Drôlissime ambassadeur de Flandre auprès des Belges francophones, l’humoriste alostois Bert Kruismans démonte dans ses spectacles et ses billets radio les préjugés bien incrustés de part et d’autre de la frontière linguistique. Une vanne après l’autre.

On a encore dans l’oreille son  » Goeiemorgen Georges « , rampe de lancement du premier Café Serré de la semaine, programmé à 7 h 40 tapantes sur la Première, au fil duquel il dézingue, goguenard, les travers souvent risibles des élites politiques du nord du pays, lorsqu’il arrive, toute moustache dehors, sur le lieu de notre rendez-vous. Presque trop réservé pour être vrai. Enfin, pour coller à l’image du Bekende Bert, ce Flamand sympathique qui nous aime bien, nous, les  » Belges francophones  » comme il prend soin de dire, conscient que pour se faire des amis de ce côté-ci de la frontière linguistique, mieux vaut ne pas mettre tout le monde dans le même panier… wallon.

 » Franchement, je ne me suis jamais dit que ma vocation était de devenir humoriste, lâche-t-il en sirotant une grande jatte de café. Comme beaucoup d’autres choses dans ma vie, ça m’est un peu tombé dessus par hasard. Je ne fais pas que cela d’ailleurs. Même s’il y a un fil rouge à tout ce que je touche : les mots. J’ai étudié la philosophie, puis le droit international. Je me voyais bien devenir ambassadeur.  » Ce qu’il est aujourd’hui, mine de rien.

Fort du carton de La Flandre pour les Nuls, de deux bouquins co-écrits avec Pierre Kroll, de dizaines de chroniques radio et d’une deuxième saison de l’émission Tournée Générale sur le feu, Bert Kruismans s’apprête à repartir sur les routes dès la rentrée avec un tout nouveau spectacle. Dans La Bertitude des Choses, il reviendra sur trente-cinq ans de Belgique, histoire de voir ce qui a changé vraiment.  » En 1978, j’avais 12 ans, rappelle-t-il. L’âge qu’a mon cadet aujourd’hui. Dans ce spectacle, je parle beaucoup de moi, de ma famille, de mes beaux-frères Albert, qui est flamingant, et Philippe, qui est wallon. Et qui se querellent tout le temps. A force de travailler dans tout le pays, un monde s’est ouvert à moi. Ma Belgique est plus large que celle de beaucoup de gens. Bien sûr, il y a des différences entre Flamands et Belges francophones. Mais il y en a tout autant entre les habitants des grandes villes et de la campagne. Pourtant, ce sont des tensions dont on n’aime pas parler. C’est bien plus facile de se polariser sur les différences linguistiques. La langue, c’est ce qu’il y a de plus discriminant : même si vous êtes bilingue français-néerlandais, dès que vous ouvrez la bouche, on peut déceler tout de suite que vous ne parlez pas votre langue maternelle.  »

A l’aise dans les deux, Bert Kruismans donnera même une représentation  » tweetalig  » à Bozar, le 19 février 2014.  » Le français est en train de devenir une langue morte en Flandre, regrette-t-il. Il y a trente ans, parce qu’on n’avait pas le choix, on regardait tout le temps les chaînes francophones à la télé : on commençait avec Le Gendarme de Saint-Tropez et La Grande Vadrouille et on finissait par ne pas manquer Pivot et Apostrophe ! J’essaie de faire lire Gaston Lagaffe à mes enfants. De convaincre le plus grand de trouver un job d’étudiant dans un café en Wallonie pour l’été. Peut-être qu’il rencontrera une petite copine francophone. Les Flamands aujourd’hui sont en train de faire les mêmes erreurs que les Belges francophones dans les années 60-70. Même si le français n’est que ma troisième langue, je tire mon plan, comme on dit chez nous !  »

Avec énormément de sérieux finalement, Bert Kruismans accepte encore de se raconter au travers de quelques photos prétextes pour mieux parler de ce drôle de métier qui consiste à faire le malin – n’est pas Allerslimste Mens ter Wereld qui veut… – pour gagner sa vie. Arrêts sur image.

L’IMPORTANCE DU DRAPEAU

 » J’ai la chance d’habiter Alost ! Cette grande ville ! Jusqu’il y a deux ans, notre bourgmestre était encore un libéral et maintenant il se dit flamingant. Notre échevin des Affaires flamandes est un ex-Vlaams Belang. Pour tous les nationalistes, d’ici ou d’ailleurs, ce qui compte, ce sont les symboles. Les drapeaux par exemple, ça c’est important, bien plus que la réalité quotidienne des gens. C’est pour cela que dans La Flandre pour les Nuls, je commençais par parler du drapeau flamand. Dans La Bertitude des Choses, je démarrerai avec le belge. Les politiciens qui sont au pouvoir devraient avoir autre chose à faire que de coller des stickers avec des lions de Flandre sur les plaques de voiture et d’accrocher des drapeaux partout. Ils nous disent que grâce à cela, les gens qui arrivent chez nous savent « qu’ils sont en Flandre ». Et qu’il faut donc parler le néerlandais. Mais c’est complètement con ! Cela impliquerait que dans le Hainaut aussi on parle le néerlandais vu qu’il y a quatre lions sur leur drapeau ? A Lille, pareil, puisqu’il y a même des lions sur les uniformes des policiers ? Car là aussi, c’est la Flandre. Mais la Flandre française. « 

AUTRE POINT DE VUE

 » Au premier coup d’oeil, ces deux photos ont l’air très différentes mais pourtant, elles ont été prises au même endroit. Sur l’image en noir et blanc, on pourrait se croire dans un petit village du sud de l’Italie, c’est pittoresque. En fait, on est à une centaine de mètres de la RTBF, dans un quartier très urbain. Tout est une question de point de vue. Dans mon travail, j’essaie à la fois de prendre de la distance par rapport à ce que je vois. Ou à l’inverse, d’observer les choses de plus près, de m’attacher aux détails. C’est en regardant autour de moi que je trouve l’inspiration. Je vais vous parler de ce que vous connaissez bien dans le fond. Mais en changeant d’angle d’approche. Tous les photographes vous le diront : une photo, ça se cadre. Est-ce que l’on déforme la réalité pour autant ? Non. On pose un choix, c’est tout. « 

SA MAJESTÉ LA BIÈRE

 » Je suis en train de tourner la deuxième saison de Tournée Générale pour la RTBF, une sorte de road-movie belgo-belge dans lequel un Wallon, Pierre Theunis, emmène un Flamand, moi, à la découverte des bières de sa région et vice-versa. S’il y a bien quelque chose de typiquement belge, c’est la bière. Et l’on peut parler de culture d’ailleurs : notre sens de la convivialité, nos cafés, nos verres à bières spéciales, tout cela est reconnu et apprécié à l’étranger. J’aime aussi l’idée que cela puisse se faire à la RTBF avec un animateur flamand. Depuis Paule Herreman, je crois que je suis le premier en trente-cinq ans ! S’il y avait une volonté politique, on pourrait mettre en place des émissions vraiment bilingues, vraiment belges, avec des personnalités comme Matthias Schoenaerts, David Van Reybrouck, Vincent Kompany, Philippe Gilbert… connus dans les deux régions du pays. Ils parleraient leur propre langue et tout cela serait sous-titré.  »

SEUL AU MONDE

 » C’est une photo que j’ai prise en Suède l’été passé. Je ne crains pas la solitude, au contraire j’aime bien ça et j’en ai besoin. J’adore me promener en ville mais je ne pourrais pas y vivre. Après cette interview, je file pour une journée en Ardenne, au milieu des oiseaux et des sangliers. Beaucoup de personnes sont angoissées à l’idée de se retrouver seules dans des endroits isolés, surtout si elles ont l’habitude de vivre entourées. Je ne suis pas un ermite, j’aime les gens, j’aime le contact avec le public après mes spectacles, c’est même important pour moi, ça me permet de mieux comprendre ce que ressentent les gens.  »

MOTARD UN JOUR, MOTARD TOUJOURS

 » On me voit ici tout petit sur la moto du neveu de mon père. J’habite encore ce quartier d’ailleurs. Je roule à moto et c’est là que tout a commencé. Dans mon travail aussi, je suis un motard. Dans le trafic, le motard doit toujours prendre un peu de recul par rapport aux conducteurs qui l’entourent. Bloqué dans les embouteillages, il va réussir à s’échapper. Et cela même s’il est contraint de rester à l’arrêt, parce qu’il va remarquer des trucs que les types coincés dans leur bagnole ne voient pas, comme les petits oiseaux, les arbres, le vent… Il aime aussi la solitude et n’a pas peur parfois de se mettre en danger. C’est pareil quand on monte sur scène. Mais c’est en prenant des risques que l’on arrive quelque part.  »

WALLONIE, JE T’AIME

 » Ce sont les ascenseurs du canal du Centre au sujet desquels j’ai écrit un article dans De Morgen. Ils datent du temps où la Belgique était la 4e puissance économique mondiale. Où c’était normal pour les pauvres Flamands d’aller gagner leur pain en Wallonie. J’adore cette région et pas seulement Durbuy ou Rochefort, le Hainaut aussi. J’aime les traces que notre histoire y a laissées. Il y a des ingénieurs du monde entier qui viennent s’inspirer de ces mécanismes extraordinaires qui fonctionnent encore ! Il faudrait vraiment exploiter ces canaux, aménager des pistes cyclables, en faire la promotion. C’est typiquement belge de se dénigrer tout le temps. Et de regarder en arrière aussi. De se dire que c’était mieux avant. De ne rien vouloir changer. De croire que l’acier doit à tout prix rester à Liège. La fidélité c’est bien mais elle empêche également d’avancer.  »

PAR ISABELLE WILLOT

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