Entre le label Auguste, pro du cuir d’exception, et le créateur Crstof Beaufays se déroule une collaboration  » seconde peau  » où les matières du premier sont magiquement mises en scène par le second. Juste, Auguste !

Pour sa deuxième collection, celle du printemps-été 2004 sous le label parisien Auguste, le Belge Crstof Beaufays conjugue son style virtuellement poétique, sa patte à la fois ludique et fonctionnelle selon trois thèmes précis : le premier, baptisé  » Ombres et trompe-l’£il  » ( NDLR : cette idée chère à Crstof et récurrente dans son processus créatif se retrouvait déjà dans ses travaux pour l’école de La Cambre à Bruxelles), où l’on renoue avec quelques basiques exploités l’hiver passé comme les cols de trench et de manteau évoquant un visage de profil, par exemple ou les vêtements tout plats traités en deuxième et troisième dimension.

Les deux autres thèmes, eux, s’articulent autour des manières différentes d’aborder le temps qui court.  » D’une part, il y a une vision qui consiste à capturer, à figer le temps, un peu à la façon des icônes religieuses ou des personnages qui aiment s' »icônifier » dans la même posture et le même look comme Karl Lagerfeld ou Andy Warhol, explique Crstof Beaufays. D’autre part, il y a une fuite en avant et une renaissance perpétuelle qui, cette fois, échappent au temps en le précédant.  » Les vêtements-icônes, conçus comme des sculptures molles aux volumes virtuoses, font disparaître les épaules dans l’étirement de leurs tissus, se portent sur la tête, à la façon d’une madone urbaine, ou en capuche souple qui retombe dans le dos. Quant à ceux qui cristallisent la fuite du temps, ils se décalent dans un charivari harmonieux et se composent de parties tronçonnées les unes par rapport aux autres, dégageant une impression de spirale sans fin, de dyslexie textile. En blanc virginal ou cassé, en chair, rouge vif, rose pâle, noir et gris clair, les chemises, tee-shirts, jupes, robes, pantalons, shorts et vestes taillées dans du cuir souplissime, du Néoprène coupé à vif ou du coton craquant, remettent à une heure étrange et séduisante les pendules de la mode.

 » J’ai toujours été passionné par les effets de trompe-l’£il û on pense, en moins figuratif, à l’£uvre surréaliste d’une Elsa Schiaparelli û, les histoires cachées que peut raconter un vêtement selon la manière dont on le regarde, poursuit cet inconditionnel de Martin Margiela. A La Cambre, j’avais réalisé une collection où les ombres des vêtements traînaient par terre. A cette époque-là, l’image prédominait presque toujours sur le produit et mon idée était de focaliser mes créations sur l’image, en deux dimensions, qu’elles reflétaient. Le but, pour un créateur, c’est d’atteindre un univers propre au fur et à mesure de ses collections, d’avoir un style aisément identifiable et d’exprimer une certaine vision de son époque. Et c’est vers cela que j’ai chaque fois essayé de tendre.  »

Fin 2002, Crstof rencontre le fabricant de cuir Auguste qui désire s’adjoindre le savoir-faire d’un jeune créateur pointu. Leur collaboration, qui démarre en janvier 2003, débouche sur une première collection réalisée en un tournemain mais de main de maître par le Liégeois désormais installé à Paris pour de bon.  » A La Cambre, j’avais déjà utilisé du similicuir pour mes vêtements. Donc ici, c’est le paradis. Je ne suis pas opposé non plus à travailler des matériaux synthétiques genre plastique ou Néoprène qui capte la lumière à la façon d’une image de synthèse.  » Là, on retrouve l’un des dadas de Crstof qui, en jetant sans cesse des ponts entre le réel et le virtuel, s’approprie et matérialise des choses qui, normalement, n’existent que dans l’irréel.

Sorti de La Cambre, où il ne fait que quatre années sur cinq, en 1999, Crstof Beaufays suscite illico l’intérêt des caciques de la mode via ses collections  » Pictomodélisme  » et  » Out Couture  » : primé au Festival d’Hyères, à Venise et à la Camera Nazionale della Moda Italiana, il présente sa collection à Tokyo et dispose, à Paris, d’un stand au fameux Salon du prêt-à-porter. Aux côtés de Franc’Pairon, l’ancienne responsable de l’Atelier de Création de Mode de La Cambre, Crstof suit, pendant un an, le cycle international de création de mode de l’Institut français de la Mode (IFM) à Paris.  » Là-bas, je savais que j’allais pouvoir faire des rencontres intéressantes et apprendre encore certaines choses que je n’aurais pu appréhender à Liège ou à Bruxelles « , précise ce grand ami de Laetita Crahay û responsable des accessoires chez Chanel û, d’Olivier Theyskens û directeur artistique de Rochas û, et de Jose Enrique Oña Selfa û directeur artistique de Loewe, tous issus de La Cambre comme lui.

Après l’IFM, Crstof Beaufays décroche un poste d’assistant chez Montana. Il y passera une saison avant de rencontrer les responsables d’Auguste.  » J’aime apprendre mais aussi ensei-

gner la mode, confie Crstof. Voilà pourquoi j’ai accepté un poste à l’institut Château Massart (IFPME), à Liège, où je donne cours les samedis matins. C’est une fonction didactique qu’il me plairait d’ailleurs d’approfondir et de prolonger même un jour dans une école à Paris.  » A cela Crstof Beaufays ajoute des organisations d’expos, des scénographies û le cinéma et la mise en scène font partie de ses premières amours û, autour du vêtement.  » Cela permet de rafraîchir le cerveau, quand on pratique une activité sur un rythme très intense et en même temps, de s’évader du quotidien.  » Crstof a ainsi, entre autres choses, assuré la direction artistique des vitrines consacrées à la mode bruxelloise à l’Office de promotion du tourisme belge (Paris), présenté un projet autour d’une  » Echarpe et de Vestes communicantes  » en partenariat avec France Télécom, installé  » I-skin, corporalité virtuelle  » à Avignon, dans le cadre de l’expo intitulée  » La Beauté, événement culturel de l’an 2000 « , conçu des pochettes en cuir pour les serveurs d’un grand restaurant bruxellois, etc.

 » Dans le cadre de Lille 2004 qui est sacrée capitale européenne de la culture, je vais disposer d’un espace dévolu au textile en compagnie du duo belge OWN dans un musée à Roubaix. Là, je collaborerai avec « Electronic Shadow », des artistes multimédias dotés de chouettes moyens technologiques et que j’avais déjà côtoyés à Avignon durant la manifestation sur la beauté.  »

Côté projets, pas question, encore, d’une collection éponyme pour Crstof Beaufays :  » J’adore mon travail chez Auguste et j’essaie de me réaliser un maximum au sein de cette collaboration. Bien sûr, il y a plein de domaines que j’aimerais exploiter comme la consultance en parfumerie, par exemple. J’ai aussi remarqué que les mégachaînes de prêt-à-porter comme Zara, Mango ou H&M sont de plus en plus à la recherche de jeunes talents. Dans un avenir proche, il me semble que ces boîtes-là, pour se différencier de leurs homologues, feront appel à des électrons libres de la création qui y dessineraient une ligne spécifique… Quoi que j’entreprenne, j’essaie de donner un sens, une démarche aux choses. Même s’il ne faut pas négliger la dimension émotionnelle, la cohérence est primordiale pour canaliser les énergies créatrices et construire un style empreint d’une certaine image de marque. Moi, je pars toujours de quelques concepts de base que je développe dans différentes tenues et j’installe ainsi un fil conducteur entre les collections et les saisons, qui permet à la clientèle de ne pas se perdre en conjectures. Je préfère me trouver dans une prison délimitée où je peux entreprendre ce que je veux que de me retrouver au milieu de l’océan sans aucune balise ni limite. Prenez l’exemple de Martin Margiela ; il règne une continuité sans faux pli entre chacune de ses saisons vestimentaires, et cette cohérence fait la force de son style, justement.  »

 » Crstof ne traite de l’apparence qu’en apparence « , estime Olivier Saillard, chargé de la programmation au musée de la Mode et du Textile à Paris. Une description ad hoc pour un jeune homme censé en charge de collections qui ne manquent jamais de signifiants.

Marianne Hublet

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