Armani, Vuitton, Dior, Prada… Les grands noms de la mode se rêvent tous dans le rôle-titre d’une superproduction sur grand écran. Car un produit bien placé dans un film à succès assure visibilité et crédibilité. Casting décrypté.

C’est l’histoire d’une tarte aux myrtilles. Le genre de  » pie  » recouverte de pâte fondante qui se déguste tiède, de préférence accompagnée d’un nuage de crème fouettée. L’histoire aussi d’une robe bleu outremer que porte une fille au c£ur brisé. La suite tient en deux lignes. Le gâteau sucré – servi par un patron de café mignon et attentionné – finira par consoler la brunette au retour d’un voyage initiatique qui lui permettra de décanter sa vie. Nul ne connaît le nom du pâtissier qui a préparé les dizaines de tartes dégustées par Norah Jones cadrée de près par le réalisateur Wong Kar-Wai. La robe par contre ferait frémir d’envie toute fashionista qui connaît ses classiques. Une pièce phare de l’été 2005. Estampillée Louis Vuitton, comme ce trousseau de clés fétiche laissé en gage au début du film et ces sacs frappés du sigle LV sur lesquels la caméra langoureuse du cinéaste chinois glissera négligemment sans jamais s’arrêter.

En soi, ce type de collaboration n’est pas une première. Le fait qu’elle advienne désormais dans la catégorie des  » films d’auteur  » démontre pour le moins que le placement de produit comme l’appellent les publicitaires est bel et bien en passe de se généraliser. Ici, la référence est discrète et l’objet  » prêté  » s’intègre naturellement dans la fiction, sans intention persuasive apparente.  » On est loin de la logique d’un James Bond comme Meurs un autre jour (2002) dans lequel plus de trente produits différents ont pu être recensés, décode Philippe Marion, professeur de communication publicitaire à l’Université catholique de Louvain. Ce placement de produit discret, c’est l’ « anti-Canada Dry  » par excellence. Cela ne ressemble pas à de la pub. Et pourtant, cela en est !  »

Pas question non plus de citer la marque dans un dialogue. Ou d’imaginer une campagne publicitaire directement associée à la sortie du long-métrage.  » Faire un film et faire une pub, ce n’est pas la même chose, insistait Wong Kar-Wai à la sortie de la projection de My Blueberry Nights, en salle depuis mercredi et présenté en ouverture lors du dernier Festival de Cannes (1). Le cinéaste, habillé par Vuitton l’année précédente alors qu’il présidait le jury du Festival aurait lui-même pris contact avec le célèbre malletier. Pour lui, la connection entre son road movie et l’image de Vuitton historiquement associé au monde du voyage tenait de l’évidence. Un avis totalement partagé par la direction du fleuron du groupe LVMH qui a donné carte blanche à Wong Kar-Wai pour accessoiriser son premier long-métrage en langue anglaise.  » Le plus grand voyage que l’on fait dans la vie, c’est la découverte de soi-même, précisait Yves Caravelle, président de Louis Vuitton juste avant la première cannoise (2). Nous tenions à faire partie de ce projet totalement en phase avec l’univers de notre marque.  »

A coup sûr, une opération profitable aux deux parties impliquées. La production reçoit ainsi un petit coup de pouce – en cash ou en  » nature  » -, la marque, elle, bénéficiant d’une visibilité médiatique positive teintée de crédibilité.  » Au cinéma, le spectateur est très impliqué sur le plan émotionnel, poursuit Philippe Marion. Il est attentif, il a choisi d’être là et ce qu’il y verra bénéficie a priori d’un important capital sympathie. Sans compter que ces films ont désormais une double vie lors de la sortie DVD. « 

Le fait d’être en prime associé à une star en vue qui porte ou consomme le produit à l’écran ne gâte rien. Giorgio Armani qui a su tisser des liens étroits avec Hollywood après avoir habillé Richard Gere dans American Gigolo en 1981 n’affirmera sûrement pas le contraire. Epaulant la styliste Louise Frogley, il vient d’ailleurs de remettre cela en relookant Danny Ocean (alias George Clooney) avec ses costumes et ses smokings sur mesure dans le troisième volet des aventures du célèbre braqueur de casino également présenté lors du dernier Festival de Cannes. Une collaboration dont l’idée serait venue aux deux hommes lors d’un déjeuner amical, au bord du lac de Côme, dans la villa de l’acteur américain.  » Mon vieil ami Giorgio Armani aime le cinéma autant que j’aime ses costumes « , assure George Clooney.  » Habiller George Clooney est le rêve de tous les créateurs, mais être son ami va bien au-delà de tout aspect commercial « , justifie pour sa part le créateur italien.

 » Réussir un deal comme celui-là, c’est l’effet « red carpet » assuré, détaille Bronwyn Cosgrave, auteur d’une monographie sur les rapports ténus liant la mode et le cinéma (3). Regardez ce que les grands groupes dépensent pour une campagne de pub. En comparaison, ce qu’ils doivent investir pour apparaître sur le tapis rouge ou dans un film, c’est un super deal. Certaines images deviennent iconiques. Et passent à la postérité. Si le duo star-produit fonctionne, c’est bingo. Les gens ne vont peut-être pas acheter une robe haute couture, mais ils s’offriront un parfum, un sac ou un tee-shirt de la marque. « 

Pour Bronwyn Cosgrave, le tandem Louis Vuitton-Wong Kar-Wai est un bel exemple de réussite.  » La robe « fonctionne » parfaitement dans le film, ajoute la journaliste londonienne. L’association est naturelle. Rien à voir avec la présence d’un camion Perrier dans un James Bond ou de Pepsi-Cola dans Mission Impossible. J’y vois plutôt un hommage à la manière dont les studios de cinéma travaillaient autrefois. Lorsqu’ils offraient du Dior à Sophia Loren, ils répondaient à ses désirs d’en porter à l’écran. Il n’y a pas de mal à cela. Christian Dior a créé autrefois des costumes magnifiques pour Hollywood. Et il se faisait payer très cher pour cela.  » Difficile d’oublier les célèbres smokings de récital de Marlene Dietrich ni la garde-robe que Dior créa pour la star dans Le Grand Alibi (1950) d’Alfred Hitchcock. En 1954, le couturier français sera même nominé aux oscars pour les toilettes qu’il créa pour Jennifer Jones dans Indiscretion of an American Wife.

 » Les couturiers n’étaient pas toujours faciles à convaincre, poursuit Bronwyn Cosgrave. Au départ, Hubert de Givenchy n’avait aucune intention d’habiller Audrey Hepburn. Elle a dû forcer sa porte. Mais elle est repartie avec les robes qu’elle voulait pour Sabrina (1954). Et la collaboration n’a plus cessé. Les vêtements de Givenchy apportaient un vrai plus à ses films. Et cela sonnait juste.  »

L’art du placement de produit résiderait donc là. En faire assez mais pas trop.  » Le spectateur est captif, précise Philippe Marion. S’il sent l’intention publicitaire larvée, cela peut l’importuner. A l’inverse, quand la ficelle est grosse, comme dans les films Taxi où l’on voit clairement les voitures Peugeot, il y a même un lien de connivence qui peut se tisser. La pub est reconnue comme telle et acceptée. Comme lorsqu’on participe à la Nuit des Publivores.  » Même constat pour 007, l’espion qui consommait plus vite que son ombre des gadgets  » brandés  » qu’il n’a d’ailleurs de cesse de détruire pour le bien de l’intrigue. Omega, assuré du capital sympathie du célèbre agent au service de sa Majesté n’a d’ailleurs pas hésité à faire coïncider l’édition d’une montre de plongée Seamaster James Bond – limitée à 10 007… exemplaires – avec la sortie de Casino Royale (2006).

Une fois encore, l’environnement a son importance. Dans un film ou une série parlant de mode comme Le Diable s’habille en Prada ou Ugly Betty, il est même aisé de faire tenir à un foulard ou à un sac – dont la marque est régulièrement citée bien sûr – un rôle central.  » Etre placé là-dedans, c’est le rêve, assure Nadja Swarovski, vice-présidente du groupe Swarovski. Dans le cas d’une bague ou d’un sac, l’impact sur les ventes est clairement mesurable.  » Depuis une dizaine d’années, la marque multiplie ainsi les contacts avec l’industrie du cinéma proposant ses produits finis mais aussi ses cristaux bruts utilisés dans la fabrication de décors ou de costumes. Ainsi, dans Ocean’s 13, c’est le lustre Cascade du Belge Vincent Van Duysen qui s’envole en hélico dans la scène finale alors que les couronnes et bijoux de Cate Blanchett dans Elizabeth : The Golden Age qui sortira en Belgique ce 12 décembre sont made in Swarovski.  » Pour le cinéma, nos cristaux sont parfaits, insiste Nadja Swarovski. Car la caméra a tendance à tout aplatir. Ils donnent du relief aux vêtements et les rendent plus spectaculaires.  »

Jusqu’ici, toutefois, jamais le nom du label n’a été cité.  » On adorerait, sourit la jeune femme. Mais pour cela vous devez payer. C’est peut-être une bonne stratégie mais nous n’avons pas les budgets. Une mention de la marque dans le scénario, une apparition du logo plus de 30 secondes à l’écran, cela peut se facturer 50 millions de dollars ( NDLR : près de 34 millions d’euros). Nous agissons par la petite porte. En contactant les « talents » et les créateurs de costumes à qui nous fournissons gracieusement ce dont ils ont besoin.  »

Patricia Field à l’£uvre sur le tournage du film Sex & the City, objet de toutes les convoitises – chez Swarovski, on  » croise les doigts  » pour en être – a pourtant dû montrer patte blanche chez Hermès avant d’obtenir l’autorisation de tourner un épisode de la série homonyme dans la boutique new-yorkaise. Episode dont la guest star était pourtant… le sac Birkin.

 » Les demandes des réalisateurs font souvent l’objet de débats internes, précise Philippe Marion. Les marques veulent des garanties. S’assurer que leur image ne sera pas aliénée. Toutes les apparitions à l’écran d’un logo ne font pas l’objet d’un deal intéressant pour le producteur. Le TGV et Air France par exemple n’ont pas hésité à se faire payer pour prêter leurs installations au set de Mission Impossible ou autoriser la reconstitution d’une cabine d’un avion de la compagnie dans Décalage horaire.  »

Dans les cas extrêmes, comme celui du film 99 francs tiré du livre de Frédéric Beigbeder, les noms ont dû être changés et des dialogues supprimés après relecture par un commando de juristes pour éviter tout procès, voire pire, l’interdiction pure et simple du film. Pourtant, les citations de produits sont encore légions. On peut d’ailleurs se demander, par exemple, si Hugo Boss sera vraiment ravi d’être associé à l’écran au patron de la marque de yaourts  » Madone  » – qualifié de  » con  » par un Jean Dujardin très en forme…

De même, il se disait lors du tournage du Diable s’habille en Prada que les grands noms de la mode, malgré l’environnement commercialement prometteur, redoutait d’y figurer, craignant une mise à l’index d’Anna Wintour, la rédactrice en chef du Vogue américain, dont le livre homonyme s’était inspiré.

Ce qui amène naturellement à se poser la question inverse : le cinéma peut-il se passer des marques ? Ou pis, celles-ci l’obligeraient-elles, pour se protéger d’une amende salée, à s’autocensurer ?  » Steven Spielberg est très clair là-dessus, poursuit Philippe Marion. Les marques lui sont nécessaires pour assurer le réalisme de ses films. Personne ne pourrait croire que l’histoire se passe aux Etats-Unis aujourd’hui sans que Pizza Hut ou MacDo n’apparaissent à l’arrière-plan.  » La bonne vieille histoire de la poule et l’£uf, en quelque sorte. Notre société de surconsommation, esclave de ses technologies, impose la présence de portables, de PC et autres gadgets électroniques à l’écran. Dans certains cas, les objets qui nous entourent sont une source légitime d’inspiration. Il suffit pour s’en convaincre de penser à ce que les studios Pixar ont réussi à faire de voitures et de jouets existants dans Cars ou Toy Story (4).  » Là où cela dérape, c’est quand la tyrannie du produit modifie le scénario, ajoute Philippe Marion. Que la liberté de création est altérée par l’annonceur.  » Et dans ce cas-là, c’est l’image même du cinéma qui en prend un coup…

(1) et (2) In The International Herald Tribune, 29 mai 2007.

(3)  » Made for Each Other – Fashion and the Academy Awards « , Bronwyn Cosgrave, Bloomsbury.

(4) Un coffret Pixar reprenant les huit premiers films du label sera disponible ce 12 décembre.

Isabelle Willot

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