Sans hésiter, on l’a adoubé  » créateur de l’année « . Parce qu’Anthony Vaccarello a fait défiler une collection printemps-été 2012 sidérante de modernité et de coolitude sexy. Et parce qu’il a du charme à revendre, de l’or dans les doigts, jamais la grosse tête. Au Vif Weekend, on l’a toujours su.

Les filles qui l’inspirent ont une dégaine, twistent magistralement ses robes sexy et osent le no make-up mis à part une bouche prune. Elles s’appellent Lou (Doillon), Caroline (de Maigret), Anja (Rubik) ou Laetitia (Crahay), ont le sens du chic parisien et font souvent office de bonnes fées. Dans son appartement parisien, quatrième étage sans ascenseur au fond d’une impasse à la lisière du Marais, Anthony Vaccarello se concentre sur l’essentiel. Sa collection, à son nom, qui a presque trois ans. Tout ici est blanc, les fenêtres ressemblent à des hublots, la bougie sent la coriandre, trois bustes Stockman côtoient les prototypes en calicot écru et les rouleaux de tissus noirs avec quelques touches de glitter. Rien de superflu, une équipe réduite, une famille – Anthony travaille sous le regard exigeant d’Arnaud Michaux, lequel fait partie de l’écurie Vuitton, ajoutez-y David et une stagiaire, le compte est bon. Pour le décor, imaginez une toute nouvelle machine à coudre  » professionnelle  » en lieu et place de la vieille familiale, il fallait vraiment passer à la vitesse supérieure, quelques paires d’escarpins griffés aux talons vertigineux, le livre de Carine Roitfeld, un portrait de Kate Moss par Roman Moriceau et de la musique, en boucle souvent, hier, Summertime de Janis Joplin, aujourd’hui de l’électro. Anthony le sait, des anges gardiens veillent sur lui. Et il le leur rend bien. Auréolé cette année du prestigieux prix de l’ANDAM (comme Martin Margiela, Viktor & Rolf ou Gareth Pugh avant lui), invité de La Redoute, président du jury du Weekend Fashion Award, Anthony Vaccarello a le profil parfait du jeune créateur talentueux. La douceur en prime.

En septembre dernier, à Paris, le défilé de votre collection printemps-été 2012 était ovationné. Vous l’aviez visiblement pensé de A à Z…

En réalité, j’y pense déjà quand je fais les vêtements. J’imagine toujours le make-up et la scénographie – si la fille vient de loin, si c’est sombre ou pas. Là, je voulais la lumière de jour pour donner une profondeur, pour que l’on voie la différence entre le noir et le bleu marine. Je voulais aussi qu’il y ait quelque chose d’aquatique, que l’on ressente une texture mouillée. J’aurais rêvé que les mannequins marchent sur la Seine…

Vous avez remporté le prix de l’ANDAM (Association Nationale pour le Développement des Arts de la Mode) cette année, qu’est-ce que cela change pour vous ?

C’est une reconnaissance, il s’agit tout de même du prix le plus prestigieux. Quand j’ai appris que j’avais gagné, j’étais sonné. Et très content. Je n’étais pas dans le rouge et l’on n’avait pas forcément besoin de ces 200 000 euros pour continuer… Mais là je le sens, cela me laisse respirer. Ce prix me permet d’être plus libre et d’avancer plus sereinement sans harceler mes acheteurs pour qu’ils règlent leurs factures et qu’on puisse fonctionner. Cela ne change par contre pas mon choix de tissus ni ma façon de travailler. Je ne m’impose aucune limite : si un tissu me plaît, même s’il est très cher, je l’emploie… Ce n’est peut-être pas malin mais la coupe et la qualité sont trop importantes pour moi. Depuis toujours.

À peine six collections et déjà vingt-quatre points de vente. Vous venez de démarrer votre ligne ou presque et vous êtes déjà présent dans les meilleures boutiques du monde…

Oui, vingt-quatre, ce n’est pas mal… On est vendu chez Colette et au Bon Marché à Paris, Beyrouth, Hongkong, Tokyo, São Paulo, Madrid et Toronto, mais toujours rien en Belgique… On élargit notre réseau mais petit à petit, je fais les choses à mon échelle.

Vous êtes très sélectif, un jeune créateur peut-il se permettre cela ?

C’est un luxe, on pourrait vendre un peu partout, mais à long terme, cela positionne le produit, cela ne fait pas monter le désir. C’est une tactique qu’on a mise en place avec la consultante Maggy Chamoun, qui a l’habitude de ce genre d’exercice. On essaie de construire la marque Anthony Vaccarello, c’est un peu snob comme technique, mais la mode, ça marche comme ça.

Comment travaillez-vous ?

Sur le buste, même si j’ai d’abord un peu griffonné au crayon. Je ne suis pas très drapage, il s’agit plus d’un travail de découpes et de construction, d’architecture. Je travaille avec de la toile à patron, c’est un tic, ancré depuis nos études à La Cambre mode(s). Si je ne vois pas le prototype en tissu calicot écru, j’ai des difficultés à tracer des lignes, à comprendre ce que cela peut donner. Même si la toile est rigide, j’ai besoin de passer par cette couleur et cette matière horrible qui ne sent pas bon – bizarrement, plus on la repasse, plus elle pue. Je ne pourrais pas dire ce que cela sent… elle me rappelle juste l’odeur de La Cambre !

En 2006, vous êtes diplômé de La Cambre mode(s), avec la plus grande distinction. Pourquoi avoir étudié là plutôt qu’ailleurs, à l’Académie d’Anvers par exemple ?

Parce que je ne parlais pas le néerlandais et que je venais de Bruxelles. Voilà ! Je m’étais d’abord inscrit en création textile aux beaux-arts de Tournai, parce que j’avais étudié le latin à Saint-Louis et que je n’avais aucune formation artistique – je n’avais jamais cousu, rien. J’ai tout appris là. J’étais le seul garçon, j’étais un peu la mascotte, je pouvais faire ce que je voulais : je tissais les pages du Vogue, des trucs avec des cheveux, c’était horrible. Et puis j’ai été reçu à La Cambre. Dès le début, j’ai été pris par les exercices, le moulage, tout me passionnait. Et surtout Nadine Depuydt, elle était prof de technique, je la trouvais hyper élégante, hyper classe, elle enseignait les bases du patronage et de la couture mais cela allait au-delà.

Quel a été le déclic déclencheur, celui qui vous a donné envie de lancer une collection à votre nom ?

Arnaud Michaux, quand je l’ai rencontré à La Cambre, en troisième année, en 2003. On s’est mis à travailler ensemble. On fonctionne vraiment en binôme, on est très complémentaires – il a un £il, un côté technique, une logique… Là où je vais être un peu compliqué dans certains trucs, il va dire  » non, pas du tout « , et puis  » tac tac  » et il épure, il est moderne.

Le grand prix du Festival d’Hyères que vous remportez en 2006 a aussi eu un effet déclic…

Oui, c’était trois semaines après la fin de mes études, Ann Demeulemeester était présidente du jury, mon travail autour du cuir lui a plu. J’habitais alors à Saint-Gilles, à Bruxelles, juste après le Festival d’Hyères, j’ai reçu un appel téléphonique des gens de Fendi, pour fixer un rendez-vous, à Rome. Je me dis :  » waouw, super « , j’y vais, l’endroit est incroyable, complètement vitré, avec vue sur la via Condotti et les toits de la ville. Là, je découvre des budgets incroyables, des robes que je ne connaissais pas et Karl Lagerfeld. Deux ans de cappuccino, de pâtes, de dolce vita… mais c’était trop cool, je ne voulais pas d’une vie comme ça, risquer de m’endormir. J’avais besoin de danger, d’adrénaline.

Qu’avez-vous appris chez Fendi ?

À construire une collection, à ne pas dépasser les budgets, même si c’est une grosse boîte. J’y ai aussi appris les différents rouages – dessins, atelier, fabrication. Karl venait, validait, dessinait toute la collection, d’un trait, c’était très précis. Je me souviens des premières d’atelier qui attendaient ses dessins, elles étaient hyper excitées, c’était à celle qui les verrait avant les autres, les comprendrait…

Vous rentrez à Paris en 2008 et là très vite, tout s’emballe…

Arnaud me convainc de lancer cette première collection, je fais cinq robes, qui sont très, très travaillées, toutes brodées main. Je les présente dans les vitrines de Maria Luisa à Paris et effectivement, il y a un emballement. Ensuite, autre déclencheur, je rencontre Lou Doillon, elle pose pour moi, je fais une collection qui porte son nom, pour l’automne-hiver 10-11. Et ce printemps, elle m’invite à créer trois robes pour La Redoute dont elle est l’égérie. Comme cela s’est bien vendu, La Redoute m’a recontacté et m’a donné carte blanche, j’ai fait comme si c’était la continuité de ma marque, quelque chose de très sexy, très frais. Il y aura deux robes, un trench, un chemisier, une jupe et une veste, un pantalon et un bandeau poitrine. Je voulais que ce soit très cohérent avec ce que je suis. Je ne me suis pas senti coincé, je sais qu’il y forcément un compromis à faire si les robes coûtent entre 80 et 100 euros. Tout est shooté en blanc mais tout est disponible en blanc et noir – on voulait cette image très Herb Ritts, avec Anja Rubik, blonde, cheveux gominés, quelque chose de surexposé. C’est l’image qui a dicté la collection, entre une continuité de l’été que j’ai présenté et un best-off de ce que j’ai déjà fait. Une façon d’affirmer l’ADN de la maison pour un plus grand public.

La robe asymétrique, comme une signature. S’il fallait choisir entre toutes, ce serait votre préférée ?

C’est celle que l’on a le plus vendue, en tout cas. Elle part de cette idée de robe-maillot, avec un côté loose, une manche chauve-souris très cool, que l’on peut retrousser, et un côté utilitaire avec main en poche pour avoir une dégaine, c’est cela qui me plaît. Il y a des pressions partout, j’aime que l’on puisse l’enlever facilement. Et que tout soit léger, ne se froisse pas, avec une boucle bijou, dorée, qui évoque le côté uniforme, mais pas premier degré. On travaille beaucoup les finitions, toutes sont pensées à l’avance, je trouve que cela donne une valeur supplémentaire au vêtement, ce n’est pas juste un bout de tissu drapé, il y a un gros grain à l’intérieur, des passementeries, c’est cela, le vrai luxe.

Les chaussures, c’est votre truc, vous êtes du genre fétichiste. À quand une collection ?

Je travaille à une collaboration avec Giuseppe Zanotti pour l’hiver 12-13, des escarpins à talons effilés, avec des brides, quelque chose de très fin, des bottes peut-être, je ne sais pas encore. J’avais choisi leurs chaussures pour présenter l’été, on s’est bien entendu, ils aiment ce que je fais et adorent Anja Rubik, c’est comme une petite famille… Il faudra surtout que cela accompagne le look. Je sais que c’est un autre métier, c’est pour cela qu’il vaut mieux travailler avec une vraie maison. Je ne veux pas que ce soit bricolé, jamais. Ou alors cela ne doit pas se voir !

Vous racontez que, la nuit, vous  » rêvez éveillé  » de votre travail, que vous parlez dans votre sommeil, avec angoisse. Vous créez dans la douleur ?

Je ne crée pas dans la douleur mais je ne crée pas non plus dans la légèreté – il y a beaucoup de discussions, de prises de tête. C’est vraiment un travail prenant, j’y pense tout le temps, mais c’est un choix et cela me convient. Je n’ai pas envie de séparer le travail de ma vie personnelle, tout cela fusionne.

www.anthonyvaccarello.com

Anthony Vaccarello pour La Redoute, à partir de janvier prochain sur laredoute.be

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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