propriété de la Haute-Ardenne, qui s’enorgueillit aussi de murets en lame de schiste à crête dressée, on cultive tous les plaisirs du jardin En cédant aussi à ceux de la gourmandise.
Carnet d’adresses en page 98.
« Comme bien d’autres amateurs, sans doute, j’ai commencé à créer mon jardin toute seule, confie la maîtresse des lieux. J’aime les plantes, et tout particulièrement les rosiers anglais de David Austin. Je possédais aussi des dizaines et des dizaines d’espèces différentes de vivaces. Et puis, je peux l’avouer aujourd’hui, quand j’ai découvert la maison, j’ai craqué pour le lilas qui était en fleurs dans la cour… » Animés par l’envie de s’installer dans un de ces hameaux tranquilles de la Haute-Ardenne, au fil de leurs recherches, son mari et elle ont été séduits par ce bâtiment haut et monolithique : une ancienne ferme en ruine. En guise de jardin ? Une petite parcelle, bordée sur deux côtés par un mur en pierres de schiste, lui aussi fortement ébranlé par les années. Mais, ici aussi, le charme opère…
Jouxtant la partie à gauche de la maison, le terrain est fortement en pente ; sur quelques dizaines de mètres de largeur, la déclivité atteint aisément un mètre de hauteur. » J’ai essayé d’aménager un talus et de le planter, poursuit notre interlocutrice. Mais sans résultats probants. J’ai alors fait appel à Serge Delsemme. Et la première chose qu’il m’a apprise c’est qu’il fallait travailler avec des masses et non pas juxtaposer un exemplaire ou deux de chaque plante. »
Bien trop méconnu, Serge Delsemme est pourtant le paysagiste émérite de la scène liégeoise. Passionné par les jardins et leur histoire, il est à la base, avec l’historienne Nathalie de Harlez de Deulin, de l’inventaire des parcs et jardins de Wallonie, une somme qui représentera, au terme de sa publication intégrale, quelque neuf volumes du plus haut intérêt. » Ce que j’ai apprécié dans la collaboration avec Serge Delsemme, note la propriétaire, c’est aussi sa connaissance et sa curiosité pour les plantes. Une de nos dernières interventions fut de créer une haie de clôture, au fond de la parcelle. Nous voulions explorer la thématique des parfums et nous profitons depuis des délicieuses senteurs d’ Os-manthus x burkwoodii, de Lonicera fragrantissima, de Viburnum x juddii et bien d’autres… »
Avec le rachat d’une terre agricole située dans le prolongement de la parcelle originelle, le paysagiste dispose d’une longue bande de terrain d’un hectare. Il va y expérimenter tout son talent de plusieurs manières, tout en privilégiant le maintien des perspectives originelles. » Nous avons consulté avant lui plusieurs de ses confrères, se souvient la propriétaire. Mais tout ce qu’on a pu nous proposer ce sont des broderies à la française. Or, la piscine mise à part, nous tenions à respecter la nature, la tradition locale. En plus, nous souhaitions ramener de nos escapades au jardin des paniers de fruits, pour les consommer de suite ou pour en faire des confitures. »
A proximité de la maison, des cloisonnements se succèdent : végétaux (les haies) et minéraux (les murs). » J’ai tenu compte de ce qui existait et j’ai prolongé le mouvement, explique Serge Delsemme. La propriétaire connaissait Jean-Paul Gaspard, un artisan local qui maîtrise à la perfection la construction en pierre en pose à sec. Il a construit ces murets en lame de schiste à crête dressée. Je les ai utilisés pour délimiter des espaces clos et pour créer des différences de niveau, en intégrant même de petits escaliers dans leur corps. Ici et là, ils apparaissent davantage de manière décorative, symbolique. »
Le paysagiste a véritablement » organisé » la pente naturelle du terrain, en créant trois niveaux différents à la gauche de la maison. C’est là que se trouvent le jardin de rosiers arbustifs et les deux allées de poiriers et pommiers soigneusement palissés, bordées par un coussin de lavandes. A proximité immédiate de l’habitation sont dessinés des carrés d’herbes potagères. A l’arrière, après la pelouse, commence un premier parterre. Au printemps, il est peuplé de jonquilles. Ensuite, il est, entre autres, couvert par un tapis d’Epimedium. A sa gauche, on discerne un groupe d’arbres palissés eux aussi : des érables champêtres que l’on conduit sur haute tige, comme on le ferait avec des tilleuls. Les palisser en hauteur permet de révéler la beauté du mur qu’une simple haie occulterait.
Au même niveau que ce premier parterre, en contrebas et ceint d’une clôture en piquets de châtaigner, se déploie le jardin de vivaces, essentiellement composé des teintes bleues et blanches. Pêle-mêle, on y trouve des Perovskia, beaucoup de sauges, des Delphinium, Gaura, mais aussi Baptisia australis, Verbena bonariensis, Linum perenne, Sanguisorba officinalis. Plus on s’approche du fond de la parcelle, plus la structure s’allège. C’est chemin faisant qu’on croise la piscine, bien abritée par un jeu de murs. Depuis la terrasse de la maison, seule une percée permet de distinguer le plancher en teck qui la borde.
» Ce qui nous importe, embraie la propriétaire, c’est de limiter l’emprise de la piscine sur notre environnement, que nous voulons le plus campagnard possible. L’autre raison de ces murets est que nous aimons aussi voir sans être aperçu. A côté de la piscine, il y a ainsi un jardin clos où j’aime aller lire. Dans les zones d’ombre, nous avons planté des Hosta, ma plante préférée. Serge Delsemme a tiré parti du mur le plus exposé pour y placer des pêchers palissés. »
L’ingéniosité du paysagiste n’a pas manqué pour favoriser la récolte des myrtilles. Dans le prolongement de la piscine, dans la partie la plus haute de la parcelle donc, il a conçu deux plates-bandes de terre surélevées selon le principe des plessis, ces tressages de branches souvent réalisés en saule ou en noisetier, héritage des jardins du Moyen Age. » Pour répondre aux exigences de sol du myrtillier américain (Vaccinium corymbosum), précise Serge Delsemme, nous les avons remplies de terre de bruyère. En tout j’ai sélectionné une quinzaine de cultivars différents, des plus hâtifs aux plus tardifs, ce qui permet d’allonger la saison de récolte. » Parler de saison dans ce paysage rural de la Haute-Ardenne prend tout son sens lorsque l’on sait que la végétation a, en moyenne, trois semaines de retard sur celle de Liège, par exemple. » Mais ce n’est pas très grave, tempère la propriétaire. Lorsque le temps se réchauffe, tout s’ouvre beaucoup plus vite et ni les plantes décoratives ni les récoltes de fruits ne sont affectées. » Nous sommes entourés de grands hêtres. Je me garde bien de ramasser les tapis de feuilles qu’ils laissent tomber en automne, ils servent de mulch (couverture organique) protecteur pour beaucoup de nos plantes. »
De fruits, il en est à nouveau question dans la partie arrière du jardin. Il y a tout d’abord ce verger de hautes tiges en formation dans la prairie naturelle, de l’herbe qu’on laisse pousser jusqu’au début de l’été, de manière à profiter de la floraison des fleurs sauvages. Mais la gourmandise encourage les plus paresseux à gagner l’extrémité de la parcelle, là où sont plantées deux lignes bien dodues de fraisiers sauvages qui débordent de fruits. Elles sont doublées de lignes de groseilliers. Mais la manne qui enthousiasme le plus toute la famille, c’est celle prodiguée par la rangée de framboisiers savamment sélectionnés par le paysagiste. » Le jardin n’a guère plus de deux ans, conclut la propriétaire. Mais pour toute la famille, ce n’est que du bonheur. »
Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel
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